Comment réduire les émissions de méthane des vaches par l'alimentation ?
L'INRAE étudie les différentes stratégies alimentaires qui pourraient permettre la réduction de la méthanogenèse des élevages ruminants.
L'INRAE étudie les différentes stratégies alimentaires qui pourraient permettre la réduction de la méthanogenèse des élevages ruminants.
En France, l’élevage est responsable de 48% des émissions de gaz à effets de serre (GES) issues de l’agriculture, et de 68% du méthane (CH4) émis dans le pays, selon le ministère de l’agriculture et le commissariat général au développement durable. Face à ces chiffres, l’Unité Mixte de Recherche sur les Herbivores (UMRH) à l’INRAE de Theix (Puy-de-Dôme) mène diverses recherches concernant les stratégies qui pourraient permettre de réduire les émissions de méthane issues de l’élevage bovin.
L’objectif de l’Institut : trouver des solutions pour adapter les élevages aux enjeux climatiques et économiques, tout en évitant la décapitalisation du cheptel préconisée par la Cour des Comptes. Pour l’atteindre, les chercheurs et professionnels de la filière croient en la combinaison de différents leviers, touchant à la génétique, la conduite de troupeau… ou encore l’alimentation.
Concernant ce dernier levier, les chercheurs étudient le potentiel de réduction de la méthanogenèse de différents aliments, ingrédients et additifs, comme les tanins, céréales riches en amidon, oléagineux riches en lipides insaturés, le nitrate, le 3-NOP ou encore les algues tropicales.
Genèse des recherches
Ces recherches s’inscrivent dans le cadre de plusieurs projets collaboratifs, tels que « Méthane 2030 » porté par les acteurs de la filière (Apis-Gene et Idele), qui vise à réduire de 30% les émissions de méthane entérique* en France sur 10 ans, ou encore « Teroléa 2050 » (Trajectoire de l’élevage des ruminants zéro C dans la filière oléagineuse), une étude récemment lancée par lancée par l’Unité Mixte de Recherche sur les Herbivores (UMRH) à l’INRAE de Theix (63) et parrainée par le Crédit Agricole, qui focalise ses recherches sur la place que pourrait tenir la filière oléagineuse au niveau national dans les élevages ruminants de demain.
Cible n°1 : l’hydrogène
« Une partie du CH4 entérique est produite au moment de la digestion, lorsque l’aliment ingéré par l’animal est pris en charge par des microorganismes présents dans le rumen », explique Cécile Martin, directrice de recherche à l’UMRH. « L’hydrogène, (H2) produit par les microorganismes du rumen qui fermentent la matière organique, est alors utilisé par d’autres microorganismes spécialisés (archées méthanogènes) pour le combiner au CO2 et produire ainsi du CH4, qui sera en grande partie éructé par le ruminant. Nos recherches ciblent à réduire la disponibilité de l’H2dans le rumen, afin de limiter cette réaction appelée « méthanogenèse ». Pour ce faire, nous avons étudié le potentiel réducteur de différents aliments, ingrédients et additifs ».
Plus de tanins dans les prairies
Les recherches de l’UMRH ont mis en évidence l’intérêt d’introduire davantage de plantes riches en tanins dans les prairies, telles que la chicorée, le sainfoin ou encore le trèfle blanc. Cette méthode présente un potentiel de réduction du méthane variant de 0 à -20%. Cette grande variabilité est liée à la « difficulté de gérer systématiquement la composition d’une prairie, qui dépend de nombreux facteurs (météo, etc) » explique Cécile Martin. Si ce résultat peut sembler mitigé, les chercheurs soulignent les nombreuses autres vertus de l’élevage à l’herbe : meilleure qualité des produits animaux à même performance, capacité de stockage du carbone dans les prairies, réduction de l’utilisation de fertilisants ou encore présence d’une biodiversité variée, le tout à coûts réduits.
Céréales et oléagineux : oui mais…
Les éleveurs le savent : les céréales riches en amidon, comme le maïs, et les oléagineux riches en lipides, tels que le lin, le colza ou le tournesol, participent à réduire la méthanogenèse des bovins, jusqu’à -20% d’après l’INRAE. Ces aliments sont également connus pour augmenter la productivité laitière et, dans le cas des oléagineux riches en lipides non saturés, améliorer la qualité des produits animaux (viande et lait).
Néanmoins, ces deux catégories d’aliments ne sont pas sans impact sur l’environnement, car leur production nécessite l’utilisation d’intrants et de carburant émetteurs de GES aux coûts élevés. En comparaison, « l’élevage à l’herbe est moins efficace, mais il affiche un meilleur bilan carbone grâce au stockage de CO2, et n’engendre pas de compétition feed-food (tension entre alimentation animale et humaine NDLR) ».
Par ailleurs, la quantité d’amidon ou de lipide distribuée dans la ration doit être maîtrisée afin d’éviter une diminution des performances voir des problèmes de santé chez les animaux. « À titre d’exemple, pour limiter les cas d’acidose, l’amidon ne doit pas dépasser 25% de matière sèche ingérée (MSI) » détaille Cécile Martin.
Le nitrate, bien plus qu’un engrais !
Ça peut paraître étonnant, mais le nitrate, molécule chimique couramment utilisée en tant qu’engrais, pourrait permettre de réduire la production de méthane des ruminants jusqu’à -20%. « Le nitrate utilise l’H2 à la place des méthanogènes. On dit qu’ils jouent le rôle de puit à hydrogène, à partir duquel il produit de l’ammoniac à l’instar du CH4 »détaille Cécile Martin. Son utilisation en tant qu’ingrédient alimentaire est autorisée, mais très réglementée, avec un dosage limité à 2% de MSI, afin d’éviter les risques d’intoxication pour l’animal. Selon la chercheuse, si cette molécule pourrait trouver sa place dans les pays où les fourrages sont pauvres en azote, elle aura du mal à être acceptée en Europe.
Bovaer et algues : des solutions miracles ?
Le Bovaer est un produit de synthèse permettant d’inhiber la dernière enzyme responsable de la méthanogenèse dans le rumen. Utilisé comme additif dans les rations, il peut réduire jusqu’à -40% la production entérique de CH4 chez les ruminants. Aussi connu sous le nom de 3-NOP (son nom chimique), il est commercialisé en Europe depuis 2022 par l’entreprise néerlandaise DSM. « S’il ne semble pas avoir d’effet sur la santé animale et humaine, les impacts de sa production sur l’environnement et son coût économique sont mal connus » déplore Cécile Martin.
Enfin, certaines algues (rouges et marrons) affichent un potentiel de réduction de la méthanogenèse très fort, avec un score supérieur à -40%, pour seulement 1 à 3% de MSI ! Les chercheurs attribuent ce pouvoir au bromoforme, présent en grande quantité dans ces algues. « Il s’agit d’une molécule active dans le rumen capable d’annihiler presque totalement la production de méthane, sans impacter les performances de l’animale, et sans effet direct sur sa santé ou celle de l’humain. Le bromoforme peut toutefois s’avérer toxique lorsqu’il est ingéré en trop grande quantité, et être nocif pour la couche d’ozone une fois expiré ou lors du séchage des algues destinées à être consommées » mentionne la directrice de recherches. En l’absence d’une filière, se pose également la question du coût et de l’empreinte carbone qu’induiraient la production de ce nouvel ingrédient à grande échelle.
Les effets de ces stratégies alimentaires sont-ils cumulables ?
Pour de meilleurs résultats, certaines stratégies alimentaires étudiées par l’INRAE pour réduire les émissions de méthane chez les ruminants peuvent être combinées, « à condition que leurs modes d’action dans le rumen soient différents ! » précise Cécile Martin, directrice de recherches à l'UMR herbivores. C’est par exemple le cas du lin et du nitrate : le premier réduit la production d’hydrogène dans le rumen tandis que le deuxième l’utilise à l’instar des méthanogènes, empêchant ainsi la formation de méthane au moment de la digestion. D’après une étude comparative menée en 2015, employées seules, ces stratégies réduisent respectivement la production de méthane de -17% et -22% par rapport aux rations classiques. Une fois combinées, la réduction est évaluée à -32% !
Prendre du recul sur les résultats
Pour chaque stratégie étudiée, Cécile Martin souligne l’importance de regarder au-delà du seul potentiel de réduction de la méthanogenèse. En effet, un additif très efficace au premier regard peut avoir émis beaucoup de GES au moment de sa production, ou libérer des éléments tout aussi dangereux pour l’environnement que le CH4. Avant de crier « eurêka ! », « il est important d’intégrer les éventuels dommages collatéraux de chaque stratégie, qu’ils soient d’ordre environnemental, sanitaire ou économique, à l’échelle du système voire du territoire » souligne la chercheuse, « le mieux étant de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, et de choisir les solutions les plus adaptées à chaque système et contexte géographique, économique, etc ».
*Méthane entérique : il s'agit du méthane, gaz à fort potentiel de réchauffement, émis par le système digestif des animaux, ruminants principalement.