Comment enrayer l’hécatombe dans les bergeries du Cantal ?
Le sérotype 8 de la FCO est en train de décimer les cheptels ovins, peu nombreux dans le Cantal, au point de mettre en péril la survie même de cette production.
Le sérotype 8 de la FCO est en train de décimer les cheptels ovins, peu nombreux dans le Cantal, au point de mettre en péril la survie même de cette production.
Ce sont des éleveurs ovins au bord de la rupture moralement, nerveusement, physiquement aussi, oscillant entre désespoir et colère, qui ont témoigné vendredi matin devant le préfet des ravages de la FCO qui décime leur cheptel depuis quelques semaines. Des ravages et de leur impuissance. “J’ai pleuré, je pleure encore, je n’ai pas des brebis pour les voir comme ça, j’aurais voulu que l’euthanasie soit prise en charge pour ne plus les voir souffrir, je ne peux plus, j’arrête...” lâche, à bout, Fabienne Bresson. Comme elle, c’est la boule au ventre que Laurence Raynal Boulard entre désormais dans la bergerie chaque matin, avec l’appréhension de découvrir de nouvelles victimes du virus qui a déjà emporté la moitié de son cheptel, 50 brebis sur 100, ainsi que 70 agneaux et des béliers.
Déjà 30 000 € de pertes
À la retraite de son mari en janvier 2023, elle a démissionné de son emploi salarié pour prendre le relais sur
l’exploitation d’Oradour qui compte un troupeau aubrac et des ovins. Aujourd’-hui, elle regrette. “Je ne me suis pas dégagé un centime cette année, j’ai dû aller travailler à l’extérieur, la passion c’est bien mais ça ne remplit ni le frigo ni la trésorerie”, affiche l’agricultrice, qui ne souhaite pas que son fils reprenne l’exploitation dans de telles conditions, avec des pertes qui dépassent déjà les 30 000 €. “Pourtant, on a fait tout ce qu’on nous a dit de faire, on a piqué contre la FCO 8 en avril après avoir subi une première vague virulente à l’automne 2023. On a même anticipé l’arrivée du sérotype 3 en vaccinant nos animaux ce qui fait qu’aujourd’hui, on nous refuse la prise en charge du vaccin...”, soupire Laurence Raynal Boulard, plus affectée encore par la situation de Pauline Jouve qui recevait le représentant de l’État et ses services invités par la FDSEA et les Jeunes agriculteurs à mesurer l’ampleur du drame qui se joue dans les bergeries cantaliennes.
Car la virulence et la propagation de la souche du sérotype 8 qui circule actuellement dépassent de loin les épisodes antérieurs, avec un taux de mortalité inédit - y compris chez les béliers dont au moins une cinquantaine seraient morts dans le Cantal -, et avec des dommages à court et long termes que décrit Pauline : “Les premiers symptômes sont arrivés vers le 10 août sur un lot de brebis pleines que j’avais mis dans un sous-bois à cause de la chaleur, j’ai commencé à en voir deux, trois à l’écart qui se sont mises à baver, gonfler de la tête, avec une forte fièvre et un abattement total, puis des boiteries.” Ce premier lot est rapidement rentré en bergerie en espérant limiter la contamination, en vain. Une quinzaine de brebis n’a pas survécu dont une encore ce vendredi matin laissant des agneaux sans ressources, une dizaine a avorté, d’autres sont mal en point, soignées à coup d’anti-inflammatoires, d’antibiotiques pour éviter des surinfections, de tisane de foin au miel pour celles qui peinent à se nourrir - “on essaie tout...”, glisse la jeune femme. Pauline s’est installée hors-cadre familial il y a moins de deux ans sur les hauteurs de Ferrières-Saint-Mary, avec une troupe de 220 brebis blanches du Massif central dont les effectifs étaient censés monter en puissance. Un second lot de brebis qui devaient être mises à la reproduction a également été touché et l’éleveuse a dû reporter la phase de lutte, par peur d’exposer ses béliers au culicoïde vecteur. Conséquence : un décalage des naissances à une période supposée de mise à l’herbe.
“On essaie tout...”
Entre les bêtes mortes, les avortements, le manque à gagner sur les agneaux non nés, les frais vétérinaires... la Chambre d’agriculture a estimé à plus de 20 000 € le coût de la FCO pour l’élevage, sans intégrer la surcharge de travail liée à une surveillance accrue, le soin aux animaux malades et agneaux orphelins,... “La période d’agnelage va commencer, on est censé être reposé, pas stressé, c’est tout le contraire”, pose Pauline Jouve. Elle n’a pas fait le choix de vacciner bien que le cheptel ait déjà été touché l’été 2023, mais bien plus faiblement. “En janvier, quand on m’a annoncé le prix du vaccin à 10,5 €, ça m’a refroidie et puis j’avais déjà dû vacciner le troupeau contre la clamidiose suite à des problèmes d’avortements”, expose-t-elle. Aujourd’hui, elle attend que ses commandes de vaccins contre les sérotypes 3 et 8 soient honorées. Sans trop savoir si cela lui permettra d’enrayer cette spirale infernale. Car pour la FCO-8, la course est déjà perdue.
Des indemnisations attendues
Une seule certitude : l’élevage ovin cantalien est au bord du précipice, “et il va falloir trouver des solutions pour arrêter l’hémorragie et pour que ça ne se reproduise pas à l’avenir”, a souligné Delphine Freyssinier, secrétaire générale de la FDSEA. “Ce qu’on redoute, c’est vu le faible nombre d’éleveurs d’ovins dans le département, que cette production disparaisse, il faut faire en sorte de tous les sauver !”, a alerté Patrick Escure, président de la Chambre d’agriculture. Comment ? Par la prise en charge des tests (ou à défaut l’harmonisation et le plafonnement de leur coût) et des vaccins quel que soit le sérotype et par des indemnisations substantielles. Le FMSE(1) interviendra, a assuré Patrick Escure, mais il ne suffira pas, d’où les discussions en cours au niveau national pour que l’État vienne l’abonder de façon conséquente. Car Alain Troupenat
l’affirme, “il ne faut pas se leurrer, les animaux sauvés ne prendront jamais et j’ai peur qu’on ait une année blanche sur les mises bas de cet hiver, les éleveurs ne s’en remettront pas s’il n’y a pas une indemnisation forte”.
Sur le même sujet : https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/fievre-catarrhale-a-noel-il-y-aura-des-agneaux-mais-les-eleveurs-ont-besoin-d-un-soutien-des-pouvoirs-publics-estime-la-federation-nationale-ovine_6780139.html?fbclid=IwY2xjawFWcBBleHRuA2FlbQIxMQABHbzT6afSRYrguUkN4OQ3A7I1hpapCCZgAt2RZ4w-02-TsoMv-uz5jcw1xw_aem_uc9qsGcF08b2rBP-Ct-0xQ#xtor=CS2-765-%5Bautres%5D-
(1) Fonds de mutualisation sanitaire et environnemental, auquel les éleveurs cotisent.
Encore beaucoup d'inconnues
La question de la stérilité des béliers a été largement évoquée avec deux aspects : stérilité
provisoire (voire permanente) consécutive à l’hyperthermie provoquée par le virus, mais aussi celle que certains - comme un centre d’insémination belge - décrivent après la vaccination. “Le problème c’est que dans nos élevages, on n’a pas les moyens de faire un prélèvement, on va donc les mettre à la lutte sans savoir s’ils sont stériles ou pas...”, a expliqué Alain Troupenat.
Est-ce pertinent de vacciner contre la FCO-3 sur un cheptel où le sérotype 8 circule, “ne risque-t-on pas de perdre davantage d’animaux ?”, interroge un autre éleveur, bien conscient que comme pour le Covid, on avance un peu à l’aveugle sur ces nouveaux variants et vaccins.
Et quid de la capacité des moutonniers à reconstituer leur cheptel, une pénurie d’agnelles sur le marché étant à prévoir ?