Les vaccins vivants contre les salmonelles bientôt autorisés pour les pondeuses ?
Interdits jusqu’à présent, les vaccins vivants pourraient être autorisés pour lutter contre les salmonelles dans les lots de poules d’œufs de consommation.
Interdits jusqu’à présent, les vaccins vivants pourraient être autorisés pour lutter contre les salmonelles dans les lots de poules d’œufs de consommation.
La France ne fait plus partie des meilleurs élèves européens en termes de lutte contre les salmonelles en élevages de poulettes et pondeuses d’œufs de consommation. Selon l’autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa-2020), la France représente 29 % des cas européens en S. enteritidis (S.e) et 38 % en S. typhimurium (S.t). En 2020, la prévalence en S.e et S.t dans la filière ponte a atteint 2,56 %, contre 1,14 % en 2017.
C’est dans ce contexte épidémiologique dégradé que les pouvoirs publics français se sont engagés au début de l’année 2022 dans des discussions avec les professionnels afin de faire évoluer les arrêtés salmonelles révisés en 2018 qui concernent les élevages de plus de 250 poules.
L’aspect financier est sans doute entré en compte, dans la mesure où l’UE cofinance les programmes de lutte des États membres, et que l’objectif réglementaire de prévalence fixé par l’UE est de 2 % en pondeuses d’œufs de consommation et de 1 % pour les reproductrices.
Utiliser une arme supplémentaire
À l’heure actuelle, la France interdit l’utilisation des vaccins vivants, sauf dérogation préfectorale (1), alors que la réglementation européenne l’a rendue possible et que plusieurs pays la pratiquent à grande échelle en routine, voire l’exigent.
La principale nouveauté de la révision des arrêtés salmonelles concerne les vaccins vivants qui pourraient être autorisés, au même titre que les vaccins inactivés. En plus des mesures de biosécurité et de prévention sanitaire en vigueur, ils accroîtraient les moyens de maîtrise.
Ces vaccins ont l’avantage d’apporter rapidement une protection précoce contre la contamination, puis ultérieurement contre la transmission verticale. « Les vaccins vivants peuvent jouer un rôle essentiel dans la lutte contre les salmonelles, laquelle ne peut être que globale », affirme Richard Ducatelle, professeur en pathologie avicole.
Craintes françaises de l’échappement
Jusqu’à présent, les autorités françaises bloquent sur deux points. Le premier concerne le potentiel retour à la virulence des souches vaccinales, et par voie de conséquence leur dispersion dans l’environnement. « En trente ans, nous n’avons jamais observé ce phénomène (la réversion) dans les pays utilisant nos vaccins contre S.e et S.t », affirme Marc Henninger d’Elanco. Même avis de Nathalie Castagnos chez Ceva Santé animale. « Selon une étude de l’institut Koch en Allemagne, qui portait sur 17 700 souches de S.Enteritidis impliquées dans des toxi-infections collectives (Tiac) humaines, aucune d’entre elles n’était issue d’une souche vaccinale. »
L’autre réticence des autorités françaises s’adresse à la nécessité de différencier analytiquement une souche vaccinale d’une souche sauvage pour être sûr que le vaccin ne cache pas une contamination. Les concepteurs des vaccins savent le faire, puisque l’obtention de l’Autorisation de mise sur le marché européen (AMM) leur impose de fournir la méthode de différenciation.
Autorisation, mais toujours sous conditions
On peut se réjouir d’une telle évolution en faveur des vaccins vivants, mais le diable se cache dans les détails. Au lieu d’appliquer la règle européenne à la lettre, la DGAL envisage un emploi sous conditions, rappelant la dérogation en vigueur. Trois conditions sont actuellement requises : l’élevage des poulettes est adhérent à la charte sanitaire, l’atelier de ponte est charté et a été contaminé au cours des deux années précédentes, la fréquence et le nombre de contrôles sont accrus.
Actuellement, tous les élevages ne sont pas chartés, notamment ceux de petite dimension sachant que les détections sont en hausse dans cette tranche.
Les professionnels espèrent que leur demande de prise en compte de l’arrêté Biosécurité de septembre 2021 pourra remplacer la charte sanitaire.
Un contrôle bactériologique renforcé est également en discussion (fréquence et prélèvements plus élevés). Un avis scientifique a été ou va être demandé à l’Anses.
Pour le vétérinaire Éric Bonjour, « la position actuelle de la France revient ni plus ni moins à contester les avis de l’agence européenne des médicaments (Ema) et de l’autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), qui ont permis d’aboutir à la délivrance d’AMM pour les vaccins vivants. Les professionnels attendent un usage libre et sans condition de ces médicaments qui font leurs preuves ailleurs. »
Les crises sanitaires et le manque de moyens humains de la DGAL ont momentanément mis le projet de côté, qui devait être finalisé au premier semestre. Peut-être le sera-t-il en 2023… D’ici là, les professionnels espèrent trouver un terrain d’entente avec l’administration.
Un problème de santé publique
Les salmonelles sont responsables d’un grand nombre de toxi-infections provoquées par l’ingestion d’aliments contaminés. Elles sont en tête du palmarès en France et secondes en Europe (20 cas pour 100 000 Européens), devant ou derrière Campylobacter.
Les œufs et leurs produits dérivés sont mis en cause dans 44 % des cas à agents identifiés, selon l’autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa-2020). C’est pourquoi, depuis 2003, la réglementation européenne a visé à éradiquer dans la filière œuf cinq des sérovars touchant le plus fréquemment l’Homme. La France a adapté cette réglementation à travers les arrêtés salmonelles. Les autres productions réglementées sont la dinde et le poulet de chair, les bovins et les porcins étant pour l’instant épargnés.
Trois vaccins vivants homologués en France
Deux laboratoires fabriquent trois vaccins vivants salmonelles commercialisés en Europe, ayant déjà une AMM en France : en 2009 Avipro Salmonella vac E d’Elanco contre S. enteritidis (S.e) ; en 2011 Avipro Salmonella Duo et Salmovac de Ceva Santé animale en 2021, tous deux contre S.e et S.typhimurium.
La « contre analyse » reste interdite
Dans le projet d’arrêté salmonelles, l’impossibilité de pratiquer de nouvelles analyses en cas de positivité du lot sera probablement maintenue.
Imposée depuis 2018, l’interdiction de confirmer une détection interpelle les professionnels. Certains estiment qu’un échantillon d’environnement positif ne prouve pas que le lot soit contaminé par cette salmonelle.
L’argument scientifique contre la confirmation s’appuie sur le fait qu’une poule contaminée ne pond pas en permanence des œufs contaminés et qu’en plus ils ne le sont pas tous (entre 1 sur mille et 1 sur cent). La salmonelle peut rester en sommeil « plusieurs mois dans les poussières sèches si elle est stressée », a affirmé Richard Ducatelle, professeur belge renommé, intervenant lors d’un séminaire organisé en juin par Elanco. Avoir une seconde analyse négative ne lèverait donc pas le doute.
Opposition entre chercheur et praticien
Vétérinaire salarié d’entreprises de génétique, Éric Bonjour a « très formellement contesté » qu’une salmonelle resterait résidente « à vie » dans un troupeau. Il invoque son expérience sur des lots en sélection retrouvés une fois porteurs d’une salmonelle à l’entrée en ponte, mais jamais plus ensuite, malgré de très fréquents contrôles. « Pour moi, l’excrétion intermittente est un dogme. »
Le professeur Richard Ducatelle a précisé que des essais étaient en cours aux Pays Bas et qu’il attendait les résultats avec curiosité. L’étude est menée alors que des éleveurs néerlandais ont contesté en justice l’interdiction de confirmation et ont obtenu gain de cause. Début septembre, le tribunal néerlandais a demandé un arbitrage à la Cour de Justice européenne.