Les conditionneurs CDPO et Sodine ont boosté la production d’œuf dans le Grand Est
À l’initiative de deux entrepreneurs marnais, la production des œufs de consommation connaît un véritable boom depuis dix ans en Champagne-Ardenne.
À l’initiative de deux entrepreneurs marnais, la production des œufs de consommation connaît un véritable boom depuis dix ans en Champagne-Ardenne.
Depuis moins de dix ans dans l’est de la France, et particulièrement en ancienne Champagne-Ardenne, les élevages de poules pondeuses d’œufs de consommation ont poussé comme des champignons. C’est l’œuvre de deux personnages discrets, mais efficaces. Ni l’un, ni l’autre n’aiment être sous le feu des projecteurs et des médias, fussent-ils agricoles.
Il s’agit du marnais de naissance Olivier Flambert (groupe Sodine) et de celui d’adoption Jean-Marc Philippe (groupe CDPO), venu de la Brie en 2003 pour installer son nouveau centre de conditionnement. Celui-ci est situé dans la campagne à Esternay, comme celui d’Olivier Flambert à Sommery-Tahure. À eux deux, les entrepreneurs marnais commercialisent 1.3 milliards d’œufs, soit presque 10 % de la production française, dont 900 millions produits dans l’Est.
Deux stratégies de développement
Les deux hommes ont adopté deux stratégies différentes pour approvisionner en œufs frais les GMS et leurs plateformes de distribution. Associé avec ses deux frères Thierry et Nicolas (qui s’est retiré il y a quatre ans), Olivier Flambert a joué la carte de l’autoproduction. Il tient à maîtriser sa filière depuis l’élevage des poulettes et la fabrication d’une partie de son aliment. « On sait faire tous les métiers. » C’est le modèle de la ferme de ponte, considéré le plus efficient dans les années 70-90 et appliqué par tous ceux voulant rester indépendants des structures coopératives ou privées. Ce qui n’a pas empêché Sodine de s’associer pour obtenir des marchés nationaux. Ce fut la création du GIE Appro -Lustucru en 1986, qui a fusionné en 2014 avec l’autre réseau d’indépendants Œuf de nos villages (17 adhérents aujourd’hui). Jean-Marc Philippe a démarré sur ce modèle de la ferme de ponte, mais a pris un tournant lorsqu’il s’est décidé de séparer le conditionnement de l’exploitation et de devenir le spécialiste national de l’œuf sous marques de distributeur (77 % des volumes aujourd’hui). Ayant des besoins importants en œuf alternatif dès 1996, il est devenu plus commerçant que producteur, ce qui l’a conduit à aller chercher l’œuf là où il se trouvait. C’est-à-dire en Bretagne, notamment en Côtes d’Armor (coopératives Le Gouessant et UCA devenue Nutréa).
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Le virage alternatif avec des poules plus proches
Sodine s’est à son tour adapté quand il lui a fallu progressivement basculer vers des modes d’élevage alternatifs à la cage (code 0 et 1). À partir de 2010, Olivier Flambert a fait appel à des producteurs locaux qu’il a incité à s’installer. Ce qui lui a évité des investissements importants, au moment de la mise aux normes de ses bâtiments en cages (code 3) et plus récemment pour réinvestir dans l’œuf sol (code 2). Sodine a pris soin de les « sélectionner ». Pour réduire les coûts logistiques, 80 % d’entre eux se trouvent à moins de 80 km du centre de Sommery Tahure. Olivier Flambert tient beaucoup au tryptique « responsabilité-indépendance-liberté ». « Tout le monde ne peut pas produire de l’œuf. Il faut être très motivé, avoir un esprit d’entrepreneur et ne pas compter sur l’œuf pour sauver une exploitation en difficulté. Ce sont des partenaires sur le long terme. » Sodine propose un contrat de rachat d’œufs sur dix ans. Pour le reste, ils sont libres de se fournir là où ils souhaitent, dans la mesure où ils respectent le cahier des charges. Aujourd’hui, tous les œufs plein air et 60 % des œufs bios sont produits par eux, ce qui représente presque la moitié des poules. Chez CDPO, Jean-Marc Philippe s’est finalement décidé à relocaliser la production autour du centre à partir de 2008. Il fallait convaincre des cultivateurs et ce fut long. « Personne n’y croyait, notamment en Bretagne. Avec Philippe Lapie, chargé du développement, on a visé un large rayon de 250 km pour monter des unités de 20 000 places en plein air, puis du Bio en 12 000 places. Le premier plein air a été fait chez mon frère en Seine et Marne. Les débuts ont été durs, mais c’est allé au-delà de nos espérances. »
Aujourd’hui, l’origine Bretagne représente encore 40 % des volumes (plus en cage et sol, quasiment tout en label rouge). Le reste provient de 5 régions : 21 % du Grand Est (la moitié des bâtiments sont en Ardennes, Aube et Marne), 16 % des Hauts de France et presque autant d’Ile de France (y compris les élevages en propriété), 3.7 % d’Auvergne-Rhône-Alpes et 3 % de Bourgogne Franche Comté. « Nous avons cessé de développer et les derniers bâtiments s’achèveront en 2021. » À moyen terme, l’origine Bretagne pèsera 20 à 25 % avec de l’œuf au sol. Les nouveaux éleveurs ont une garantie de contrat de douze ans et bénéficient d’un suivi technique dédié. « Aujourd’hui, l’œuf sauve des exploitations céréalières malmenées. Depuis quelques mois, nous croulons sous les demandes. Nous aurions pu signer pour 2 millions de poules en plus. »
Faire une pause et observer le marché
Leur préoccupation actuelle est de trouver le bon compromis entre les quatre codes d’élevage, afin de coller au mieux à un marché de plus en plus segmenté. « Vu le coût de production des œufs bios, les pénalités en cas de manque de marchandise nous coûtent très cher. Elles vont devenir problématiques », souligne Jean-Marc Philippe. Quant à Olivier Flambert qui partage cet avis, il continue à convertir ses bâtiments cage en sol. Mais, il se demande "où se trouve le bon positionnement de cette dénomination au nom qui n’évoque rien au consommateur ?" Après avoir atteint leurs objectifs de développement, tous deux ont décidé d’être prudents et de faire une pause. Ils laisseront le soin à la génération suivante de continuer leur aventure. Chez Sodine, quatre petits enfants du créateur sont déjà impliqués dans l’entreprise, tandis que chez CDPO Pascaline et Jean-Philippe passent progressivement le relais à deux de leurs enfants, Anne-Sophie et Marc-Henri.
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La génération du commerce de masse
Malgré leurs divergences, Olivier Flambert et Jean-Marc Philippe ont des points communs. Tous deux sont de la même génération, autour de la soixantaine, et fils d’agriculteurs. Ils sont tous deux « tombés dans les œufs » dès leur naissance. Le premier avec son père marnais qui était cultivateur, mais aussi éleveur de moutons, puis de poules. La mère du second né en Brie vendait en direct les œufs de ses 8 000 poules. Tous deux ont eu des ambitions différentes de leurs aînés dans l’approche du métier de l’œuf. Jean Marc Philippe, le plus âgé, a démarré sur la ferme familiale de Cerneux (Seine et Marne) en 1990. « Je me suis installé avec mon frère cadet Dominique, et nous avons construit un bâtiment de 40 000 poules en cage avec du matériel d’occasion. Nous voulions vendre à la GMS de Paris et d’Ile de France. Mon premier client m’a pris des œufs parce qu’il a vu à l’état de mes mains que j’étais un vrai producteur. »
Faire de l’œuf pour toutes les bourses
Quant à Olivier Flambert, il s’est installé en 1985, en voulant lui aussi conditionner et vendre aux GMS régionales. « Mon père s’est investi dans l’œuf à partir de 1972 et vendait à un conditionneur qui captait la valeur ajoutée. Produire des œufs ne lui rapportait pas plus que de cultiver. De plus, il avait plus de travail à fournir. C’est pour cela qu’il n’y avait pas d’élevages de pondeuses conséquents dans cette région de grandes cultures qui rapportaient bien. » Tous deux fournisseurs des GMS, ont compris la nécessité de fournir des œufs au juste prix et pour toutes les bourses. « Le prix reste un élément clé quel que soit le mode d’élevage », martèle Jean-Marc Philippe. Tous deux n’ont donc pas fait de surenchère sur les modes d’élevage alternatifs.