Vins chauds : les levures séduisent plus que la désalcoolisation
Pour limiter l’augmentation des degrés alcooliques, les nouvelles souches de levures à faible rendement fermentaire séduisent doucement alors que les techniques physiques de désalcoolisation partielle suscitent moins d’engouement.
Pour limiter l’augmentation des degrés alcooliques, les nouvelles souches de levures à faible rendement fermentaire séduisent doucement alors que les techniques physiques de désalcoolisation partielle suscitent moins d’engouement.
Les teneurs élevées en alcool peuvent perturber l’équilibre organoleptique des vins en accentuant le caractère brûlant et en masquant les arômes fruités. Plusieurs techniques permettent de limiter le problème comme privilégier des cépages moins alcooleux, récolter plus tôt, ne pas érafler, fermenter en levures indigènes, assembler avec des cuvées moins alcoolisées… sans parler de l’ajout d’eau, illégal dans l’Union européenne.
Deux outils plus récents se sont ajoutés à cet éventail de solutions : des souches de levures commerciales et les techniques physiques de désalcoolisation.
Les levures à moindre rendement alcoolique présentent un double intérêt : elles limitent les teneurs en alcool tout en acidifiant, car elles produisent davantage d’acides et autres composés à partir des sucres et donc moins d’éthanol. L’effet « désalcoolisation » est cependant limité : on trouve au moins trois souches sur le marché qui permettent de perdre de l’ordre de 0,5 % d’alcool et jusqu’à 0,2 point de pH. Concerto de Chr. Hansen, commercialisée depuis 2011, est une non-saccharomyces (Lachancea thermotolerans) qui produit surtout de l’acide lactique additionnel (environ 0,5 g/l). Hansen annonce un marché en augmentation dans le Grand Sud de la France et à l’étranger (Australie, USA, Italie, Espagne, etc.), aussi bien auprès des particuliers que des caves coopératives. Selon Nicolas Prost, responsable commercial, « on intervient surtout sur vins rouges notamment les grenaches. Mais nous avons eu un gros développement sur les rosés cette année, qui sont rentrés à plus de 13 %. Nous avons même fait des essais sur des vins de base pour effervescents. » L’ensemencement initial à 20 g/hl est théoriquement suivi d’un ensemencement classique avec une cerevisiae trois jours après. « Quelques vinificateurs prolongent volontairement la phase en non saccharomyces pour désalcooliser et acidifier davantage. » La souche a mené des fermentations jusqu’à 14 % en ensemençant à 30 - 40 g/hl au départ.
Une perte d’alcool qui peut aller jusqu’à un degré
Levulia Alcomeno, autre souche de Lachancea thermotolerans commercialisée par AEB depuis 2015, est, elle, produite en bio. Elle est davantage utilisée sur vins blancs, « en Italie, au Portugal, dans le Sud de la France et même en Alsace », annonce Coralie Pagani œnologue AEB. La perte d’alcool et le gain d’acidité varient selon la dose d’ensemencement. « Sur des cuvées classiques, non assemblées ultérieurement, nous conseillons des doses de 5 g/hl seulement. L’effet peut être augmenté avec un ensemencement à 20 g/hl. Nous avons ainsi perdu plus d’un degré d’alcool et gagné 0,3 point de pH sur un Auxerrois alsacien. Mais à ces doses, le vin doit nécessairement être assemblé, il peut développer des arômes floraux trop typés. »
La dernière, Ionys de Lallemand, est, elle, une Saccharomyces cerevisiae lancée en 2016. Elle assure donc la totalité de la fermentation sans nécessiter de double inoculation. Contrairement aux précédentes, elle surproduit moins d’acide lactique à partir des sucres mais davantage d’autres acides (succinique, malique, alpha cétoglutarique) et du glycérol. Préconisée pour vins rouges, son impact sur la réduction d’alcool est optimisé avec des fermentations à plus de 24 °C. Commercialisée à 50 euros le kilo environ, elle revient moins cher que les non-saccharomyces pour lesquelles il faut compter un surcoût de l’ordre de 2 euros/hl de vin.
D’autres souches devraient suivre, les fournisseurs annoncent tous poursuivre les recherches en microbiologie pour s’adapter aux vendanges très mûres.
La désalcoolisation en technique corrective
Autre alternative, les techniques physiques de désalcoolisation partielle des vins permettent de baisser facilement le taux d’alcool de 2 ou 3 % sur vin fini. Pourtant plus anciennes et efficaces, elles n’ont pas percé comme on pouvait l’attendre. « Ce n’est effectivement pas l’activité qui nous occupe le plus mais ça monte tout de même doucement en puissance », explique Éric Lecoeuvre, directeur de Gemstab. Sa société propose la désalcoolisation en prestation de service depuis cinq ans, par passage sur osmoseur et contacteur membranaire. « Nous avons une centaine de clients sur le Grand Sud-Est et Bordeaux et à l’étranger. On touche essentiellement des particuliers et des coopératives, pour limiter les degrés un peu élevés des vins haut de gamme et également quelques négociants qui veulent ajuster le degré pour être conforme au TAV annoncé sur les étiquettes pré-imprimées. »
Même son de cloche chez Michael Paetzold qui effectue également des prestations de service de désalcoolisation, par passage sur osmoseur et distillation du perméat. Pour Fabrice Delaveau, son directeur, « c’est une prestation qui est vue comme une technique corrective alors qu’elle est pourtant très intéressante en technique améliorative : en enlevant 2 ou 3 dixièmes de degré on améliore le profil organoleptique des vins : on obtient plus de fruité, de longueur. Le recours à la désalcoolisation est beaucoup plus systématique en Afrique du Sud ». La technique coûte tout de même entre 4 et plus de 10 euros l’hectolitre selon les volumes traités.
« Au Portugal, la désalcoolisation n’est pas rare »
« Au Portugal, on vinifie de plus en plus les rouges avec les rafles (30 à 100 %), ce qui fait baisser les degrés de 3 à 5 dixièmes. Et on ensemence avec des non-saccharomyces comme Concerto. Je peux les laisser fermenter 4 à 5 jours avant d’inoculer les saccharomyces. Entre l’impact des rafles et celui des non-sacc, on perd plus d’un degré, sans déviations organoleptiques. Les fermentations se déroulent plutôt mieux car on ne sulfite pas.
Les années plus chaudes, comme 2017, il n’est pas rare d’avoir recours à la désalcoolisation sur vin fini, par osmose inverse et contacteur membranaire. En général, on désalcoolise une cuvée de 2 à 3 % que l’on utilise en assemblage ensuite. À mon avis, la technique de désalcoolisation pourrait être largement plus utilisée : je n’ai eu aucun impact organoleptique négatif, au contraire, on récupère de la fraicheur avec un meilleur profil aromatique.
Enfin on gère également les degrés élevés en jouant sur les cépages. On privilégie le touriga franca qui produit moins d’alcool, comme en France, on privilégiera la syrah, le carignan ou le marselan pour juguler le côté alcooleux du grenache. »
Stéphane Yerle, consultant vitivinicole dans le Languedoc
Et le désucrage des moûts ?
Le procédé de désucrage membranaire des moûts Rédux n’a pas percé en Europe, entre autres parce qu’il engendre des pertes de volumes importantes. « En Turquie, un de nos clients l’utilise en ajoutant de l’eau purifiée avant traitement, ce qui lui permet de désucrer sans perte de volume et sans diluer les autres constituants », confie Bernard Legrix de la Salle, responsable communication chez Bucher Vaslin.
Des techniques microbiologiques de désucrage par respiration de levures ou enzymage font toujours l’objet de recherches.