Comment vinifier sans thermorégulation ?
En l’absence de thermorégulation, mieux vaut utiliser de petits contenants de forte inertie thermique et privilégier les techniques de vinification qui tempèrent la production de biomasse levurienne, afin d’éviter les pics de température. Témoignages.
En l’absence de thermorégulation, mieux vaut utiliser de petits contenants de forte inertie thermique et privilégier les techniques de vinification qui tempèrent la production de biomasse levurienne, afin d’éviter les pics de température. Témoignages.
Au Mas des Capitelles, situé en plein cœur de l’AOP faugères, drapeaux, serpentins et autres échangeurs tubulaires n’ont pas leur place dans le chai de vinification. Depuis que Cédric Laugé a quitté la coopérative du village pour s’installer en cave particulière avec son frère Brice en 1999, le vigneron prône une vinification la moins interventionniste possible. « Je pars du principe que si l’on régule la température, on fait des vins technologiques, parce qu’on influence les arômes. Et ce n’est pas ma philosophie », avertit Cédric Laugé.
Maintenir la température du chai à 21 °C grâce à la climatisation
Sur les 29 ha que compte le Mas des Capitelles, l’encépagement se compose uniquement de cépages rouges. « C’est aussi pour ça que je peux me passer de thermorégulation. Les blancs fermentés à hautes températures n’ont plus aucune fraîcheur », affirme Cédric Laugé. Les premières années, le vigneron a bien essayé de faire du rosé dans un tank à lait. Mais il a vite abandonné. « Ça faisait des vins trop alcooleux », déplore-t-il. Pour limiter les montées en température et éviter les arrêts de fermentation, Cédric Laugé a développé sa propre façon de faire. Tout commence plusieurs mois avant la récolte, alors que la vigne est encore endormie. « Je ne taille jamais avant le mois de mars, de sorte à vendanger tardivement. Cela me permet de rentrer des raisins entre 16 et 20 °C, même si je vendange la journée » concède le chef d’entreprise dont les vignes bénéficient par ailleurs de la fraîcheur liée aux 400 m d’altitude. Cédric Laugé ne récolte jamais avant la deuxième quinzaine de septembre. Le chai, qui est équipé depuis peu d’un système de climatisation, est maintenu à une température proche de 21 °C. « Avant, j’utilisais un système d’arrosage du toit, mais ce n’était pas optimal », constate le viticulteur. Pour Guillaume Guerlot, cogérant de la société Seturec, spécialisée dans la conception de bâtiments dont des chais, la climatisation est un minimum. « L’idée est de l’utiliser le moins possible. Mais on a désormais fréquemment des épisodes de grosses chaleurs, même tardivement, donc il faut une climatisation au cas où », analyse le spécialiste. Il prône par ailleurs la conception bioclimatique des chais : exit hangars et bâtiments de structure métallique qui piège la chaleur. « Même avec un bon isolant ce n’est pas top », assure Guillaume Guerlot.
Séparer le jus du marc pour éviter les pics de température
Au Mas des Capitelles, les raisins sont vinifiés dans des cuves béton de 105 hl. La taille de la cuve joue évidemment un rôle primordial sur le contrôle des températures. « Jusqu’à 200 hl, ça passe. Au-delà, sans thermorégulation, c’est ingérable », estime Cédric Laugé. Immédiatement après l’encuvage, Cédric Laugé réalise un délestage et remet le jus dans la cuve initiale au bout de 10 minutes. Par la suite, le vigneron effectue cette même opération à plusieurs reprises. « Dès que les températures atteignent 28 °C, je fais un délestage et je laisse le jus séparé du marc pendant une nuit », indique le vinificateur. Il affirme ainsi pouvoir faire redescendre le moût autour de 22 °C. « C’est sûr que j’extrais deux fois plus en procédant ainsi. Mais je fais des vins de garde donc ça ne me gêne pas que les vins soient structurés. » Tous les deux jours, Cédric Laugé prélève un échantillon de moût qu’il soumet à son laboratoire afin de contrôler l’activité des levures indigènes. Lorsque le moût atteint 1 010 de densité, il stoppe les délestages et passe aux remontages dont la fréquence et la durée sont décidées en fonction des dégustations quotidiennes. Il fait cela jusqu’à ce que la cuve soit sèche.
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Éviter les à-coups pendant le déroulement de la fermentation alcoolique
Toujours dans l’Hérault mais cette fois-ci à Nizas, au sein de l’aire d’appellation languedoc-pézenas, le Domaine les Aurelles n’est pas non plus équipé de thermorégulation. « Au départ c’était un choix économique, mais comme je n’ai jamais eu de problème, je n’ai pas vu l’intérêt d’installer de thermorégulation », indique Basile Saint-Germain, gérant du domaine. Davantage pour des questions d’organisation, les vendanges au Domaine les Aurelles se font uniquement le matin. Tout comme Cédric Laugé, Basile Saint-Germain estime que le volume des cuves de vinification fait pour beaucoup. « Plus c’est petit, plus il est facile de contrôler les montées en température. Mais attention, cela crée d’autres problèmes », averti-t-il. Il utilise de petites cuves d’une contenance de 50 hl, plus larges que hautes et à fond plat, de sorte à optimiser la surface de contact entre la vendange et le matériau. Selon le vinificateur, ce dernier joue d’ailleurs un rôle primordial dans la maîtrise des températures. « J’utilise des cuves en acier émaillé qui ont une inertie thermique bien meilleure que les cuves inox », affirme le vigneron. « Je vinifie mes rouges en baies entières, avec parfois un léger remontage en début de FA. Mais je gère plutôt l’extraction sur le principe de l’infusion », témoigne Basile Saint-Germain. Pour lui, la vitesse de fermentation est un facteur clé de la maîtrise des températures. « J’utilise des levures sélectionnées, dont le travail est de transformer les sucres en alcool, ni plus ni moins, et pas trop rapidement », rapporte-t-il. Il constate qu’il faut absolument éviter les à-coups pour éviter les pics de température. Il n’a donc pas recours aux nutriments. En moyenne, ses FA s’étalent sur trois semaines. Basile Saint-Germain n’a jamais relevé de températures de fermentation excédant 27 °C dans ses cuves de rouge.
Pour sa cuvée 100 % roussanne, Basile Saint-Germain utilise des cuves en acier émaillé de 18 hl. « Les lots ne fermentent pas en même temps car on récolte en trois à quatre passages », indique-t-il. Il vinifie son blanc dans une partie de la cave qui est enterrée, où la température est naturellement plus fraîche. Cela suffit pour éviter les montées en températures. « A priori mes levures sont plutôt disciplinées », s’amuse-t-il.
Avis d’expert : Laurent Chancholle, œnologue consultant indépendant, en Gironde.
« Les températures élevées limitent la plage de temps favorable à l’extraction »
« Sans capacité de froid pour les vinifications, je conseille de vendanger la nuit ou le matin afin de ne rentrer que des raisins frais. Pour les blancs et les rosés, selon la température du moût après pressurage, il faudra adapter son mode de débourbage et préférer la flottation si le moût est à plus de 8 °C. Le risque étant de démarrer la FA sur bourbes, utiliser du SO2 et/ou de la bioprotection avec une souche non-saccharomyces à forte capacité d’implantation et très faiblement fermenteuse, pour ralentir le développement des Saccharomyces cerevisiae. Pour les rouges, si la température du moût encuvé est supérieure à 12 °C, lancer directement la FA, sans macération préfermentaire. En cours de fermentation, le risque est de voir s’emballer la cinétique avec un pic de température pouvant entraîner un languissement voire un arrêt de FA, avec un développement potentiel de bactéries et levures d’altération, associées à une dégradation de la composante aromatique. Afin de limiter ces effets, préférer un levurage maîtrisé avec une souche reconnue pour sa capacité à fermenter de manière régulière mais sécurisée. S’il y a besoin de nourrir les levures, ne pas apporter d’azote assimilable massivement en tout début de FA, qui aurait pour effet d’augmenter démesurément la biomasse levurienne et donc de favoriser la montée en température. Préférer une nutrition fractionnée. Pour l’extraction sur marc en vinification rouge, privilégier les actions en tout début de fermentation, car les températures qui vont monter vont accélérer la fermentation et donc limiter la plage de temps favorable à l’extraction. Il faudra en fin de fermentation alcoolique se concentrer sur des remontages d’homogénéisation et de mouillage de marc afin de limiter l’extraction de tanins grossiers par effet dissolvant de l’alcool associé à une température élevée. »