Faut-il vraiment arracher les pieds de vigne atteints par la flavescence dorée ?
En Italie, l’arrachage des ceps atteints de flavescence dorée est remis en question par certains chercheurs. Mais en France, le rétablissement de la vigne est un sujet délaissé. À tort ou à raison ?
En Italie, l’arrachage des ceps atteints de flavescence dorée est remis en question par certains chercheurs. Mais en France, le rétablissement de la vigne est un sujet délaissé. À tort ou à raison ?
Antoine Caudwell a consacré toute sa carrière Inra à l’étude du phytoplasme de la flavescence dorée, depuis son apparition en Gascogne en 1953 jusqu’en 1993. Pour lui, les instituts techniques et les autorités se sont fourvoyés en rendant obligatoire l’arrachage des ceps atteints par la maladie. « Il existe un phénomène de rétablissement que l’on a totalement occulté aujourd’hui », estime-t-il. Ce phénomène, le chercheur l’a constaté très tôt, alors qu’il essayait de transférer des pieds atteints de flavescence dorée en laboratoire, afin de les étudier. « Nous les déplacions, et lorsqu’ils redémarraient au printemps, ils n’étaient plus malades, se souvient-il. Ce n’est pas banal ! »
Cette rémission, qui peut être plus ou moins rapide et effective, le chercheur l’a étudiée en détail, et a établi un classement de sensibilité des différents cépages. Et partant de ce constat, il se dresse en fervent défenseur du maintien des ceps atteints. « Cela coûte bien moins cher d’attendre 3 à 4 ans que la vigne se rétablisse plutôt que d’arracher et replanter », juge-t-il.
Les autorités n’ont pas voulu prendre de risque
Selon Antoine Caudwell, qui a participé à la rédaction du premier arrêté de lutte dans le Languedoc, dans les années 90, les autorités publiques n’ont tout simplement pas voulu prendre de risque, et ont généralisé une pratique qui n’était alors pas justifiée. « L’idée d’arracher les vignes malades vient du vignoble bio, où il n’y avait aucune solution », précise son ancien confrère Jean Larrue, également retraité de l’Inra. Une pratique d’autant peu justifiée que la majorité des contaminations se fait par le matériel végétal, selon les deux scientifiques.
Un argument démonté par David Amblevert, président de la Fédération française de la pépinière viticole (FFPV). Selon lui, de nombreux efforts ont été faits dans la filière et aujourd’hui la principale cause de propagation de la maladie est la voie aérienne. Autre limite pointée par les scientifiques, la transmission par la cicadelle se fait principalement l’année où apparaissent les symptômes, et l’arrachage intervient l’hiver suivant. Pour Antoine Caudwell et Jean Larrue, la meilleure stratégie à mettre en place est avant tout de disposer de ceps sains à la plantation, et ensuite de traiter rigoureusement contre la cicadelle vectrice dans les zones infestées. « Le temps d’incubation du virus dans l’insecte est de trente jours, rappelle Antoine Caudwell. Le trentième jour après la première éclosion, il faut que le nombre de cicadelle soit égal à zéro. » Mais pas d’arracher les pieds atteints.
Une stratégie qui semble efficace dans la pratique, à en croire une étude italienne de l’université d’Udine. Pendant neuf ans, entre 1994 et 2002, des scientifiques ont suivi le comportement d’une parcelle de 1 145 pieds, située à Valdobbiadene, en zone d’appellation prosseco. Ils ont réussi à résoudre le problème de la flavescence dorée en appliquant des traitements contre Scaphoideus titanus, sans arracher et en attendant le rétablissement des ceps. Après un pic de symptômes sur 65 % des plants en 1996, la parcelle s’est stabilisée en 1998 pour atteindre entre 0 et 0,5 % de symptômes jusqu’en 2002.
L’arrachage est un moyen de diminuer la lutte insecticide
Pour Xavier Foissac, directeur de recherche à l’Inra de Bordeaux et spécialiste des phytoplasmes, laisser les ceps malades en place n’est toutefois pas une bonne solution. « Cela veut dire que l’on se condamne à une lutte insecticide à vie, argumente-t-il. Ce n’est pas vraiment le sens dans lequel on souhaite aller, que ce soit pour l’environnement ou pour éviter l’apparition de résistances chez les insectes. » Le chercheur ajoute que, si le rétablissement des ceps est une réalité, il ne concerne jamais 100 % des individus. « Il y aura toujours 5 à 20 % des plants, au mieux, qui resteront atteints et constitueront un potentiel inoculum. » Et de compléter que certains doutes planent encore sur la présence du phytoplasme dans les vignes rétablies. « Comment être sûr qu’il disparaît complètement, et non pas qu’il reste présent mais en dessous du seuil de détection ? », questionne-t-il.
Il n’en reste pas moins que le délaissement du sujet de rétablissement chez les chercheurs français interroge. En particulier au regard des travaux italiens. Andrea Schubert, chercheur à l’Université de Turin, affirme que nous devons trouver « une nouvelle stratégie de lutte orientée sur les capacités de la plante à tolérer le phytoplasme, ce qui nécessite une étude approfondie de la relation entre la vigne et le parasite. » Des recherches qui sont déjà en bonne voie chez nos voisins transalpins. La scientifique Sabrina Palmano, du Consiglio Nazionale delle Ricerche, a déjà trouvé une relation entre la concentration des feuilles en tanins et la sensibilité des cépages sur nebbiolo et barbera. De son côté, Elisa Gamalero, de l’université du Piémont oriental, a testé sur la pervenche de Madagascar l’effet préventif de l’introduction de la bactérie Pseudomonas migulae 8R6 dans la plante. Elle a prouvé une diminution de l’infection de 13 %, et de 40 % pour les symptômes. Des expériences qu’il serait difficile de mettre en place en France, puisque tout cep infecté doit désormais être arraché, même dans les parcelles de l’Inra…