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[Effervescents] Une bulle naturelle, mais pas sans maîtrise

En Bourgogne, le laboratoire Moreau Œnologie a mis en place des essais afin d’établir un protocole d’élaboration des pétillants naturels, aussi appelés Pet’Nat’. Voici les principaux enseignements de ces expérimentations menées en conditions réelles.

Marc Soyard (à gauche) et Antoine Miguel (au centre), qui ont participé aux essais, ont identifié le dégorgement comme le point critique dans l'élaboration des pétillants naturels.  © J.Gravé
Marc Soyard (à gauche) et Antoine Miguel (au centre), qui ont participé aux essais, ont identifié le dégorgement comme le point critique dans l'élaboration des pétillants naturels.
© J.Gravé

D’un côté, il y a des consommateurs à la recherche de vins effervescents différents, moins conventionnels. De l’autre, il y a des vignerons qui ont envie de faire « quelque chose de différent, moins contraignant que les effervescents sous appellation », comme l’explique Marc Soyard, régisseur du domaine de la Cras, en Côte d’or, qui élabore un pétillant naturel à partir de pinot noir.

Et au milieu, il y a une offre de vins produits selon le principe de la méthode ancestrale de qualité extrêmement variable. « Bouteilles gerbeuses, trop de dépôts, bulles grossières, oxydation, goût de souris… Ces défauts autant constatés par les vignerons-élaborateurs que les distributeurs nous ont poussés à mettre en place des essais pour identifier les points critiques lors de l’élaboration des Pet’Nat’», lance Richard Angonin, œnologue chez Moreau Œnologie.

Marc Soyard, Antoine Miguel, apprenti BTS chez Chapuis & Chapuis, à Pommard, et Alexandre Deletraz, vigneron à la Cave des amandiers dans le Valais suisse, se sont prêtés au jeu de l’expérimentation sur le millésime 2018. « Nous avons vendu nos 250 bouteilles très rapidement, mais avant d’augmenter les volumes, il nous faut mieux maîtriser le process afin de gagner en répétabilité », témoigne Antoine Miguel, qui élabore son pétillant naturel à base de bourgogne aligoté.

Trois positions de bouteilles lors de la prise de mousse évaluées

Les vignerons ont laissé les fermentations alcooliques (FA) démarrer spontanément puis, ils les ont stoppées par un passage au froid, avant de mettre en bouteille entre 1 007 et 996 points de densité selon les caves. Seul Marc Soyard n’a pas filtré le vin. Les sucres résiduels et la densité au moment du tirage ont été relevés. Les essais se sont poursuivis avec l’étude de trois modalités de position de bouteille pendant la prise de mousse : couchées, debout, et sur pointe. Une fois les prises de mousse terminées, les vignerons ont mesuré les teneurs en sucres résiduels et la pression dans les bouteilles.

Selon les caves et les modalités, les prises de mousse ont duré entre quinze et quarante-cinq jours. Sans surprise, les meilleurs résultats concernant la consommation des sucres s’observent dans les bouteilles couchées, qui maximisent la surface de contact vin-levures. La totalité des bouteilles debout sur pointe contient encore des sucres résiduels, et même jusqu’à 13,2 g/l. Un résultat toutefois à mettre en relation avec la densité du vin embouteillé, la plus élevée de toutes les modalités, soit 1 007.

« Si la fermentation patine un peu, il est possible de faire un léger remuage mais il est primordial de s’équiper de gants, tablier et lunettes, car il existe bel et bien un risque d’explosion des bouteilles », avertit Sarah Moreau, œnologue et cogérante du laboratoire. Mais alors qu’une FA complètement achevée est primordiale pour l’élaboration d’un vin tranquille, la donne est différente avec les pétillants naturels.

Une légère sucrosité est souvent appréciée par le consommateur. « Nous avons fait déguster les vins soixante jours après le tirage à un jury de 14 dégustateurs, indique Sarah Moreau. Ils ont globalement préféré les modalités sur pointe, plaçant la sucrosité comme facteur clairement discriminant." Pour maintenir une certaine sucrosité sans risquer un arrêt de FA trop précoce, la position debout sur le fond s’avère être un bon compromis, « mais attention, le produit est forcément moins stable », rappelle Sarah Moreau. Un choix qui peut par la suite influencer la décision de sulfiter, ou pas.

Des pertes au dégorgement pouvant aller jusqu’à un quart de la bouteille

La pression dans la bouteille a également fait l’objet d’une analyse car elle impacte la taille de la bulle. Celle-ci fait partie intégrante des critères de « buvabilité » d’un vin aux yeux d’un consommateur à la recherche de toujours plus de finesse. Pour Sarah Moreau, nul besoin de viser les 6 bars de pression imposés dans la plupart des appellations effervescentes. « Une pression entre 3 et 5 bars à 10 °C est suffisante pour avoir de la fine bulle », pointe l’œnologue. Le dégorgement est identifié par les vignerons comme le point critique par excellence. « Les précipitations tartriques compliquent le dégorgement. Nous avons essayé de faire précipiter le tartre en ramenant la température à 4 °C vers 1 030 de densité. Mais nous avons quand même constaté des pertes allant jusqu’à un quart de la bouteille », témoigne Antoine Miguel.

L’apprenti a donc suivi les conseils de Richard Angonin, et a ajouté de la bentonite calcique à 6 cl/hl au tirage. Il a constaté une baisse considérable des pertes au dégorgement. « C’est un moyen efficace pour tasser les lies dans le goulot », argue-t-il. Une pratique qui fonctionne, mais qui est inenvisageable pour Marc Soyard, fervent défenseur d’une vinification sans intrants. « Je ne veux pas dégorger, d’une part car je trouve qu’un temps assez long sur lies apporte plus de profondeur et de complexité. Et d’autre part, car vu les pertes ce n’est pas rentable », développe-t-il.

Mais la présence de dépôts grossiers est pour lui très problématique. Une impasse que le vigneron tentera de contourner en ajoutant 5 % de jus de 2019 dans son vin clair de 2018 pour relancer la FA. Un challenge pour le vigneron qui n’utilise pas de SO2. « Pour plus de netteté aromatique et éviter les risques de réduction, nous recommandons tout de même de dégorger, à la glace plutôt qu’à la volée », rebondît Richard Angonin.

 

Quatre conseils avant de se lancer

- Cépages rouges ou blancs, peu importe, mais évitez les cépages réducteurs, comme le sauvignon blanc, qui se prêtent mal à l’élevage sur lattes au contact des lies.
- Utilisez les capsules les plus perméables possible pour éviter les problèmes de réduction. Les durées d’élevage étant relativement courtes, les risques d’oxydation sont minimes, même sans SO2.
- Lors du tirage, pensez à laisser un espace de tête suffisant pour éviter que la bouteille n’explose.
- Un dégazage avant tirage est recommandé car les levures auront du mal à se remettre en activité dans un milieu sursaturé en CO2.

voir plus loin

Quid de la réglementation sur les pétillants naturels ?

La technique de vinification employée pour obtenir des pétillants naturels est la méthode ancestrale. Mais dans l’état, seules 4 AOP ont le droit d’utiliser cette mention : limoux, gaillac, cerdon et clairette de die. Aujourd’hui, aucune disposition réglementaire n’encadre l’utilisation de la mention « pétillant naturel », mais la pensée commune des vignerons ayant remis au goût du jour ce type de vins est de vinifier avec le moins d’intrants possible. Seul montlouis-sur-loire a réussi à encadrer la pratique via la mention « pétillant originel ».

 

Consultez les autres articles de notre dossier " Surfez sur les effervescents" :

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