Sobriété : mieux dimensionner ses équipements viticoles
Et si opter pour de outils de moindre puissance était une bonne idée ? Les viticulteurs que nous avons interrogés en sont convaincus. Témoignages.
Et si opter pour de outils de moindre puissance était une bonne idée ? Les viticulteurs que nous avons interrogés en sont convaincus. Témoignages.
Moins de consommation de GNR, moins de tassements des sols, moins de frais d’entretien, moins d’investissement de départ et donc meilleure résilience des exploitations. Le bilan des utilisateurs de tracteurs « sobres », d’une puissance inférieure à 70, voire 80 ch, est plus que positif. « Je consomme environ 10 litres de GNR par traitement pour 6 hectares, contre 30 à 40 litres pour 7 hectares là où je suis salarié », résume par exemple Jean-Philippe Fuego-Raoux, viticulteur à Saint-Gervais, dans le Gard.
La différence ? Un vieux tracteur Renault 80 de 62 ch sur son domaine et un tracteur Kubota de 75 ch chez son employeur. Christophe Koenig, viticulteur à Wettolsheim, dans le Haut-Rhin, équipé de tracteurs BCS de 55 et 65 ch, relève également de faibles consommations de GNR, quelle que soit la tâche effectuée. « En broyage de bois, je suis à 40 l par jour, en effeuillage si je fais une grosse journée, je dois recharger à 14h-15h et avec le gyro, même s’il y a beaucoup d’herbe partout, le plein tient la journée », illustre-t-il.
Moins tasser les sols simplifie leur travail
Même son de cloche en Bourgogne, où Émilien Millot, du domaine éponyme à Meursault, en Côte-d’Or, travaille avec un enjambeur de 65 ch datant des années 1980-1990 la plupart du temps, mais traite avec un modèle récent, un Bobard 809, de 90 ch. Il estime que pour une même tâche, le vieil enjambeur effectue 1,5 à 2 jours de travail avec un plein de 40 à 50 l, tandis que le 809 ne tient qu’un jour avec 60 l. « C’est notamment lié au poids supérieur de l’enjambeur, qui consomme davantage pour se tracter, analyse-t-il. Il y a aussi un régime moteur différent. » Il ajoute que les vieux enjambeurs sont également plus intéressants pour le travail du sol : « comme ils sont moins lourds (environ 2,5 tonnes pour le vieux et environ 4,5 tonnes pour le 809), ils tassent moins les sols, décrypte-t-il. Et comme ces sols sont moins tassés, ils nécessitent moins de puissance pour être travaillés. C’est un cercle vertueux. »
Le moindre tassement des sols est d’ailleurs l’argument qui a poussé Mathieu Ledogar à se tourner de plus en plus vers des tracteurs de plus petite puissance. Exploitant 20 hectares à Ferrals-les-Corbières, dans l’Aude, ce viticulteur a opté pour des chenillards Saint-Chamond de 45 ch il y a une vingtaine d’années. Avec le temps, il les a multipliés sur son domaine. « À part pour les traitements que j’effectue avec un New Holland de 72 ch, je n’utilise plus que ça, rapporte-t-il, convaincu. Certes, on n’a pas le même confort que sur des tracteurs modernes, mais on ne peut pas tout avoir. Ces chenillards sont légers, tout comme le matériel qui va dessus, et consomment peu. »
Des entretiens plus faciles et moins onéreux
Le viticulteur audois apprécie également la plus faible consommation de ces modèles et leur simplicité de fonctionnement. « Ils sont plus faciles à entretenir et à réparer, se réjouit-il. Il n’y a pas d’AdBlue à mettre, pas d’électronique. » Cette simplicité d’utilisation et d’entretien est un atout relevé par tous nos interlocuteurs. Jean-Philippe Fuego-Raoux souligne par exemple l’absence de pannes électroniques sur ses véhicules et la possibilité de réaliser tout l’entretien courant lui-même, « alors que sur un tracteur moderne je ne pourrais pas, détaille-t-il. Au total, cela me coûte 150 euros par tracteur et par an maximum. »
Christophe Koenig cite les mêmes chiffres pour ses BCS. « Deux filtres à gasoil, deux filtres à huile, un bidon d’huile, je ne m’en tire même pas pour 150 euros par tracteur et par an », calcule-t-il. Il insiste lui aussi sur la simplicité d’intervention sur ces engins ; l’absence de carte électronique qui crame ou encore de circuit électronique qui dysfonctionne. Sans compter qu’une « vieille machine mécanique se répare plus facilement, observe Émilien Millot. On peut toujours réusiner des pièces mécaniques. » Autre atout pointé par les utilisateurs, l’assurance des vieux tracteurs est moins chère que celle des plus récents.
Adapter le matériel ou se doter de centrale hydraulique
Mais la sobriété ne revêt pas que des avantages. Les utilisateurs de ces vieux modèles ont unanimement souligné leur moindre confort puisqu’ils ne possédent pas de cabine filtrée pour les traitements ni de climatisation. Certaines grosses pièces, à l’image des embrayages, peuvent lâcher et être à changer. Par ailleurs, il faut souvent adapter des outils plus légers, moins gourmands ou transiger avec ses désidératas. Pour le rognage, Mathieu Ledogar a par exemple monté une écimeuse à sections et non à couteaux, quand Jean-Philippe Fuego-Raoux a dû installer une centrale hydraulique sur son tracteur. Quant aux traitements, ils sont souvent réalisés avec des appareils plus puissants. En revanche, les débits de chantier sont similaires à ce qu’ils seraient avec des matériels plus puissants.
Quel bilan environnemental ?
D’un point de vue environnemental, le bilan de ces machines est-il aussi bon ? Difficile d’y voir clair. D’un côté, ces vieilles générations de matériel émettent davantage de particules fines. De l’autre, elles consomment moins de GNR (et émettent donc moins de gaz à effet de serre), tassent moins les sols, ne contiennent pas de composants électroniques et luttent contre l’obsolescence programmée. Autant d’arguments qui feraient, pour Émilien Millot, pencher la balance en faveur des vieux tracteurs. Christophe Gaviglio, ingénieur spécialisé en agroéquipements à l’IFV Occitanie, partage cet avis. « Tant qu’un tracteur est fonctionnel et bien entretenu, il est plus durable de le garder plutôt que de le remplacer par un neuf, juge-t-il. La question du remplacement vient si les usages le justifient : besoin de plus de distributeurs hydrauliques, de dédier un tracteur au travail du sol et l’autre aux traitements, d’une cabine étanche aux phytos, lombaires du chauffeur fatiguées, etc. »
Si la plupart des vignerons que nous avons interrogés utilisent des vieux modèles, il est également possible d’acquérir des tracteurs de faible puissance neufs. Le marché comprend plus de 40 modèles de moins de 80 ch. Qui sont moins chers que leurs frères aînés, mais aussi dotés de moteurs plus simples bien que répondant aux normes antipollution en vigueur. La plupart ne nécessitent pas d’AdBlue, et ont juste un filtre à particules et un pot catalytique. Une solution intermédiaire pour ceux qui souhaitent disposer du confort moderne et émettre moins de particules fines, tout en ayant une consommation de GNR plus modérée et en limitant les tassements du sol.
Christophe Gaviglio, ingénieur spécialisé en agroéquipements à l’IFV Occitanie
« La puissance n’est pas le seul critère à prendre en compte »
« Pour bien dimensionner son tracteur, il faut tout d’abord regarder le pulvérisateur, puisqu’il s’agit de l’appareil le plus gourmand. Ensuite, je recommande de ne pas s’intéresser uniquement à la puissance ; la transmission joue aussi sur la maîtrise de la consommation (Vario par exemple). Et un tracteur trop juste en puissance va forcer et donc plus consommer dans certaines situations. À l’inverse, un tracteur trop puissant sera à l’aise partout.
Par ailleurs, la taille de l’exploitation, ou la surface affectée à chaque tracteur, donne une idée de la performance attendue, en matière de combinaisons d’outils par exemple. La déclivité des parcelles, les possibilités de montages (avant, 3 points arrière, entre roues) et la puissance des pompes hydrauliques pour animer tous les outils sans impacter la motricité sont les autres critères à prendre en compte pour une bonne adéquation entre ses besoins et son tracteur. »
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