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Projet Vitae : de premières pistes alternatives aux phytos en viticulture émergent

Le projet de recherche Vitae, lancé en 2021 pour une durée de six ans, est à mi-chemin et livre ses premiers résultats. Rencontre avec François Delmotte et les responsables du projet.

Les chercheurs explorent de nombreuses voies dans le cadre du projet Vitae, afin de pouvoir protéger la vigne sans pesticides.
Les chercheurs explorent de nombreuses voies dans le cadre du projet Vitae, afin de pouvoir protéger la vigne sans pesticides.
© Inrae

Et si, demain, nous cultivions la vigne sans aucun pesticide, ni même cuivre ni soufre ? C’est le postulat de base du projet de recherche pluridisciplinaire Vitae, porté par François Delmotte, de l’Inrae de Bordeaux. « Il s’agit d’un cadre de recherche pour penser autrement la protection des cultures », indique-t-il. Réfléchir à un futur sans produits phytosanitaires permet de faire émerger de nouveaux leviers d’action. Le chercheur cite par exemple le microbiote, la prophylaxie basée sur l’écologie des maladies, l’amélioration génétique, mais aussi l’importance d’élaborer des combinaisons de ces solutions qui sont toutes à effet partiel.

Black-rot : des Bacillus aux vignes résistantes

Dans la lutte contre le black-rot, maladie réémergente, les chercheurs ont notamment suivi la piste du biocontrôle et de la génétique. Dans le premier volet, ils ont observé la capacité de filtrats bactériens (Bacillus velezensis et Bacillus ginsengihumi) à induire une résistance de la vigne au black-rot. Une découverte qui ouvre des perspectives de biocontrôle, et ce d’autant que ces filtrats entraînent aussi une résistance au mildiou et à la pourriture grise. « Leur mode d’action combine un effet direct sur les agents pathogènes et une stimulation des défenses de la plante », précise François Delmotte.

Dans le second volet, les chercheurs ont identifié des Vitis qui présentent une résistance naturelle au black-rot. Des populations de ségrégation dérivées de ces génotypes sont en cours d’étude, afin de mettre en évidence les bases génétiques de la résistance. Et ce, en vue de la création de nouvelles variétés de vigne résistantes à cette maladie.

Mildiou : confusion sexuelle et cocktails de micro-organismes à l’étude

En ce qui concerne le principal parasite de la vigne, l’Inrae planche sur de nombreuses voies. L’une d’entre elles s’attache à étudier le cycle sexué du mildiou, en vue de l’interrompre. « L’objectif serait de synthétiser les hormones de l’oomycète impliquées dans la formation des spores sexuées, pour voir comment il réagit, avec à terme l’objectif de perturber cette phase », révèle le chercheur. Pour l’heure, il envisage de tester une hormone de synthèse à base de stérols produite par une équipe japonaise sur la base du mildiou de la pomme de terre. « Les molécules en jeu dans la reproduction du mildiou de la vigne ne sont pas forcément les mêmes mais elles sont sûrement proches », poursuit François Delmotte, qui ambitionne également de comprendre où ces molécules s’agrègent dans l’oomycète.

Le microbiote de la vigne et des sols viticoles constitue une autre piste prometteuse. En comparant celui de parcelles faiblement ou fortement impactées par le mildiou, les chercheurs de Vitae ont identifié plusieurs taxons microbiens systématiquement plus abondants dans les parcelles faiblement sensibles à la maladie. « Dans les parcelles les moins sensibles, le microbiome foliaire est un peu plus riche, avec davantage de levures basidiomycètes », dévoile François Delmotte. Plus de 200 levures, 300 champignons et 400 bactéries ont ainsi été identifiés et mis en collection. Les chercheurs ont également passé au crible le microbiote foliaire de plusieurs espèces et variétés de vigne américaines résistantes au mildiou, en collaboration avec l’université de Cornell, aux États-Unis. L’objectif est à présent d’observer les interactions potentielles entre ces micro-organismes et d’identifier si certaines espèces peuvent jouer un rôle clef. Puis les chercheurs s’attacheront à créer des cocktails de micro-organismes et à tester leur efficacité sur le mildiou, mais aussi à identifier les pratiques culturales favorisant la présence de ces consortia d’intérêt.

« Nous progressons aussi dans le développement d’une stratégie innovante basée sur l’application d’un désinhibiteur de défenses susceptible d’optimiser l’efficacité de stimulateurs de défense des plantes (SDP) », annonce Marielle Adrian, professeure à l’université de Bourgogne. En effet, ce composé, non synthétique, permet de contrecarrer une inhibition naturelle de réponses de défenses des plantes. Des tests en serres ont montré une meilleure efficacité contre le mildiou et l’oïdium d’une application désinhibiteur puis SDP, comparé au SDP seul. En vue d’une déclinaison au vignoble, les chercheurs travaillent sur des formulations adaptées à l’application simultanée de ces deux types de composés.

Parallèlement à tous ces travaux, la chaire Alexis Millardet étudie de nouveaux moyens de lutte contre le mildiou fondés sur la prévention. Elle est centrée sur des fronts de science peu explorés jusqu’ici, en particulier la compréhension de la phase sexuée du cycle de vie de l’agent pathogène. Quels sont les facteurs qui déclenchent la production de l’inoculum primaire ? Combien de temps l’inoculum primaire reste-t-il dans le sol ? Comment se distribue-t-il dans une parcelle ? Telles sont quelques-unes des questions sur lesquelles se penchent les chercheurs. « Pour le moment, nous avons mis au point les techniques pour détecter cet inoculum dans le sol et nous avons montré que l’inoculum ne se distribue pas au hasard », note François Delmotte. Les avancées de la chaire devront déboucher sur la mise au point de nouvelles méthodes de lutte basées sur la rupture du cycle et la réduction de l’inoculum primaire du pathogène.

Insectes : araignées et pratiques diversifiées

Les chercheurs se sont aussi intéressés à la lutte biologique pour gérer les insectes ravageurs et ont identifié des espèces d’auxiliaires clés, notamment des espèces d’araignées de la famille des Salticidae, des Philodromidae, des Oxyopidae dans la régulation de Lobesia botrana, Scaphoideus titanus, Empoasca vitis et Dactylosphaera vitifoliae. Par ailleurs, des analyses des effets des pratiques viticoles et du contexte paysager ont permis de déterminer que les petites parcelles de vignes entourées de nombreux habitats semi-naturels, tels que des haies ou des prairies, favorisent la régulation naturelle des insectes ravageurs de la vigne. Le maintien d’un couvert végétal au sein des parcelles est également un facteur de réduction de risque.

Les volets économiques et prospectifs également explorés

Les chercheurs ont aussi travaillé sur les leviers d’accompagnement économique et en particulier dans le champ assurantiel. « Nous avons mené une expérience de choix sur plus de 400 viticulteurs, visant à mesurer leurs préférences vis-à-vis d’un produit d’assurance des aléas sanitaires (perte de récolte due au mildiou et à l’oïdium) avec en même temps un caractère incitatif à réduire les pesticides, à l’aide d’un outil d’aide à la décision sécurisant cette réduction », décrit François Delmotte, de l’Inrae de Bordeaux. Les résultats montrent un réel intérêt pour une telle « assurance verte ».

Il existe en réalité deux « sous-populations » de viticulteurs, l’une motivée principalement par le montant de la souscription, l’autre plus intéressée par l’outil, correspondant à des viticulteurs principalement en transition ou en bio. Ces populations présentent des préférences différentes pour les modalités d’assurance et invitent donc à concevoir des contrats d’assurance sous forme de « menus » incitatifs. Les travaux en cours montrent également un certain rejet de l’assurance paramétrique (en faveur d’une évaluation d’expert des pertes), ainsi que des contrats collectifs à caractère obligatoire.

Parallèlement les chercheurs de Vitae ont entrepris l’écriture de scénarios interdisciplinaires de prospective sur la sortie des pesticides, à l’instar de ce qui avait été fait sur le projet Laccave. « Ces exercices sont d’abord un excellent moyen d’obliger à travailler en interdisciplinarité en faisant dialoguer leurs spécialités scientifiques », rappelle Hervé Hannin, ingénieur à l’Institut Agro Montpellier, qui pilote ces ateliers avec ses collègues prospectivistes de FranceAgriMer. Livrés ensuite aux professionnels de la filière qui accompagnent le projet, ces scénarios auront la vertu de stimuler la réflexion collective et inviter leurs organisations à l’anticipation par des actions concertées et adaptées.

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