Catherine Carrière-Pradal, au domaine de la Massole
" Nous souhaitons favoriser la biodiversité "
Se convertir à l’agroforesterie ne s’improvise pas. Rencontre avec les propriétaires du domaine de la Massole dans l’Hérault, qui viennent de planter plus de 3 000 arbres sur une vingtaine d’hectares.
Se convertir à l’agroforesterie ne s’improvise pas. Rencontre avec les propriétaires du domaine de la Massole dans l’Hérault, qui viennent de planter plus de 3 000 arbres sur une vingtaine d’hectares.
Pas moins de 3,5 kilomètres de haies. C’est la plantation qu’a réalisée en ce début d’année Catherine Carrière-Pradal, viticultrice au domaine de la Massole à Servian, dans l’Hérault. « C’est un projet qui me tient à cœur depuis longtemps, explique-t-elle. J’avais déjà commencé à essayer avec des haies en bordure de parcelle. » Biodiversité, coup de pouce à la faune sauvage, protection bioclimatique, fertilité, amélioration du cadre de vie, image de marque… Les arguments de la viticultrice ne manquent pas. « Les systèmes en monoculture sont plus fragiles, note Catherine Carrière-Pradal. Les premières haies que j’ai plantées ont permis une recrudescence d’insectes et d’oiseaux, qui sont autant de prédateurs possibles contre les indésirables de la vigne. » La viticultrice a donc décidé de sauter le pas, et d’installer un système agroforestier dans ses vignes. Au total 20 hectares ont été convertis, et le reste des parcelles devrait suivre au fur et à mesure des replantations. Mais pas question pour elle de faire les choses au hasard. Elle a donc mandaté un bureau d’ingénierie spécialisé, la société coopérative et participative (Scop) Agroof, pour s’occuper de l’étude.
Pour Danièlé Ori, conseiller en agroforesterie de la Scop, un tel projet a pour objectif clair une réduction des intrants et des traitements. Il s’agit aussi de créer un microclimat plus stable, permettant de garder de la fraîcheur face au réchauffement climatique, et ainsi de maintenir le potentiel du terroir.
Favoriser la biodiversité pour faire baisser la pression parasitaire
Il se réjouit d’ailleurs de voir la création chez Catherine Carrière-Pradal d’un tel système, qui s’apparente à une expérimentation taille réelle. Car le domaine de la Massole sera suivi, et sera la base des recherches de demain. « Il faut dire qu’aujourd’hui il n’y a pas de recette ni de certitude. Nos travaux sont encore des pistes où nous essayons de comprendre les potentialités de tels systèmes », avoue l’ingénieur. Récemment, une étude réalisée par la cellule de transfert Agrinov à Bordeaux, a montré l’existence d’une corrélation entre l’ouverture ou l’hétérogénéité des paysages et la présence des ravageurs de la grappe que sont Eudémis et Cochylis. « Ça ne veut pas dire qu’il faudra arrêter de traiter. L’idée n’est pas de créer une lutte mais de faire baisser la pression », poursuit Danièlé Ori. Pour arriver à cela, c’est plus de 3 000 plants qui ont été introduits au cœur du vignoble du domaine. Près de 70 espèces différentes ont été sélectionnées, allant de l’arbre jusqu’au buisson. Sur la parcelle, ils occupent un rang tous les 10 à 15 rangs, ce qui représente 5 à 10 % de la surface. L’écartement entre les rangées agroforestières et celles de vignes est de 3,75 mètres, afin d’optimiser l’espace tout en prenant en compte la concurrence. Et l’agencement des arbres est le fruit d’une longue réflexion. « En pratique, on prend le temps de se balader aux alentours pour voir ce qui pousse, on fait des fosses pédologiques et surtout on échange avec le commanditaire sur les contraintes et les limites vis-à-vis du matériel, des compétences, des envies. Puis on croise ces axes pour trouver un juste milieu », explique le conseiller d’Agroof.
Des tilleuls et des noisetiers pour nourrir les abeilles sauvages
Une fois le cahier des charges esquissé, les ingénieurs définissent des « plaques » avec des homogénéités entre sol et plantes, organisées en fonction des fonctionnalités (voir illustration). Les arbres de haut jet par exemple servent de gîtes et de repères pour les chauves-souris. « Ces animaux ont besoin de corridors pour se situer avec leur radar », illustre Danièlé Ori. Les buissons quant à eux accueilleront les insectes auxiliaires utiles à la vigne. Les espèces végétales ont également été choisies pour favoriser les abeilles sauvages lors des deux périodes critiques que sont la fin d’hiver, où elles ont besoin de protéines pour se reproduire, et la période estivale, où la nourriture se fait rare. Le noisetier, riche en protéines et dont les chatons apparaissent de bonne heure dans la saison, ainsi que les tilleuls, qui procurent du nectar lors d’une floraison tardive, sont des candidats idéals. « Nous n’avons pas cherché à dégager de fonctionnalité en priorité, l’idée était de mettre tout ce que nous pouvions en place pour favoriser la biodiversité et la faune sauvage », précise l’ingénieur. Plus de 170 arbres fruitiers de diverses espèces et variétés ont aussi été intégrés dans le lot. Les fruits devraient être valorisés, créant ainsi une diversification pour le domaine. « Nous imaginons déjà organiser des « journées confiture » pour faire venir les gens sur le domaine. Nous pourrons aussi vendre ces produits au caveau, de même que le miel que nous aurons bientôt grâce aux ruches », se réjouit Catherine Carrière-Pradal. Quelques sorbiers pourront éventuellement être exploités plus tard par ses enfants, pour leur bois précieux.
Un investissement aidé à hauteur de 80 % par l’agence de l’eau
Au total, cette transition agroforestière représente pour le domaine un investissement de 30 000 euros hors taxes. Un montant qui prend en compte le dossier d’ingénierie, les plants et les prestations de plantation et de suivi. Mais l’exploitation a été largement aidée, notamment par l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, qui a subventionné le projet à hauteur de 80 %. « Cela s’explique notamment parce que le domaine est en zone de captage prioritaire, relate Nadia Van Hanja, animatrice agroenvironnementale au syndicat mixte des vallées Orb et Libron. L’agence cherche à valoriser la place de l’arbre pour protéger l’écoulement des eaux et lutter contre l’érosion, elle répond donc plutôt bien à ce type de sollicitation. » Les blocages en revanche viennent plutôt de FranceAgriMer, qui n’aime pas trop ce qui sort du lot. Car les rangées agroforestières ne sont pas comptabilisées en vignes. Si le domaine a connu quelques difficultés, cela pourrait changer à l’avenir, le ministère de l’Agriculture ayant demandé un audit sur les freins à l’agroforesterie.
Restera au domaine de prendre en charge l’entretien de ces haies. « Mais ce ne sera pas contraignant outre mesure, estime Catherine Carrière-Pradal. Il s’agit d’un peu de taille et d’élagage pour permettre aux outils, tracteurs et autres engins de passer. » La viticultrice et le conseiller espèrent voir un début d’équilibre dans le système d’ici cinq à dix ans. Ils pourront alors tirer les premières conclusions.
repères
GFA Domaine de la Massole
Propriétaire famille Carrière-Pradal
Surface 70 hectares dont 60 de vignes
Appellation AOC languedoc, IGP oc, coteaux de béziers et côtes de thongue
Production 150 hl en cave particulière, le reste en coopérative