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« Nous avons planté un vignoble à 1200 mètres d’altitude pour faire des effervescents »

Avec deux associés, Hervé Sabardeil a planté 20 000 pieds de chardonnay et de pinot noir à Ur, dans les Pyrénées-Orientales, pour produire un effervescent. Le pari est risqué, mais rien n’a été laissé au hasard.

Vincent Ginestet, Gilles Blanc (absent sur la photo) et Hervé Sabardeil, espèrent produire de 40 à 50 hectolitres sur les trois hectares qu’ils ont plantés à Ur, à 1200 m d’altitude.
Vincent Ginestet, Gilles Blanc (absent sur la photo) et Hervé Sabardeil, espèrent produire de 40 à 50 hectolitres sur les trois hectares qu’ils ont plantés à Ur, à 1200 m d’altitude.
© Y. Kerveno

« Nous ne faisons pas cela tout seuls, nous travaillons avec un œnologue conseil, Jean-Michel Barcelo, qui nous sert de garde-fou, au sens strict du terme. » Hervé Sabardeil a de l’humour, autant que de passion pour la vigne et le vin. Œnologue conseil, installé dans les Pyrénées-Orientales, il s’est mis en tête, avec deux associés, l’un dans l’immobilier l’autre travaillant dans une station de ski en Andorre, de planter un vignoble en Cerdagne pour produire des bulles en profitant de la fraîcheur du lieu.

Plantons le décor. La Cerdagne est un plateau partagé entre les Pyrénées-Orientales et la Catalogne, encadré par les deux plus hauts sommets du département culminant tous deux à plus de 2 900 mètres d’altitude. L’altitude moyenne dépasse 1 000 mètres. C’est donc bien une zone de montagne au milieu de laquelle trônent aujourd’hui trois hectares de vigne plantés au printemps 2021, qui concrétisent une dizaine d’années de réflexion et de tests. « Ce n’est pas évident d’imaginer cueillir du raisin en Cerdagne à cette altitude », résume Hervé Sabardeil. « Il y a une foule de paramètres à prendre en compte, estime-t-il. Depuis la composition du sol jusqu’à la pente, en passant par la météo. » Il faut repartir de zéro. Comme avec une page blanche. Et tout repenser avant de se dire que c’est possible.

Une pente de 15 à 20 % et une exposition plein sud

Hervé Sabardeil a passé au crible les données météo : pluie, température, ensoleillement… Puis il s’est mis en quête de terres adéquates. L’affaire n’a pas été simple, car il n’y a pas beaucoup de disponibilités. « Il m’a fallu quatre ans pour trouver les quatre hectares dont j’avais besoin », note-t-il. Il fallait en effet que le terrain réponde à plusieurs caractéristiques, en plus d’être disponible. Parce que le terrain est l’une des clés pour limiter au maximum le risque de gel. « Il nous fallait des parcelles avec un peu de pente, entre 15 et 20 %, mais pas plus, pour que le froid, qui est plus lourd que l’air chaud, puisse glisser sans stagner, décrit-il. Ensuite, il nous fallait une exposition plein sud pour profiter au mieux de l’ensoleillement. » Pendant qu’il cherche les terres, il observe le comportement de ceps qu’il a plantés dans le jardin qu’il possède non loin de là, et prend des notes.

 

 
Les parcelles ont été plantées dans le sens de la pente (plein sud) pour que la vigne profite à plein de l’ensoleillement et que soit maximisée la courte période végétative.
Les parcelles ont été plantées dans le sens de la pente (plein sud) pour que la vigne profite à plein de l’ensoleillement et que soit maximisée la courte période végétative. © Y. Kerveno
Les parcelles retenues, des prairies jamais cultivées, correspondent donc à ces deux critères. Les trois associés ont fait procéder à des tranchées, jusqu’à 3 mètres de profondeur, avant de faire mettre en œuvre des technologies de radiographie habituellement réservées à l’archéologie. Grâce à cela, ils ont obtenu un profil complet de la composition du sous-sol. Ce dernier recèle une couche d’argile d’un à deux mètres d’épaisseur ondulant sous la surface entre moins 50 centimètres et un mètre. « Mais comme ces terres n’ont pas été cultivées, le complexe humique est trois à cinq fois supérieur à celui que l’on trouve en plaine, ce sont des terres riches », se réjouit Hervé Sabardeil.

 

Avant de planter, le sol, tassé par des années de pâturage, a été défoncé jusqu’à un mètre, le pH corrigé par un apport de chaux pour atteindre 7. Le palissage est composé de piquets de tête en bois et d’intermédiaires en acier corten, « parce que la rouille qui se développe les protège et qu’ils sont moins visibles dans le paysage », estime l’œnologue conseil.

Des filets contre la grêle et un forage pour irriguer

Restait la gestion du gel, de la grêle et de la sécheresse. « La vigne ne pousse pas sous 10 °C, plante Hervé Sabardeil. On espère, au vu des statistiques météo, un débourrement durant la deuxième quinzaine de mai, ce qui nous met a priori à l’abri du gel. Nous allons nous appuyer sur une taille tardive pour gérer ce risque. » Pour la grêle, qui frappe souvent en août dans le secteur ?

« Nous avons retenu la protection par des filets antigrêle, indique le vigneron. Nous en avons installé quatre kilomètres. Cela va nous contraindre à traiter rang par rang et nous n’avons pas idée de ce que cela va donner en termes d’humidité, sur le mildiou… Ni même sur l’ensoleillement. Les filets captent environ 20 % de la luminosité, mais comme il y a ici environ 20 % de lumière en plus, cela devrait s’équilibrer… Et nous avons planté dans le sens de la pente pour que le soleil fasse bien le tour des plantes. » Les fortes chaleurs estivales, malgré l’altitude devant être compensées par la fraîcheur des nuits.

Pour l’instant tout est conduit en bio, mais là encore, les porteurs du projet préfèrent attendre d’arriver dans les conditions réelles de production pour décider réellement. Il en va de même pour l’herbe, dont le sort sera tranché plus tard, en troisième ou quatrième feuille. « Pour l’instant, il faut que ça pousse, c’est tout pour la vigne », ajoute Vincent Ginestet, l’un des trois associés.

Ils ont aussi préparé la parcelle avec un forage pour pouvoir l’irriguer, le cas échéant, il n’y a plus qu’à tirer le goutte-à-goutte. Au cas où la neige en hiver et les deux grosses périodes de pluies, en mai et octobre, n’y suffiraient pas. L’ensemble sera en plus surveillé de près par une station météo, des sondes à 30 et 60 centimètres dans le sol et des capteurs d’humidité sur les feuilles. Le prix ? Les trois associés ne souhaitent pas en dire davantage mais Hervé Sabardeil glisse que « c’est trois fois plus cher qu’en plaine ». Et combien comptent-ils produire ? C’est la grande inconnue. « Pour l’instant, nous ne savons rien de ce que nous allons obtenir. Si nous avons 40 ou 50 hectolitres nous serons satisfaits. » Au final, c’est bien une aventure de pionniers qui se joue là. Rendez-vous dans trois ans pour déguster les premiers jus.

Une combinaison de huit clones et deux porte-greffes

Hervé Sabardeil, Vincent Ginestet et Gilles Blanc n’ont rien laissé au hasard. L’ordonnancement des plantations a été dressé par un géomètre. Pour diluer le risque, et surtout permettre une vendange manuelle en décalant légèrement les maturités, la plantation a été divisée en neuf îlots, deux consacrés au pinot noir et sept au chardonnay, avec une combinaison de six clones de chardonnay et deux clones de pinot noir sur deux porte-greffes différents (SO4 et 3309C). Ils ont retenu une densité élevée, 6 600 pieds par hectare, soit grosso modo 20 000 pieds pour les trois hectares plantés. Ils ont pensé à aller jusqu’à 9 000 pieds par hectare, comme en Champagne, mais ont renoncé pour limiter l’ombre portée et maximiser la courte période végétative.

repères

Domaine du Col Rouge

Surface 4 hectares, dont 3 de plantés

Encépagement chardonnay et pinot noir

Densité 6 600 pieds par hectare

Dénomination vin de France

Production effervescent

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