Les vins français pénalisés aux États-Unis
Terre de conquête pour les vins français, les États-Unis sont depuis le 18 octobre le siège d’une bataille commerciale encore plus vive. Les exportateurs cherchent à préserver les succès acquis sur le plus gros marché mondial du vin alors qu’une taxe douanière de 25 % s’applique désormais à la frontière sur les vins tranquilles tricolores.
Terre de conquête pour les vins français, les États-Unis sont depuis le 18 octobre le siège d’une bataille commerciale encore plus vive. Les exportateurs cherchent à préserver les succès acquis sur le plus gros marché mondial du vin alors qu’une taxe douanière de 25 % s’applique désormais à la frontière sur les vins tranquilles tricolores.
Même si une taxation était redoutée depuis quelque temps, c’est mis devant le fait accompli que les exportateurs de vins tranquilles français aux États-Unis cherchent des solutions pour s’adapter aux nouvelles conditions de ce marché. La rapidité de la sanction américaine n’a en effet pas laissé de temps aux acteurs pour s’organiser. Il ne s’est passé qu'une quinzaine de jours entre le jugement de l’OMC autorisant les États-Unis à taxer les produits européens à hauteur de 7,5 milliards de dollars par an, la publication par le ministère américain du Commerce d’une liste de produits taxés aux frontières et la mise en œuvre de la mesure. « C’est un cas sans précédent de marchés contractualisés remis en cause", considère Emmanuel de Salve, directeur marketing de Badet Clément en évoquant les vins en cours d’acheminement. Avec 15 % du chiffre d’affaires export global, les États-Unis sont le premier marché de son entreprise. "Personne n’a pu anticiper mais certains importateurs pensent pouvoir tenir avec ce qu’ils ont fait venir en prévision des mois d’octobre à décembre qui sont traditionnellement de grosses périodes de vente", observe Corentin Chon installé à Los Angeles et créateur de Vinifyed, une start-up française développant une application d’information sur les vins.
Le risque d’un changement de positionnement
La taxe de 25 % appliquée à l’entrée aux États-Unis modifie le positionnement prix de façon mécanique. « Si on ne fait rien, ça veut dire qu’une bouteille vendue 19,99 dollars va se retrouver à 25 dollars. Si l’on cumule avec l’importateur et le distributeur, l’impact peut même atteindre 30 % », anticipe Denis Lesgourgues, de la Maison Léda. Son entreprise familiale est à la fois exportatrice de vins et spiritueux issus de ses différentes propriétés et importatrice de vins aux États-Unis via une filiale basée à New-York. Sont en jeu, 40 % de ses exportations et un portefeuille de vins distribués à 75 % français.
« Pour une bouteille à 80 dollars d’un premier cru ou grand cru, le consommateur sera prêt à payer mais les appellations villages vont se retrouver avec un niveau de prix qui peut poser problème, notamment pour les chablis, les blancs de Loire qui avaient pourtant percé aux États-Unis ces derniers temps, ou encore les rosés », détaille Jérôme Gallo, directeur de la School of Wine & Spirits Business implantée à Dijon.
Même constat chez Emmanuel de Salve de Badet Clément. Il prévoit que les vins de sa gamme IGP phare Les Jamelles, risquent de passer de 11 à 13 dollars et considère que "c’est une augmentation qui peut freiner les rotations". S’il reste confiant sur ses références bourguignonnes, préservées "par leur caractère unique" face à une forte demande, elles ne représentent qu’une très petite part de son activité aux États-Unis.
La concurrence oblige aussi à tenir les prix. Les vins français représentent 3 % du marché, les vins américains plus de 70 %. « Les vins italiens sont très présents ici, notamment le pinot grigio. Ça va être le choix de la facilité pour certains distributeurs », anticipe Corentin Chon de Vinifyed.
Il semble donc difficile de ne pas absorber en grande partie l’impact de la taxe pour sauver les positions acquises.
Des négociations serrées s’engagent
« Il va falloir que l’on prenne en charge une partie de cette affaire », convient Philippe Brel, directeur général de la coopérative provençale Estandon. Il admet toutefois qu’il y a pour ses rosés de Provence une petite marge de manœuvre. « On a une valorisation qui permet de passer le cap sans tout perdre. Le prix moyen à l’export est de 5,60 euros HT. En France on est à un peu plus de 6 euros TTC consommateur en grandes surfaces. » Mais pour lui, "il faut que les autres échelons prennent leur part". Pour l’instant ses interlocuteurs sont attentistes. Certains ont suspendu des commandes.
De quelle marge de négociation disposent les exportateurs ? "Les Américains négocient assez vite mais il ne faut pas se louper, considère Philippe Brel. Ça va être une réflexion ligne par ligne et au cas par cas. Il faudra prendre en compte les seuils psychologiques de prix." Emmanuel de Salve, chez Badet Clément, se dit aussi prêt à "absorber toute ou partie de cette taxe" tout en privilégiant la négociation. Sans pouvoir entrer dans les détails, il prévoit une répartition variable en fonction du niveau de gamme, de la désirabilité du produit mais aussi des importateurs dont il souligne la diversité d’état d’esprit. " Certains pensaient que la taxe n’allait pas s’appliquer, d’autres croient qu’elle ne va pas durer et d’autres encore pensent le contraire." "Les Américains sont pragmatiques. Ils veulent faire du business. On a senti une certaine compréhension de leur part car ils aiment le vin français", se rassure Denis Lesgourgues.
Un flou qui freine les stratégies à long terme
Pour Corentin Chon, "certains produits d’entrée de gamme à 3 euros prix départ cave qui se retrouvent à 10 dollars ici peuvent être favorisés". Mais pour Emmanuel de Salve, modifier les références exportées n’est pas envisageable car un référencement est le fruit d’un long processus. S’il ne s’interdit pas d’imaginer une opération spot sur des vins à plus de 14 degrés, ça ne peut pas être une solution. "Aujourd’hui bâtir une stratégie est complexe compte tenu de la faible visibilité sur la durée de la taxe. Ça va demander énormément de souplesse au jour le jour », projette le directeur marketing.
Denis Lesgourgues souligne aussi cette incertitude. "On va faire des efforts ponctuels mais on a aucune espèce d’idée de combien de temps ça peut durer. Nous avons des réunions régulières avec nos 80 fournisseurs pour mettre au point des systèmes de remise. C’est un gros chantier." Pour Philippe Brel, d’Estandon, ces mécanismes doivent être réversibles.
Ce flou sur la durée de la taxe remet en cause les projets envisagés sur ce marché porteur de valorisation. Idealwine, le spécialiste de la vente aux enchères de vin en ligne, a fait des États-Unis un axe de développement stratégique pour les années à venir, jugeant ce marché "mature et connaisseur". « Nous nous montrons extrêmement inquiets, concède Cyrille Jomand, le PDG. L’entreprise a prévu l’ouverture d’un bureau à New-York pour accompagner sa croissance."Nous attendons la réaction de nos clients américains pour ajuster notre stratégie », témoigne Cyrille Jomand.
L’impact économique de la taxe mobilise Michel Chapoutier, en tant que chef d’entreprise et président de l’Union des maisons et marques de vin. "Une entreprise soumise à un impact de 25 % sur son chiffre d’affaires, peut avoir une marge touchée à 70 % car le marché américain est beaucoup plus rémunérateur », alerte-t-il. Aux côtés des autres représentants de la filière, il a réclamé "des actes forts" de la part du gouvernement. Au niveau européen, des mesures compensatoires comme des soutiens d’urgence, des campagnes de promotion ou des aides au stockage privé sont envisagées mais sans qu’aucun calendrier ne soit précisé.
Catherine Gerbod
Dans l’attente d’une riposte européenne
La plainte déposée par les États-Unis contre par l’Union européenne à propos des subventions versées à Airbus datait de 2004. En 2005, les Européens ont à leur tour dénoncé les subventions dont bénéficie Boeing de la part du gouvernement américain. Ils doivent attendre la décision de l’OMC prévue pour le printemps 2020 pour actionner des représailles. "Nous continuons d’espérer une solution négociée", a déclaré Phil Hogan, le commissaire européen à l’agriculture.
repères
Gagnants et perdants
Une centaine de produits agricoles figurent sur la liste publiée par les États-Unis, notamment des produits laitiers et de l’huile d’olive. Le vin tranquille est donc concerné mais pas les effervescents, ni le cognac ou l’armagnac, les vins en vrac et les vins titrant plus de 14 %. Si les vins espagnols et le whisky écossais sont aussi touchés, les vins italiens échappent à la sanction.