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Les microorganismes efficaces débarquent dans les vignes

Meilleure reprise, gain de vigueur, protection phytosanitaire… Il semblerait que sélectionner les microorganismes du sol par fermentation anaérobie pour les réintroduire à la vigne soit bénéfique.

La litière forestière fermentée, ou lifofer, est réalisable chez soi avec un fermenteur.
La litière forestière fermentée, ou lifofer, est réalisable chez soi avec un fermenteur.
© Potagers & Compagnie

Sélectionner les microorganismes les plus utiles pour le fonctionnement du sol, c’est l’idée qui a animé l’agronome japonais Teruo Higa. Il a ainsi mis en point en 1982 une combinaison de souches destinée à aider les plantes, qu’il a nommée EM, pour Effective Microorganisms (microorganismes efficaces). Le principe est simple : il s’agit d’optimiser la nutrition naturelle pour avoir une plante plus forte.

« Le produit qu’il a obtenu sert pour tout un tas d’applications, explique Jocelyne Delhez, présidente de l’association EM-France. En viticulture on l’utilise surtout pour donner à la vigne le moyen de se défendre. » Sur le territoire européen, c’est le belge Agriton qui a l’exclusivité de la fabrication et de la distribution des produits de cette méthode japonaise contrôlée et protégée, basée sur la fermentation anaérobie, mais dont le protocole d’élaboration est gardé secret.

Quelques vignerons français ont adopté les EM dans leur vignoble, à l’instar de Philippe de Meillan, qui gère les 85 hectares du château Vrai Caillou, en Gironde. « Il y a même une quinzaine d’hectares pour lesquels je n’utilise que cela comme intrant, en pulvérisation au sol et sur les feuilles », affirme-t-il. L’apport au sol, qu’il effectue avant la chute des feuilles à l’automne, à la dose de 2 litres par hectare, est destiné à recréer le lien entre tous les éléments.

La pulvérisation foliaire, quant à elle, a pour but de laisser les fameux microorganismes prendre la place sur les feuilles et éviter l’installation des mycéliums pathogènes. « C’est là où je remarque les résultats les plus significatifs, poursuit Philippe de Meillan. Depuis que j’utilise les EM – environ cinq ans – j’ai diminué drastiquement mes doses de cuivre. Le tout est de bien les positionner avant les pluies. » En règle générale, il alterne un passage avec du cuivre et un passage avec des EM. Parfois il associe les deux. Le vigneron réalise une cuvée spéciale avec ses parcelles entièrement traitées avec les microorganismes, et la décrit comme « plus aromatique ». Il aimerait même aller plus loin et réaliser son propre bokashi, un compost à base d’EM, avec ses marcs.

Des jeunes plants qui poussent mieux la première année de plantation

De son côté, Jean-Pierre Drieux, vigneron au domaine Villa Dria dans le Gers, utilise aussi les EM, à la plantation, dans le litre d’eau qui accompagne chaque plant. « Les plantiers poussent mieux, ils sont plus jolis à la fin de la première année », assure-t-il. Il épand également des EM sur les couverts de féverole, au moment de les détruire, pour améliorer leur assimilation. Jean-Pierre Drieux apprécie le faible coût des EM (environ 10 euros le litre de produit pur) et leur facilité d’utilisation. « Ce n’est pas un remède miracle mais ça aide au bon état général de la vigne », résume-t-il.

L’idée de microorganismes « efficaces » s’est lentement propagée dans le monde, où d’autres techniques similaires ont été développées. C’est ainsi que l’association Terre et Humanisme a rapporté de Cuba il y a une dizaine d’années le concept de litière forestière fermentée, ou lifofer. « Le principe est de prélever les microorganismes dans un sol préservé, qui fonctionne bien, et de les mettre en solution », relate Gabriel Vergniaud, fondateur de l’entreprise Rézomes, spécialisée dans ce produit.

La lifofer est un mélange de litière avec du son de blé, du lactosérum et de la mélasse, qui fermente une première fois en phase solide, puis une seconde fois en phase liquide. « Un simple sac de litière, récupérée en forêt à l’automne ou au printemps, suffit à donner 1 000 voire 2 000 litres de solution finale », indique Gabriel Vergniaud. Ce produit diffère des thés de compost de par sa fermentation, qui est acido-lactique et anaérobie (comme pour les EM), alors que les premiers sont hyper-oxygénés. Sans compter que le compost passe par une phase thermophile, qui exerce une sélection des microorganismes bien particulière.

Un groupe de travail national pour faire avancer les connaissances

Les bénéfices de la lifofer recherchés sur les cultures sont principalement l’amélioration de la vigueur et de l’implantation racinaire, grâce à une meilleure minéralisation. « Je pense que cette pratique est tout à fait pertinente en viticulture, dans le sens où la vigne pousse historiquement au pied des arbres », estime le gérant. Un groupe de travail national s’est mis en place entre utilisateurs, entreprises et instituts techniques pour faire avancer les connaissances.

L’Institut de recherche pour le développement (IRD) a révélé que la lifofer est riche en lactobacilles (jouant un rôle dans les microagrégats), en levures et en champignons sous forme sporulée, mais qu’elle contient également de l’acide jasmonique et salicylique, deux hormones végétales. L’Inrae de Dijon vérifie par ailleurs un potentiel effet sur l’accroissement des réseaux d’interaction dans le sol.

Pour la mise en pratique, Gabriel Vergniaud préconise deux applications au printemps et une en automne, à la dose de 20 litres par hectare. Ce qui représente un coût d’environ 100 euros HT par an, si on les achète. « Nous proposons des préparations toutes prêtes pour ceux qui n’ont ni le temps ni l’envie de les faire eux même, mais notre idée principale est de transmettre notre expertise et que les viticulteurs produisent la lifofer sur leurs exploitations avec des forêts locales, avec les mêmes conditions pédoclimatiques, pour garder la notion de terroir », précise Gabriel Vergniaud.

Avis d’expert : Laurence Berlemont, consultante au Cabinet d’agronomie provençale, dans le Var

Nos résultats d’essai sont prometteurs

 

 
Laurence Berlemont, consultante au Cabinet d’agronomie provençale, dans le Var
Laurence Berlemont, consultante au Cabinet d’agronomie provençale, dans le Var © Potagers & Compagnie
Nous menons des expérimentations en interne sur la lifofer sur vigne depuis 2020 et sommes étonnés par les résultats. Nous avons acheté un biofermenteur et la réalisons nous-même, à partir de litière collectée dans la forêt la plus proche de la parcelle traitée.

 

La première année, en épandage au sol sur quelques rangs, nous avons obtenu des rameaux 40 % plus longs. Nous avons pensé à une erreur car le protocole n’était pas rigoureux. Les résultats ont été tout aussi déroutants l’année suivante.

Nous avons donc recruté en janvier 2022 une chercheuse avec un doctorat en viticulture pour réaliser des expérimentations dans les règles de l’art. Les premiers éléments montrent une réduction significative de la mortalité des complants, un débourrement plus tardif, des rameaux plus longs et un poids des grappes supérieur. En janvier nous ferons une présentation à nos clients, et continuerons les recherches en parallèle.

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