« Le risque de lancer une telle procédure s’évalue au cas par cas », Maître Louis Lacamp, avocat du viticulteur Rémi Lacombe
Les négociants bordelais Cordier et Maison Ginestet ont été condamnés le 22 février à verser 350 000 € au viticulteur Rémi Lacombe par le tribunal de commerce de Bordeaux, pour avoir acheté des vins en vrac à un tarif « abusivement bas ». Maître Lacamp, l’avocat du plaignant, s’est notamment appuyé sur un article de la loi Egalim. Cette décision peut-elle inspirer d’autres plaintes ? Voici son point de vue.
Les négociants bordelais Cordier et Maison Ginestet ont été condamnés le 22 février à verser 350 000 € au viticulteur Rémi Lacombe par le tribunal de commerce de Bordeaux, pour avoir acheté des vins en vrac à un tarif « abusivement bas ». Maître Lacamp, l’avocat du plaignant, s’est notamment appuyé sur un article de la loi Egalim. Cette décision peut-elle inspirer d’autres plaintes ? Voici son point de vue.
Quelles sont les conséquences du jugement ?
Les négociants concernés vont-ils faire appel ?
Il n’est pas certain que les deux négociants fassent appel, car il y a un an et demi, lorsque nous avons démarré la procédure, le ministère de l’Économie que nous avions sollicité n’avait pas souhaité intervenir. Mais cela sera peut-être différent aujourd’hui, avec la crise agricole et le souhait annoncé de Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, de faire respecter la loi Egalim.
Si l’on estime être dans un cas comparable, comment décider si on engage une procédure ou non ?
La décision pose un principe, mais il faut faire une première analyse du dossier pour voir les chances qu’il a d’aboutir. Il faut regarder le coût de production, comment se sont déroulées les négociations, le prix du marché à ce moment-là… Une fois que l’on a analysé les risques et évalué combien on peut espérer obtenir, il faut aussi prendre en compte les risques que les négociants se détournent de l’exploitation. Mais quand cela fait des années que ça dure, les dommages et intérêt peuvent être importants. La prescription est de 5 ans, sachant que la loi a été votée il y a 5 ans.
Aujourd’hui, le plaignant n’est plus propriétaire d’un domaine. Le risque est donc différent pour lui ?
Lorsqu’il a lancé la procédure il y a 1 an et demi, le vigneron ne savait pas encore s’il allait sortir du marché. Il était en procédure concernant la vente de son domaine à un acheteur chinois qui s’était désisté. La cour d’appel a reconnu, 4 mois après le début de l’autre procédure, que l’acheteur n’avait pas le droit de se rétracter et donc que la vente du domaine avait bien eu lieu. Rémi Lacombe avait donc quand même pris le risque de se lancer.
Combien coûte une telle procédure ?
Cela dépend du dossier. Chaque avocat facture différemment, mais sont généralement pris en compte le volume de travail à réaliser et le montant des dommages et intérêts sollicités. Un viticulteur qui souhaite s’engager dans une telle démarche doit prendre attache avec un avocat pour faire une analyse de son cas.
Sur quelle base le prix d'achat a-t-il été jugé abusivement bas ?
Nous avons fait, pour ce dossier, un travail d’analyse de la loi Egalim, en essayant de comprendre ce que voulait le Parlement. Le tribunal a reconnu qu’il était logique que le coût de production ne puisse pas être supérieur au prix du marché. C’est très important.
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Mais les juges ont écarté notre calcul du coût de production au motif que nous n’avions pas assez détaillé la différence entre la bouteille et le vrac, motivation que nous trouvons contestable puisque nos attestations comptables précisaient qu’elles ne visaient que la vente en vrac. Les juges se sont donc rabattus, à défaut, sur le prix du marché. Ils ont reconnu que le prix d’achat avait été inférieur au prix du marché, et l’ont donc jugé abusif. S’il y a un appel, on fera une nouvelle démonstration des coûts de revient.
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Quelle peut être la portée du jugement pour les ventes de vin en vrac ?
Le risque est fort pour les négociants. A quel prix vont-ils acheter aujourd’hui et demain ? Il y a beaucoup de manifestations sur les prix mais il y a une réalité : personne ne peut forcer en amont un acheteur à proposer des prix plus élevés. C’est l’agriculteur qui, a posteriori, doit faire sanctionner le non-respect de ses droits. Que plus d’agriculteurs agissent en justice, c’est la seule chose qui fera bouger les lignes.