« Les prix des bordeaux 2021 en primeur devraient être en moyenne inférieurs de 7 à 11 % à ceux du millésime précédent »
L’économiste Jean-Marie Cardebat, professeur à l'université de Bordeaux et directeur de la chaire INSEEC Vins & Spiritueux, a co-réalisé* un modèle de prévision des prix des primeurs bordelais. Pour le millésime 2021 en cours de sortie, le modèle prédit une baisse moyenne des prix de l'ordre de 7 à 11 % par rapport à ceux du millésime 2020. Interview.
L’économiste Jean-Marie Cardebat, professeur à l'université de Bordeaux et directeur de la chaire INSEEC Vins & Spiritueux, a co-réalisé* un modèle de prévision des prix des primeurs bordelais. Pour le millésime 2021 en cours de sortie, le modèle prédit une baisse moyenne des prix de l'ordre de 7 à 11 % par rapport à ceux du millésime 2020. Interview.
Pourquoi pensez-vous qu’un modèle de prévision du prix des primeurs bordelais est utile ?
Chaque courtier a sa recette interne mais elle est basée sur beaucoup d’empirisme. Nous, on fait notre job d’économistes en trouvant des outils pour rendre les marchés plus transparents. Les primeurs, c’est un très bon système. Il ne faut pas le casser mais il a beaucoup été critiqué ces dernières années. Le marché gagnerait à être plus transparent. Quand les bulles spéculatives éclatent comme au début des années 2010, ça fait des dégâts. Notre outil est un moyen d’éviter ça.
A quels résultats avez-vous abouti pour le millésime 2021 ?
Nous avons analysé les données de 70 crus pour faire tourner notre modèle. Globalement, nous pensons qu’une approche prudente devrait être privilégiée pour ce millésime dont la qualité est jugée globalement inférieure à celle de 2020 et eu égard aux prix élevés de 2020. Les résultats de notre étude montrent que les prix des bordeaux 2021 en primeur devraient être en moyenne de 7 à 11 % inférieurs à ceux de 2020 pour être considérés comme réalistes. Les situations sont à nuancer selon les châteaux. Ceux qui jouissent d’une demande forte et qui ont été raisonnables en 2020 pourraient se permettre des augmentations. En revanche, certains châteaux devraient revoir leurs prix à la baisse, parfois de plus de 20 % afin de se réaligner sur les prévisions de notre modèle.
Comme voyez-vous l’utilisation de votre modèle ?
Ce n’est pas la vérité. Certains éléments sont à ce stade difficilement quantifiables, notamment l'impact de la situation géopolitique, de l'inflation, des taux d'intérêt en forte hausse. Le prix du marché sera sans doute un peu différent mais cela donne une tendance. C’est un outil d’aide à la décision. Il formalise le feeling des opérateurs. Notre modèle permet de s’approcher du juste prix, en évitant celui, trop élevé, qui nuit à la réputation du vendeur et celui, trop bas, qui signifie que le vendeur transfère de la valeur aux investisseurs à son détriment. Il permet d’éviter les mouvements spéculatifs et les effets de yoyo des prix qui ne sont pas bons pour la réputation des vendeurs et des appellations.
Pensez-vous que vous serez écoutés dans le contexte actuel ?
Nous avons déjà présenté une première version de notre modèle à un groupe d’opérateurs : des négociants, des courtiers, des châteaux. Il y a un fort intérêt. C’est un travail académique, nous sommes indépendants. Nous ne commercialisons rien mais nous nous mouillons en tant qu’économistes. Nous voulons dire : « cet outil existe, jugez-nous ! » On va voir sur cette campagne si nous avons été pertinents. Les quelques sorties, jusqu’à présent, sont cohérentes avec notre analyse
* Travail réalisé avec Philippe Masset, professeur à l’EHL Hospitality Business School de Lausanne.
Un modèle construit sur l’analyse de 70 crus bordelais
Le principe procède par analogie avec les marchés des actions et obligations. Le marché primaire est celui où le cru est vendu en primeur et le marché secondaire, celui où le cru s’échange.
Dans une première étape, les chercheurs ont modélisé les prix des 16 derniers millésimes (2005 à 20016) de 70 châteaux bordelais sur le marché secondaire. Le niveau de réputation du château, l’âge du vin, la qualité générale du millésime et celle du cru en particulier permettent de décomposer le prix et d’arriver à une équation.
La qualité du millésime a été mesurée en agrégeant les évaluations de quatre sources. Les chercheurs observent qu’elle a « un impact considérable sur la demande et donc sur le niveau général des prix de chaque millésime ». Ils observent aussi que la relation entre les prix et le score individuel par millésime n’est pas linéaire. « Une note entre 98 et 100 chez The Wine Advocate va booster le prix. Entre 96 et 98 l’effet prix sera moindre », précise Jean-Marie Cardebat. Il y a une sorte de prime à la réputation.
Pour arriver au prix de sortie estimé du millésime 2021 pour chaque cru, le résultat de la première modélisation est combiné avec le niveau qualitatif d’ensemble du millésime 2021 et celui des scores individuels 2021. Les économistes ont pris pour base les notations des crus publiées par The Wine Advocate.