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Le cerveau fascine les œnologues

La journée technique du congrès des œnologues de France avait cette année pour thème « Œno-sensation : cognition de l’expérience gustative ». L’occasion d’en apprendre plus sur les mécanismes du cerveau qui permettent d’associer des émotions à la dégustation.

Les participants au congrès étaient conviés par le syndicat des œnologues de la région Provence-Corse-Vallée du rhône sur l'île des Embiez, le 23 mai dernier.
© E. TERMINI/ Œnologues de France

Près de 300 œnologues ont investi l’île des Embiez, dans le Var, pour assister au congrès annuel des œnologues de France. Pour cette 59e édition, l'antenne régionale de Provence-Corse-Vallée du Rhône, chargée de l’organisation, a surpris les adhérents en choisissant une thématique originale pour la traditionnelle journée technique. « Nous avons fait le pari de nous écarter un peu de notre domaine », a introduit Dominique Moncomble, ex-directeur technique du comité interprofessionnel des vins de champagne (CIVC) et médiateur de la journée. Tant cérébrale que sensorielle, la dégustation entraîne un ensemble de réactions liées à la mémoire et aux émotions que l’on est encore loin de réellement connaître. Mais les avancées en neurosciences offrent de nouvelles pistes pour appréhender ces phénomènes, et les mettre au service du marketing. « In fine, l’objectif est de déclencher l’acte d’achat », a explicité Dominique Moncomble.

Une production de matière grise en fonction de notre activité

Le professeur Jean Régis, neurochirurgien et chef de service à l’hôpital de la Timone, à Marseille a ainsi expliqué que l’histologie, la branche de la biologie qui traite de la structure des tissus vivants, a grandement contribué à cartographier le cerveau humain. Une cartographie qui permet de savoir quelle région est stimulée lors d’une expérience, par exemple celle de la dégustation. Ses recherches révèlent que notre activité contribue à modifier, sur des choses très spécifiques mais à des niveaux non négligeables, la composition de notre cerveau. « On a constaté que la quantité de matière grise dans certaines zones du cerveau diffère d’un individu à l’autre, mais présente des similitudes selon la profession exercée ou les hobbies », a interprété Jean Regis. Ainsi, les sommeliers ont les régions de leurs cerveaux liées à l’olfactif et à la mémoire significativement plus développées. « Nous sommes les propres architectes de notre cerveau ! », a ainsi assuré le neurochirurgien. D’autre part, l’étude des signaux nerveux générés lors de la dégustation d’un vin révèle que ces derniers entraînent l’activation d’une zone du cerveau appelée système opioïdergique. « C’est cette même zone qui est activée lors de l’orgasme », a indiqué le professeur Jean Régis. Dans notre tête, plaisir gustatif et plaisir sexuel auraient donc un peu le même écho…

Les polyphénols préservent les neurones du tube digestif

Pascal Derkinderen, professeur en neurologie à l’université de Nantes, a quant à lui apporté quelques précisions sur ce que certains appellent notre « deuxième cerveau » : l’intestin. « Il est vrai que l’intestin contient de très nombreux neurotransmetteurs, mais le considérer comme un deuxième cerveau est un peu fantasmagorique », a affirmé le neurologue. Si l’étude du système nerveux entérique (relatif à l’intestin) en est encore à ses débuts, quelques certitudes se dégagent déjà. Il est désormais certain que les mécanismes de contrôle bidirectionnel entre l’intestin et le cerveau primaire servent principalement à assurer les fonctions de motricité du tube digestif et d’absorption. Il est donc peu probable que notre intestin puisse avoir un quelconque lien avec l’activation des aires cérébrales liées aux émotions. En revanche, grâce au travail mené par des chercheurs brésiliens, il est admis que le vin joue un rôle dans la préservation des neurones entériques. « Ce sont les polyphénols qui assurent cette fonction protectrice », a complété Pascal Derkinderen.

La profession médicale partagée sur les liens entre vin et santé

C’est le professeur Didier Raoult, médecin et microbiologiste à la faculté de médecine de Marseille, qui a pris le relais sur la question épineuse des relations entre le vin et la santé. Avant de développer ses propos, le chercheur a précisé que le monde médical était très partagé sur la question. « À faible dose, l’alcool est un anxiolytique, à forte dose, il peut causer de la dépression », a ainsi argumenté Didier Raoult, avant d’ajouter que l’alcoolisme était très souvent associé à une maladie psychiatrique. Il a par ailleurs rappelé qu’il y a une forte influence culturelle sur ce qui est permis en matière de drogues, dont fait partie l’alcool au même titre que les opiacés dont certains, comme la codéine, sont régulièrement consommés par les Français. « La réponse physiologique à l’alcool présente des variabilités interindividuelles très importantes », a indiqué le médecin. « D’autant que sur ces thématiques houleuses, les patients mentent, même à leur médecin ! Il est donc très difficile de connaître leur consommation exacte de vin, et d’établir un lien de cause à effet », a-t-il ajouté.

Les neurosciences au service du marketing

« À l’heure du digital, il ne faut pas oublier que le consommateur final est bien vivant et qu’il est nécessaire d’interagir avec lui », a signalé Julien Diogo, directeur d’ICN Agency spécialisée dans le neuromarketing. Ainsi le storytelling, ou l’art de raconter une histoire, est nécessaire pour stimuler notre inconscient et déclencher des émotions. « La grosse erreur que font les marques aujourd’hui est de vendre les attributs du produit au lieu de l’associer à un évènement », a-t-il spécifié. Les neurosciences sont donc à considérer comme une boîte à outils pour influencer les réponses d’achat, « sachant que les tendances actuelles ne seront probablement plus valables d’ici cinq ans », a précisé Julien Diogo. Ce dernier a par ailleurs recommandé d’intégrer aux données issues des neurosciences, celles relatives au contexte socioculturel, car « ce qui fonctionne à Paris ne va pas forcément marcher à Marseille ». Toutefois, selon l’expert, il y a certaines choses qui marchent à tous les coups. Par exemple, pour communiquer, mieux vaut préférer les formes rondes qui génèrent des valences positives, aux formes pointues, qui alertent l’inconscient sur un risque de danger. « Veillez à ne pas représenter les consommateurs avec un verre dans la main droite car cela crée une incapacité à se projeter dans l’avenir », a cité comme exemple Julien Diogo. Pour conclure, le spécialiste portugais a cité le cas des lattes de parquet qui, positionnées dans le sens de la marche, incitent à avancer plus vite et laissent moins de temps au client pour regarder les vins. À l’inverse, si elles sont perpendiculaires au sens de la marche, le cerveau l’interprète comme un obstacle, ce qui aura pour conséquence de faire marcher le client plus lentement. Des découvertes tant passionnantes que surprenantes !

 

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