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Ils cultivent des parcelles multicépages

Pratiquée de façon ancestrale, la plantation de différents cépages sur une même parcelle défie certaines règles établies. Des vignerons et vigneronnes témoignent de leur expérience.

Au Château de Montfaucon, sur l'appellation lirac, la parcelle plantée de 18 cépages différents est une source d'inspiration.
Au Château de Montfaucon, sur l'appellation lirac, la parcelle plantée de 18 cépages différents est une source d'inspiration.
© R. de Pins

« Ça s’est toujours fait » avancent les tenants de la complantation de cépages différents sur une même parcelle. De fait, les vignerons et vigneronnes interrogés pour cet article ont pour la plupart pris en main des parcelles de vieilles vignes multicépages. Mais certains ont planté la parcelle ainsi ou complètent des parcelles monocépages en remplaçant les manquants par des cépages alternatifs.

Apporter de la biodiversité face à l’évolution climatique

Pour Grégory Sergent, qui cultive 4,5 hectares au Clos du Jas, sur l’AOP lirac, la complantation est un lien à l’histoire et fait partie d’une réflexion sur la biodiversité du matériel végétal. À côté de ses deux hectares de vignes centenaires, il expérimente. « Complanter permet d’accentuer la qualité d’un cépage dominant tout en gommant un défaut », affirme-t-il. Il cite l’alliance grenache-cinsault ou celle du carignan blanc qui manque d’acidité avec le bourboulenc qui en détient davantage. En ligne de mire la recherche d’un vin plus équilibré et moins lourd en alcool.

Assurer les volumes est un intérêt historique de la complantation. Il continue d’être invoqué. Ainsi certains militent pour associer carignan et cinsault en relais du grenache sensible à la coulure. En Alsace, à Westhalten, il y a vingt-cinq ans, le domaine Éric Rominger a complanté 60 % de gewurztraminer avec du riesling, sylvaner et pinot gris, cépages plus tardifs et moins coulards. La cuvée Ozmose issue de cette parcelle assume son profil différent selon les années avec « une complexité aromatique et de la fraîcheur toujours présentes », constate Claudine Rominger.

Des craintes limitées quant à la sensibilité aux maladies

Le port du cépage n’est pas, pour les vignerons interrogés, un critère limitant. Rodolphe de Pins, vigneron du château de Montfaucon dans le Gard, remarque que le changement climatique conduit à réduire la hauteur de feuillage ce qui limite l’incidence de ports différents. L’aspect sanitaire interroge davantage. Limiter les maladies était une attente de Paul Estève au domaine des Miquettes en Ardèche, lorsqu’il a planté sept cépages différents sur une même parcelle. Son constat est que « les maladies se propagent moins ». À Westhalten, sur le grand cru Bollenberg, Agathe Bursin cultive une parcelle de vignes de plus de 70 ans complantée de six cépages alsaciens blancs qu’elle vinifie pour sa cuvée l’As de B. Elle observe que si les pinots et le riesling sont en principe plus sensibles à l’oïdium, ça n’est pas le cas sur sa parcelle alors que le terroir est relativement humide.

« Il peut y avoir un problème au niveau phytosanitaire », admet de son côté Grégory Sergent. Même si le cépage plus sensible à l’oïdium n’est pas dominant, ça peut conduire à devoir traiter la parcelle entière, projette-t-il. Mais pour lui, la diversité parcellaire créée un équilibre.

La prudence est de mise pour certains cépages. « Je ne complante pas de cépage carignan car il est trop sensible à l’oïdium. En revanche, je mets du mourvèdre ou de la counoise dans les parcelles de carignan », indique Rodolphe de Pins.

Viser un équilibre global de la parcelle

Parmi les critères de choix, le risque de maturités décalées figure en tête. « Notre pépiniériste nous a fortement déconseillé de complanter du grenache avec du marselan car il y a un gros écart de maturité, Il nous a fait mettre du caladoc », relate un vigneron du Gard. Ce critère a surpassé celui de la similarité en goût, des moindres degrés alcooliques et de la sensibilité à la coulure par rapport au grenache.

De fait, les adeptes de la mixité des cépages minimisent ce problème de maturité. « La roussanne et la marsanne sont par exemple proches », note Grégory Sergent dont une parcelle accueille les deux cépages. Surtout, la recherche de vins moins alcoolisés et plus frais incite justement à jouer sur les décalages de maturité pour viser un équilibre final.

« Je vais pousser la maturité pour certains cépages et compenser avec d’autres en sous maturité. Je choisis aussi en fonction de leur caractère plus ou moins aromatique. Ce qui m’intéresse, c’est le résultat d’ensemble », illustre Rodolphe de Pins. Il dispose de plusieurs parcelles complantées dont une très vieille, de plus d’une quinzaine de cépages différents. Il y vendange à part les blancs et les rouges pour décliner sa cuvée Baron Louis en deux couleurs. Pour les blancs, il se cale sur la clairette, le cépage majoritaire. Pour les rouges, la décision se fait « avec un prélèvement aléatoire de grains et dégustation », explique-t-il.

Vers une convergence des maturités

Il a remarqué que dans les parcelles complantées, les écarts de maturité rétrécissent. « Un écart de 2 à 2 semaines et demie va se réduire à une semaine », illustre-t-il.

Agathe Bursin constate également une convergence des maturités sur sa parcelle de six cépages. Lorsqu’elle l’a récupérée, elle avait d’abord pensé l’arracher, craignant de devoir « y aller six fois » ! Elle a vite remarqué que tous les cépages mûrissaient en même temps. « Le gewurztraminer, qui a en général 15 jours d’avance sur les pinots gris et blancs se retrouve ici coordonné », témoigne-t-elle. « Ils sont plantés à la volée », note-t-elle en comparant avec une parcelle voisine, plantée de 80 % de muscat ottonel et de 20 % de muscat d’Alsace en rangs homogènes. Sur cette dernière parcelle, elle est obligée de les vendanger séparément.

Mais au domaine Éric Rominger, où les cépages complantés sont disposés en rangs, « il n’y a jamais eu un cépage plus mûr qu’un autre », affirme Claudine Rominger. Sans énoncer de certitude, elle invoque la sélection massale, la biodynamie et le caractère exceptionnel du grand cru zinnkoepflé. En observant ses vieilles parcelles, Grégory Sergent estime également « que la biodynamie et la santé du sol ont tendance à lisser la maturité ».

Pourquoi cette convergence ? Le vigneron alsacien Jean-Michel Deiss, grand défenseur de la complantation comme révélateur de terroir, développe une réponse sur son site. « Il est essentiel de comprendre que le rendement est l’unique clef permettant de vendanger la parcelle à une maturité suffisamment homogène. En effet, plus les vignes sont vigoureuses, plus l’on constate de différences entre les cépages », explique-t-il.

Le style de vin n’est pas reproductible en assemblage

La recherche d’un vin plus complexe motive également cet assemblage à la parcelle. Le résultat n’est pas reproductible au chai témoigne Rodolphe de Pins. « En 2015, j’avais décidé de ne pas faire la cuvée issue de la parcelle complantée. J’ai essayé de la faire après coup en assemblage au chai. Même en utilisant des cuves où des cépages avaient cofermentés, impossible de retrouver le profil. Il y a des échanges qui se font pendant la fermentation », analyse-t-il

Xavier Vignon, qui cultive 35 hectares en vallée du Rhône, voit dans la complantation d’une mixité de cépages une véritable voie d’avenir. « Je revendique ça comme une solution par rapport à la maturité phénolique », lance-t-il. Selon le profil des raisins issus du millésime, il considère que la parcelle peut changer de destination et faire naître un rouge ou un blanc de noirs, pour une qualité gustative optimale.

Quelles sont les limites réglementaires ?

Jusqu’à quel point peut-on complanter des cépages différents dans une parcelle au départ monocépage ? « Si le cahier des charges ne l’interdit pas spécifiquement, c’est autorisé, considère Biliana Arsic, responsable du service technique du syndicat des côtes-du-rhône. Crozes-hermitage quantifie par exemple la possibilité de complanter du blanc dans une parcelle de rouge à hauteur de 15 % ». Au niveau du CVI, c’est la cohérence de la surface déclarée avec le bulletin de transport qui importe, selon elle, pas la disposition des ceps. Si le domaine souhaite modifier le CVI, une attestation est nécessaire. « Nous réalisons une attestation en recalculant les proportions de cépages dans la parcelle », explique la responsable. Il convient évidemment que le cahier des charges de l’appellation soit respecté.

Côté aides à la restructuration, la complantation n’est pas bienvenue. Le document de FranceAgriMer sur les conditions d’attribution pour 2019-2023 évoque une parcelle éligible comme devant être « plantée ou à planter d’un seul tenant avec la même variété ». Biliana Arsic rappelle aussi que la liste des cépages éligibles est restrictive, et d’autant plus dans le cadre de plans collectifs de restructuration. Les sélections massales et le greffage en place sont également exclus des aides à la restructuration.

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