Des pistes de lutte contre le changement climatique
Des chercheurs ont testé diverses techniques pour retarder la maturation des baies. Et ce, dans le but de limiter le taux d’alcool, sans modifier les autres composants. Effeuillage à trous et antitranspirants donnent de bons résultats.
Des chercheurs ont testé diverses techniques pour retarder la maturation des baies. Et ce, dans le but de limiter le taux d’alcool, sans modifier les autres composants. Effeuillage à trous et antitranspirants donnent de bons résultats.
Dans le cadre du projet Innovine, les universités de Plaisance en Italie et de Geisenheim en Allemagne, ont testé l’impact d’un effeuillage mécanique partiel, ou effeuillage à trous, sur la maturation du raisin rouge. Et ce, dans le but de limiter le chargement en sucres tout en n’impactant pas la couleur. Cette technique, appliquée un peu avant la véraison, a donné de bons résultats. Les chercheurs ont créé un genre de « fenêtre », en ôtant une partie des feuilles les plus actives mais en laissant du feuillage en haut et en bas du cep.
Le premier test a été conduit sur sangiovese, avec un effeuillage en partie « haute », c’est-à-dire en laissant 6 à 7 feuilles de part et d’autre (au-dessus et en dessous) de la zone effeuillée. En est résulté une accumulation de sucres ralentie, tandis que l’opération n’a eu aucune influence sur la pigmentation des baies.
Supprimer au moins 30 % de la surface foliaire
D’autres tests, menés ultérieurement, ont confirmé cet essai et validé le mode opératoire. Le plus efficace consiste à intervenir lorsque la concentration en sucres atteint les 12 à 14 °Brix. Il faut alors ouvrir une fenêtre « haute », de 50 cm, et ôter au moins 30 % de la superficie foliaire. Le rapport anthocyanes sur sucres augmente par rapport au témoin. Selon les chercheurs, cette technique d’effeuillage à trous revêt également un intérêt dans le cas des vignobles blancs, et plus particulièrement lorsque les raisins sont destinés à l’élaboration d’effervescents en zones chaudes. Cela permet de retarder l’évolution des baies, afin que la maturation se déroule à une période un peu plus fraîche et donc plus favorable à la synthèse des métabolites aromatiques secondaires. En parallèle, le maintien du feuillage dans la zone des grappes permet de conserver une teneur plus élevée en acide malique, composé le plus sensible au facteur thermique.
Parallèlement à cela, les chercheurs se sont penchés sur l’impact d’antitranspirants. Dans ce cas, la technique vise à limiter la photosynthèse – en s’évaporant, le produit crée une pellicule transparente sur les feuilles qui limite les échanges gazeux mais ne cause aucun dommage morphologique ou physiologique – durant une certaine période : le produit reste sur les baies entre 30 et 40 jours avant de se dégrader. Les essais ont été menés dans une parcelle de barbera, deux années de suite. Le produit, à base de pinolène, a été appliqué à une concentration de 2 % en période de pré et/ou post-véraison. Dans les trois cas de figure, l’antitranspirant a efficacement ralenti le chargement en sucres. Parallèlement à cela, les chercheurs ont constaté une corrélation linéaire entre le taux d’anthocyanes totaux et le °Brix. Mais si, sur le témoin, les premiers signes de pigmentation apparaissent autour de 10,1°Brix, sur les modalités traitées, ce phénomène advient aux environs de 8,2°Brix. Ce qui signifie que les antitranspirants ont « anticipé » le chargement de couleur, alors que l’accumulation en sucre est retardée de 5 à 6 jours. Tout comme l’effeuillage à trous, cette technique non invasive permet une limitation de la photosynthèse sans toutefois altérer le microclimat de la vigne.
L’emploi de phytorégulateurs permet également de repousser la maturation. Ainsi, l’acide naphtalène acétique (auxine de synthèse) appliqué en période de prévéraison a retardé la maturation de syrah de dix jours, tandis que l’application d’acide salicylique, en prévéraison toujours, a conduit à un retard dans la production de couleur. L’application de cytokinines de synthèse en post-nouaison a conduit à des taux de sucre moindres et des acidités plus élevées dans les moûts. Enfin, parmi les molécules présentant un effet retardateur sur la maturation, se trouvent également des inhibiteurs de la biosynthèse des brassinostéroïdes (hormones végétales) et des inhibiteurs des récepteurs à éthylène.
En France, effeuillage à trous et filets occultants fonctionnent
De leur côté, les chercheurs français ont eux aussi commencé à tester diverses techniques. C’est le cas d’Alain Carbonneau. Ce chercheur et enseignant à la retraite, s’est penché sur l’effeuillage à trous. Avec succès. « Je suis parti du fait que je voulais diminuer la teneur en sucre du raisin sans pénaliser les autres composés », expose-t-il. Un premier essai a donc vu le jour en Grèce en 2014, sur du merlot. « Nous avons ôté manuellement 30 à 40 % des feuilles actives un peu avant la véraison, et avons comparé ce mode de conduite à un rognage très sévère (suppression de la moitié du feuillage), et à un témoin », poursuit-il. Au final, si le rognage sévère n’a pas permis une maturation des raisins, l’effeuillage à trous a rempli l’objectif : une légère diminution du taux de sucre a été obtenue, sans altération des autres composés. Le chercheur a poursuivi ces essais dans le Languedoc, mais en supprimant 50 % de la surface foliaire. Avec, à la clé, une diminution de 1 % d’alcool et une qualité correcte. « C’est une technique intéressante pour les vignes vigoureuses. Cet effeuillage à trous favorise en plus les autres composés grâce à un meilleur ensoleillement des grappes, conclut Alain Carbonneau. Il faudrait poursuivre ces essais, et adapter une effeuilleuse pour le réaliser de manière mécanique. » Étape que nos voisins italiens ont déjà franchie…
Le rognage sévère retarde l’accumulation du sucre
Pour sa part, lors des entretiens vigne-vin du Languedoc-Roussillon, Jean-Christophe Payan, de l’IFV, a présenté des résultats d’essais portant sur un rognage sévère. L’opération a été réalisée à véraison et a conduit à la suppression de 50 % des feuilles. Pour un résultat intéressant selon le chercheur : l’évolution du taux de sucre a été retardée de quinze jours, sans altération de l’accumulation des anthocyanes. Des essais doivent être reconduits afin de vérifier les effets à long terme d’une telle pratique sur la vigne, ainsi que l’impact organoleptique. Par ailleurs, Jean-Christophe Payan a partagé des résultats d’expérimentations menées avec des filets latéraux, employés pour créer un ombrage sur la végétation. Cet ajout d’occulteurs a eu un impact direct sur la maturation des sucres avec un décalage de sept à dix jours. Néanmoins, les chercheurs ont constaté un déficit d’accumulation des anthocyanes, plus ou moins préjudiciable selon les cépages. À l’avenir, Jean-Christophe Payan envisage de se pencher sur l’effet des antitranspirants ou encore de l’argile.