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Comment bien gérer la maturité de ses raisins ?

La date de récolte est un moment clef dans le parcours qualitatif de vinification mais pour cela, garder un œil uniquement sur la maturité technologique ne suffit plus. Et le réchauffement climatique vient parfois compliquer le choix d’une date optimale.

Véraison
« En Beaujolais, sur le gamay, les maturités technologique et polyphénolique sont relativement proches. Ce n’est pas le cas sur d’autres cépages comme le grenache », analyse Jean-Yves Cahurel, responsable expérimentations viticoles à l'IFV-Sicarex.
© F. Ferrer

Maturités s’écrit avec un S, les vignerons l’ont appris parfois à leurs dépens lors des millésimes très chauds et précoces. Il est communément admis qu’il existe trois types de maturité principaux, ainsi définis par l’IFV : la maturité technologique, qui se réfère à la teneur en sucre et à la valeur de l’acidité ; la maturité aromatique, qui correspond à la concentration optimale en arômes variétaux et enfin la maturité polyphénolique, qui traduit la maturité de la pellicule et des pépins.

Si le millésime 2024 ne sera sans doute pas le plus marquant en la matière, l’évolution de ces maturités a été fortement impactée par le réchauffement climatique. « Il y a trente ans, on cherchait comment atteindre la maturité. Aujourd’hui, on cherche à la retarder », résume, amusé, Jean-Yves Cahurel, de l’IFV-Sicarex, à Villefranche-sur-Saône. « De façon générale, les sucres montent vite et l’acidité chute tout aussi rapidement, poursuit-il. Cela entraîne une acidité totale trop basse et donc un souci de conservation des vins et la nécessité d’augmenter la dose de sulfitage. Et en bout de course, cela donne des vins moins équilibrés. On recommande de ne pas récolter à un pH supérieur à 3,30 pour les rouges et 3 ou 3,10 pour les blancs ».

Au-delà des 35 °C, le processus de maturation se retrouve bloqué, « avec un effet aussi sur les polyphénols et les couleurs qui se dégradent », note pour sa part Thierry Dufourcq, ingénieur au pôle Sud-Ouest de l’IFV, spécialiste des conséquences de l’évolution climatique. Et si l’irrigation peut remédier au stress hydrique, elle ne peut rien en revanche contre le stress thermique, indique-t-il.

Le niveau d’anthocyanes, la valeur clé

Si la maturité technologique est facile à déterminer avec précision, les deux autres le sont moins. La maturité polyphénolique (1) est un marqueur complémentaire qui aide à déterminer la concentration maximale en tanins qualitatifs. « Ce n’est pas évident à mesurer. Pour notre part, nous dosons les anthocyanes », poursuit Jean-Yves Cahurel.

La dégustation des baies et des pépins permet également d’évaluer la bonne maturité polyphénolique, au point qu’en Beaujolais des formations sont proposées aux vignerons pour apprendre à déguster les pépins et à reconnaître leur maturité à travers l’évolution de leur couleur.

Pour l’IFV, la date optimale se situe 5 à 8 jours après avoir atteint un maximum d’accumulation d’anthocyanes. Ensuite, le vigneron doit faire ses choix selon le vin qu’il veut produire : vendanger en légère sous-maturité pour un vin sur le fruit et la fraîcheur et en légère surmaturité pour des vins de plus longue garde. Le niveau des anthocyanes apparaît donc comme le marqueur pertinent et l’IFV conseille ainsi de le faire mesurer à deux ou trois reprises lors des contrôles maturité par un laboratoire œnologique.

« Ne pas courir plusieurs lièvres à la fois »

Concernant la maturité aromatique, il n’y a pas de réponse simple « certains précurseurs aromatiques ne se développent qu’à la vinification », rappelle Carole Feilhes, œnologue à l’IFV Occitanie. Pour déterminer le niveau de maturation, « beaucoup de caves misent sur la dégustation des baies ou des moûts ».

Thierry Dufourcq invite à la vigilance : « il faut surveiller attentivement la maturité, y compris en dégustant les baies pour garder de la fraîcheur, ne pas subir le degré quitte à avoir moins de tanins. Il ne faut pas courir plusieurs lièvres à la fois, la fraîcheur et la concentration », estime-t-il, constatant en années chaudes la dégradation des aromatiques et la disparation de notes « de végétal frais » et l’apparition de « profils aromatiques plus lourds où les thiols ont du mal à se révéler ». Il conseille en outre d’être attentif aux températures de récolte « vendanger au frais, même les rouges », et d’être vigilant sur la dissolution de l’oxygène ; de ne pas trop aérer pour produire des vins de réduction qui préservent les arômes primaires du raisin.

(1) Pour Thierry Dufourcq, scientifiquement les polyphénols ne mûrissent pas : « c’est un élément de langage, un concept, une perception ».

De nombreuses pistes pour ralentir la maturité

Durant trois années (2020 à 2022), l’IFV a testé une modalité « augmentation de la hauteur du tronc » sur une parcelle de gamay en Beaujolais. Sur deux des trois millésimes, l’acidité a été plus élevée, tant à l’analyse qu’à la dégustation. Les capteurs de température positionnés à l’intérieur des ceps ont relevé des maximales plus faibles et des minimales plus élevées. « C’est lié à la moindre radiation du sol », commente Taran Limousin, chargé de projet à l’IFV Bourgogne-Beaujolais-Jura-Savoie.

Lors de la même période, des essais ont été menés en Savoie sur de la mondeuse et de l’altesse. « On a cisaillé 50 cm plus bas pour réduire la surface foliaire de 30 % », décrit-il. L’effet de ce rognage drastique, qui limite la photosynthèse, est très net : trois jours de décalage de véraison en 2022 et cinq en 2021 ; cinq jours de décalage de maturité en 2022 et quinze en 2021 ! « Mais se pose la question de la longévité de la vigne, tempère Taran Limousin. Il y a moins de mise en réserve et donc potentiellement une mortalité plus forte. C’est donc une technique à utiliser au 'coup-par-coup' ». Et puis surtout, cet essai n’a pas permis d’homogénéiser les différentes maturités, elles ont toutes été décalées.

Pour le technicien, c’est sans doute une combinaison de facteurs (paillage, effeuillage, filets d’ombrage) qui permettra d’obtenir les meilleurs résultats.

Lieux de plantation et matériel végétal

Sur le moyen terme, il existe plusieurs pistes pour maîtriser les maturités face au réchauffement. La première consiste à planter à plus haute altitude et/ou sur des expositions moins ensoleillées.

La seconde réside dans le choix du matériel végétal, ce qui ne veut pas forcément dire changer de cépage mais être attentif aux clones. « En gamay, les clones originaires d’Auvergne ont jusqu’à 15 jours d’écart avec ceux du Beaujolais », remarque Taran Limousin.

Ensuite, il est bien sûr toujours possible d’intervenir durant la vinification (levures acidifiantes, acidification) ou par assemblage de cuvées et de cépages, voir par des assemblages entre vendanges en sous-maturité et vendanges bien mûres. Comme une exploration tous azimuts pour s’adapter à la problématique du siècle.

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