Exportation de vins : Brexit, le grand suspens
À quelques semaines du 29 mars 2019, date toujours fixée pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, les modalités sont toujours inconnues. Au-delà des prévisibles complexités administratives et douanières à envisager, c’est plus l’impact économique qui inquiète.
À quelques semaines du 29 mars 2019, date toujours fixée pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, les modalités sont toujours inconnues. Au-delà des prévisibles complexités administratives et douanières à envisager, c’est plus l’impact économique qui inquiète.
Depuis le référendum du 23 juin 2016 par lequel les Britanniques ont décidé à 51,9 % de sortir de l’Union européenne, plus de deux ans et demi se sont écoulés. Mais les exportateurs de vins et spiritueux vers le Royaume-Uni ne sont pas plus fixés sur les nouvelles règles commerciales à envisager. L’attente est d’autant plus fébrile, que le Royaume-Uni est le deuxième pays d’exportation de nos vins derrière les États-Unis en valeur et derrière l’Allemagne en volume.
L’incertitude administrative est manifeste
« Il est indispensable que, tant du côté britannique que français et européen, les autorités compétentes précisent et informent au plus vite les entreprises des nouvelles règles et modalités qui devraient s’appliquer à partir du 30 mars prochain afin qu’elles puissent s’y adapter dans les meilleurs délais », demandait la FEVS (Fédération des exportateurs de vins & spiritueux de France) par la voix de son président, Antoine Leccia, le 15 janvier. Un appel pas vraiment entendu tant les négociations politiques occupent le devant de la scène.
Quelle que soit la nature de l’accord trouvé entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, les professionnels de la filière envisagent bien des modalités plus compliquées. Mais ils s’apprêtent tout bonnement à considérer le Royaume-Uni comme un pays « normal ». « Nous vendons dans 150 pays et nous avons commencé à vendre au Royaume-Uni bien avant le marché commun », souligne Louis-Fabrice Latour, président délégué du bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB).
« Nous ne savons pas à quelle sauce nous allons être croqués quant aux modalités administratives mais nous voyons bien une inquiétude de nos clients quant à la logistique aux frontières. Il faudra quelques semaines pour s’adapter aux nouvelles règles », admet Allan Sichel, le président du Comité interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB). Mais il ne croit pas au retour de barrières administratives. « Il y a une grosse activité de trading de vin au Royaume-Uni que le pays n’a pas intérêt à remettre en cause », estime-t-il. Un avis confirmé par Louis-Fabrice Latour du BIVB. « Le wine business a besoin de nous. Ils n’ont pas intérêt au protectionnisme car ils ne font pas de vin. Il leur faut leur chablis, leur meursault, leur mâcon ! » Si les superficies de vignes augmentent régulièrement outre-Manche, elles fournissent moins de 1 % de la consommation.
La crainte de nouvelles taxes est modérée
De nouvelles taxes vont-elles apparaître ? Sur ce point aussi, les professionnels se veulent confiants. « Les taxes ont déjà augmenté de 60 % sur les dix dernières années, ça ne peut pas être taxé beaucoup plus », constate Jean-Marie Barillère, président de l’Union des maisons de Champagne (UMC).
« Les prix sont déjà assez hauts avec 2,3 pounds de taxes par bouteilles », observe Thierry Sève chez Calmel & Joseph. Et sur ce point, tous les concurrents sont logés à la même enseigne. « Les Anglais vont-ils favoriser les vins du Commonwealth ? », s’interroge Louis-Fabrice Latour. « L’antériorité est très forte. Ça nous protège. La Maison Latour exporte par exemple depuis deux siècles là-bas », se rassure-t-il. Tout en reconnaissant que le volume et la valeur des exportations ont légèrement diminué pour la Bourgogne en 2018 au Royaume-Uni, il observe que « les prix ont baissé assez fortement pour le chablis. Les vins vont pouvoir reprendre des positions. Ça peut être un moyen de reconquête ».
De fortes craintes sur la fluidité des échanges
Mais le spectre d’une interminable file d’attente aux frontières hante les esprits. « La France est le point d’entrée de 80 % des flux de marchandises britanniques vers l’Union européenne », s’inquiète le groupe de suivi sur le Brexit du Sénat dans un communiqué le 31 janvier. « Tous les moyens humains et techniques nécessaires doivent être mis en œuvre pour assurer du mieux possible la fluidité des échanges et la pérennité des activités économiques entre la France et le Royaume-Uni », plaide la FEVS. Une loi a été votée et promulguée le 19 janvier pour « habiliter le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ».
À court terme, la priorité est d’éviter l’absence dans les rayons des points de vente et sur les cartes des restaurants. Seule solution : la mise en place de stocks tampon pour parer aux conséquences d’un blocage administratif et logistique des flux de marchandises. « Au Royaume-Uni qui est l’un de nos trois principaux marchés, nous avons des petits clients, très réactifs qui vont se constituer un stock de cinq à six mois, le temps de laisser passer la période. Mais nous avons aussi de gros clients qui s’attendent également à ce qu’on ait au moins six mois de stock à leur expédier d’un coup, ce qui est beaucoup plus compliqué à anticiper. Mais notre agent est prêt à nous passer des commandes en cas de no deal. Pour les délais de paiement, chacun va faire un effort », explique Thierry Seve, directeur export chez Calmel & Joseph. Cette maison de vin du Languedoc-Roussillon vient justement de faire progresser son chiffre d’affaires de 40 % au Royaume-Uni en 2018, en rentrant chez le distributeur Waitrose & Partners. Chez Badet Clément, autre maison de vin très active outre-Manche, on reconnaît que la politique de stockage des importateurs a plutôt pour effet de doper les ventes pour l’instant. « Nous nous attendons à des volumes de vente significativement plus élevés en janvier, février. Il nous faut financer des stocks de précaution pour que nos lignes de référencement ne soient pas en rupture », confirme Allan Sichel du CIVB. « Il y a autant d’interrogations que de situations de volumes, de niveau de prix, de type d’entreprise », constate toutefois Virginie Charlier, directrice marketing et communication chez InterRhône.
L’impact sur le climat économique est la plus forte crainte
« C’est plus la récession qui pourrait résulter de tout ça qui est une source d’inquiétude », résume Louis-Fabrice Latour, président délégué du BIVB. « Au moins sur les premières années, l’économie pourrait être pénalisée et la consommation des vins est liée à l’ambiance générale et à la performance de l’économie », renchérit Allan Sichel, président du CIVB. « La hausse des prix viendra mécaniquement d’un affaiblissement de la livre. C’est beaucoup sur le taux de change que les choses vont se jouer », confirme Jean-Marie Barillère, président de l’UMC.
L’impact sur les prix s’est d’ailleurs déjà fait sentir depuis le fameux référendum suite à la baisse de la livre. Au Domaine Feely en Dordogne, Carol Feely, irlandaise installée à Saussignac et dont la clientèle est en très grande majorité britannique a bien constaté la baisse de pouvoir d’achat de ses clients. Elle a décidé de ne pas augmenter ses tarifs pour les conserver. Pour garder ses positions, Inter Rhône a réorienté sa communication envers le consommateur final après avoir beaucoup investi sur les prescripteurs. « On doit montrer qu’on justifie le niveau de prix », estime Virginie Charlier. « Nous remarquons depuis quelques années la prépondérance des promotions en Grande-Bretagne. Mais c’est aussi une période d’opportunité pour être réactif, trouver ce que le client n’a pas ailleurs, pour se positionner sur de nouveaux créneaux », se veut confiant Thierry Seve chez Calmel & Joseph. « Certains analystes, estiment que le Brexit peut permettre au Royaume-Uni de rebondir. Si la livre s’apprécie, nos vins seront plus abordables », esquisse Allan Sichel en évoquant les scénarios les plus optimistes. Bien décidés à ne pas lâcher le marché anglais, les professionnels attendent finalement l’issue des négociations avec un flegme tout britannique.
Des appellations toujours protégées
À la FEVS, la menace d’une brèche dans la protection des appellations est écartée. « En l’absence d’accord, la législation européenne sur la protection des indications géographiques cesserait de s’appliquer au Royaume-Uni. Dans ce cas de figure, le Royaume-Uni a toutefois indiqué son intention de se doter d’un système d’indications géographiques conforme aux obligations de l’OMC et proches du régime de l’UE, dont le calendrier et les modalités d’application restent encore à préciser », détaille la FEVS. Le Royaume-Uni a toujours défendu la mise en place de ce système d’appellation qui protège notamment le whisky écossais dont la France est le premier marché.