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Aucune des deux formulations de bioprotection ne sort du lot

Depuis quatre ans, les vignobles Bernard Magrez testent deux formulations de bioprotection sur leurs grands crus classés. Gaïa et Primaflora sont sans incidence sur la FA, et n’apportent pas de caractéristiques organoleptiques bien définies.

Les levures non-saccharomyces sont très largement utilisées dans les formulations de bioprotection pour leur capacité à lutter contre l'implantation de micro-organismes indésirables. © P. Cronenberger
Les levures non-saccharomyces sont très largement utilisées dans les formulations de bioprotection pour leur capacité à lutter contre l'implantation de micro-organismes indésirables.
© P. Cronenberger

Réduire les intrants lors de la vinification fait partie des premiers objectifs du groupe Bernard Magrez. Avec en ligne de mire le soufre, qui bénéficie d’une image très négative auprès du consommateur. « Les multiples bénéfices du SO2 en œnologie n’existent dans aucun autre produit, déclare Arnaud Delaherche, responsable R & D des vignobles Bernard Magrez. Il est donc difficile de s’en passer, mais il existe des moyens pour en réduire les teneurs dans le vin. » Il y a quatre ans, Arnaud Delaherche a lancé une série d’essais sur les moûts rouges du château Pape Clément, dans les Graves. Le projet est de remplacer le sulfitage lors de la réception des raisins par une bioprotection, et d’observer d’une part l’incidence sur l’activité levurienne lors de la FA, et d’autre part sur le profil gustatif des vins. Depuis, le responsable R & D a étendu les expérimentations aux trois autres grands crus classés du groupe afin de tester la réponse des différents cépages du Bordelais à la bioprotection.

Cinq jours de macération préfermentaire à froid

Arnaud Delaherche a sélectionné deux produits connus pour leur efficacité en matière de bioprotection afin de comparer leurs impacts sur les vins. Gaïa est composée des levures Metschnikowia fructicola sélectionnées par l’IFV (Institut français de la vigne et du vin). Primaflora VB est quant à elle élaborée par le groupe AEB, et contient 100 % de Metschnikowia pulcherrima. Le responsable des essais a choisi cette dernière formulation conçue pour l’élaboration des vins blancs, car la souche levurienne supporte mieux les basses températures ce qui est préférable pour les macérations préfermentaires à froid (MPF). Arnaud Delaherche ajoute Gaïa et Primaflora dans les cuvons de réception, à des doses de 10 g/hl. De son côté, le témoin est sulfité à 5 g/hl. S’en suit une MPF de 5 jours à 8 °C, puis les moûts sont levurés à 20 g/hl avec les souches sélectionnées sur le vignoble de Pape Clément. « L’idée est d’inclure la bioprotection dans notre process sans avoir à le modifier », précise le chef projet. La vinification se déroule ensuite sous les mêmes conditions pour les trois modalités, dans des cuves de 70 hl.

Un impact gustatif variable dans le temps

Après quatre années de test, les premières conclusions sont encourageantes. Arnaud Delaherche insiste sur le fait qu’il est très important d’appliquer la bioprotection le plus tôt possible en prenant soin de préserver l’intégrité des baies. La vendange manuelle est donc préférable. « Gaïa et Primaflora n’ont aucune incidence sur le déroulement des FA car elles ne gênent en aucun cas l’implantation des Saccharomyces », témoigne-t-il. Si les vins obtenus ne présentent aucun défaut organoleptique, il apparaît que l’impact gustatif des deux formulations est très variable dans le temps. « Il y a une réelle évolution des profils au cours de la vie du vin. Lors d’une dégustation, la modalité ensemencée avec Gaïa se distinguera sur le fruit, le volume en bouche ou encore la sensation de sécheresse. Un mois plus tard ce sera celle obtenue avec Primaflora », explique Arnaud Delaherche. Malgré plusieurs années de suivi, les équipes R & D ne sont pas parvenues à établir une récurrence entre l’âge du vin et l’influence aromatique de l’une des deux formulations.

Une efficacité antimicrobienne équivalente

Il y a cependant un point qui revient systématiquement : dans l’ordre des préférences, le témoin apparaît toujours en première ou deuxième position. « Cela nous pousse à nous remettre en question et à nous demander si nous ne devrions pas revoir nos repères gustatifs », expose le chef projet. Pour l’heure, il semblerait qu’il n’y ait donc pas de meilleurs résultats avec une formulation plutôt qu’une autre. « Nous travaillons en sélection parcellaire voire intraparcellaire, détaille Arnaud Deleharche. Notre but n’est pas de tout vinifier de la même façon car nous recherchons de la diversité pour complexifier les assemblages. La bioprotection est une technique qui marche en termes de protection vis-à-vis des micro-organismes indésirables et de la maîtrise du risque oxydatif dans les tout premiers moments de la vie du vin. » Les deux formulations pourraient donc rejoindre les protocoles de vinification définis pour les différentes cuvées. Dans les vignobles Bernard Magrez, les expérimentations devraient se poursuivre encore lors des prochains millésimes, avec à terme, l’ambition d’étendre la bioprotection sur les blancs secs. « Mais le château Pape Clément blanc obtient chaque année d’excellentes notes avec le process actuel, ajoute-t-il. Donc il sera délicat de passer en bioprotection sur cette cuvée-là ». Malgré une efficacité prouvée sur les rouges, les risques d’oxydation plus fréquents lors de la vinification en blanc pèsent encore beaucoup dans la décision de supprimer le sulfitage à la récéption pour ce type de produit.

" Aucun impact organoleptique sous 48 h de macération

« Le but premier de la bioprotection est de contenir le risque microbiologique en l’absence de sulfitage à la réception. Et cette technique a fait ses preuves puisque les micro-organismes indésirables ne se développent que dans des cas extrêmement rares. D’autre part, les Saccharomyces parviennent systématiquement à s’implanter dans les moûts même lorsque le levurage a lieu après plusieurs jours de macération. Les levures utilisées en bioprotection ne sont pas capables de survivre au-delà de 1,5 à 2 % vol. Pour que la protection vis-à-vis des micro-organismes indésirables fonctionne, il est primordial d’appliquer la bioprotection le plus tôt possible. Toutes les formulations ne nécessitent pas de phase de réhydratation, il est donc envisageable d’ensemencer directement à la parcelle, dans les cagettes. Attention toutefois à bien contrôler l’azote assimilable dans le moût à la fin de la MPF. Les levures de bioprotection en consomment en effet dans leur métabolisme. Les essais menés n’ont pour le moment pas permis de tirer des conclusions statistiquement viables concernant l’influence des souches sur le profil aromatique des vins rouges. Ce qui est certain, c’est qu’en dessous de 48 h de macération, il n’y a absolument aucun impact organoleptique. Nous étudions d’autre part l’impact de la bioprotection sur les vendanges botrytisées, tant sur l’aromatique que sur le risque oxydatif. Sur les blancs, l’angle d’étude est beaucoup plus ciblé sur l’aromatique. Nous nous intéressons particulièrement à la libération de précurseurs de thiols en l’absence de sulfitage, tout en suivant l’évolution des composés liés à l’oxydation. »

Sara Windholtz, œnologue et doctorante à l’Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV), en Gironde

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