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Associer produits de biocontrôle et conventionnels en vigne sans prendre de risques

S’ils restent insuffisants en solo contre le mildiou et l’oïdium, l'intégration des produits de biocontrôle dans des programmes mixtes est désormais chose courante.

Les produits de biocontrôle devraient prendre une part croissante dans nos programmes de lutte contre les maladies fongiques. © X. Delbecque
Les produits de biocontrôle devraient prendre une part croissante dans nos programmes de lutte contre les maladies fongiques.
© X. Delbecque

Il est bien difficile, quand on a appris à travailler avec des solutions d’une efficacité redoutable, de franchir le pas du biocontrôle. Mais avec le temps, les connaissances évoluent, et l’intégration dans nos programmes contre le mildiou et l’oïdium, qu’ils soient conventionnels ou bio, est de moins en moins hasardeuse. Il semblerait d’ailleurs que les produits de biocontrôle aient bénéficié du dispositif des Certificats d’économies de produits phytosanitaires (CEPP) pour se faire une place plus importante chez les distributeurs depuis deux ans, et donc pour multiplier les retours d’expériences et les enseignements. « L’année 2020 sera même un tournant pour nous, puisque nous venons de lancer deux programmes spécifiques pour accompagner les viticulteurs, annonce Thierry Favier, responsable technique vigne du groupe coopératif agricole Provence-Languedoc (CAPL). Un programme spécifique à l’oïdium et un autre spécifique au mildiou, tous deux fondés sur une logique d’intégration du biocontrôle. »

L’encadrement de fleur reste en conventionnel

Dès lors, comment faire pour gagner de précieux points d’IFT chimiques à ces produits, tout en sécurisant la protection ? « Quand on conseille les vignerons, on leur suggère de bâtir le programme sur une base de matières actives efficaces, et de compléter avec les produits de biocontrôle qui n’ont qu’une efficacité partielle, explique Sébastien Dubuisson, responsable du service vigne au pôle technique du Comité interprofessionnel des vins de Champagne. Et surtout de ne jamais utiliser de tels produits seuls en pleine fleur ! » C’est aussi la stratégie qui a été retenue par la CAPL pour ses programmes Agroécologie, sur la base de plusieurs années d’observation, de rapports d’essais et de réflexion. Plus précisément, le biocontrôle est inséré à des périodes où la pathologie s’installe, et des molécules clés (conventionnelles haut de gamme) sont gardées pour les périodes sensibles. « Pour l’oïdium, on part pour les premiers traitements sur une ossature à base de soufre, avec possibilité d’ajouter de l’Armicarb et du Limocide pour un complément d’efficacité », détaille Thierry Favier. Sur mildiou, le programme comprend pour le départ de végétation une base de phosphonate complétée avec du cos-oga (le Blason, qui a un effet également sur l’oïdium) et un peu de cuivre. « Puis on opère un pivot pour la floraison, poursuit le responsable technique. À partir du stade BBCH 55, une fois les grappes séparées, on bascule sur des traitements conventionnels stricts, et cela jusqu’à la fermeture de grappe. Nous avons toutefois fait le choix pour ce programme Agroécologie d’opter pour des molécules sans CMR» Puis le programme reprend en fin de végétation sur les mêmes bases qu’au début, en basculant sur le produit Taegro pour l’oïdium. Avec une telle stratégie, Thierry Favier est serein et assure ne pas risquer de décrochage. Cependant, il a mis tous ces techniciens au parfum : il faudra anticiper, et savoir être réactifs. Le maillage des stations météo de la coopérative s’est étoffé et les OAD ont pris une place plus importante. « Il va falloir repenser la lutte raisonnée, dit-il. Attendre l’apparition des foyers primaires est dangereux. De même, il faudra sûrement resserrer les cadences à 8/10 jours selon la pression et avoir une bonne pulvérisation. » Le coût du programme quant à lui est légèrement plus cher qu’à l’ordinaire. Il est annoncé avec un surcoût d’environ 15 % par rapport à un conventionnel strict.

Une alternative d’été face à la phytotoxicité du cuivre

Dans l’ensemble, il est clair que les phosphonates sont un levier intéressant pour diminuer les traitements conventionnels en antimildiou. Côté oïdium, le soufre est un moyen facile et efficace de gagner des IFT chimiques. Mais on voit apparaître sur le marché de plus en plus de solutions alternatives comme Sonata, Taegro ou Vitisan, « qui ont une efficacité moindre que le soufre, et peuvent présenter de prime abord un intérêt plus limité », remarque Éric Chantelot, de l’IFV. Si ce n’est qu’en 2019 le soufre a fait couler beaucoup d’encre sur l’arc méditerranéen lors de l’épisode caniculaire du 28 juin. La substance active ayant constitué parfois un phénomène aggravant sur les brûlures de la végétation. « Un essai mené à l’IFV a montré que le Vitisan n’a pas eu d’impact sur la vigne lors de ces conditions extrêmes, contrairement au soufre », relate Alain Querrioux, directeur d’Andermatt France. Même son de cloche chez Bayer concernant l’innocuité de son produit Sonata lors des fortes chaleurs. Dans un contexte de réchauffement climatique, ces solutions pourraient devenir une alternative au soufre, potentiellement phytotoxique, en fin de campagne. « Et puis c’est peut-être bien de baisser aussi les doses de soufre, ce n’est pas un produit complètement neutre, il est irritant, fait remarquer Sébastien Dubuisson. Il est possible qu’un jour il soit vu d’un mauvais œil, ça peut aller très vite. Mieux vaut anticiper les problèmes et apprendre à utiliser ces nouveaux produits. »

Témoignage : Charles Lebecq, vigneron sur 49 ha à Criteuil-la-Magdeleine en Charente

On arrive à intégrer le biocontrôle facilement si la pression est modérée

Depuis 2017 nous intégrons petit à petit le biocontrôle dans nos programmes afin de baisser les doses de produits conventionnels. Et nous sommes vraiment satisfaits du résultat, alors que nous ne sommes pas dans le meilleur contexte pour cela : nos vignes sont vigoureuses, notre cépage principal est très réceptif au mildiou et le climat océanique plutôt humide. De plus nous avons des objectifs de rendement élevés. Autant dire que pour nous une protection phytosanitaire impeccable est nécessaire. L’an dernier j’ai intégré du Blason sur le premier traitement, avec une demi-dose de conventionnel pour l’antioïdium mais une dose normale pour l’antimildiou, car l’efficacité est estimée moins bonne sur ce pathogène. Sur les deuxièmes et troisièmes traitements j’ai ajouté du LBG 01F34 contre le mildiou, en association soit avec un pénétrant soit avec un produit de contact, en dose réduite. À la fermeture de grappe j’ai renouvelé le Blason contre l’oïdium, et puisque la pression était faible je me suis permis de le mettre en solo. En fin de campagne j’ai repris le LBG associé à du cuivre, avec des doses de 400 g de cuivre métal par hectare au maximum. Puis sur le tout dernier passage j’ai ajouté du Limocide. J’avais déjà utilisé ce produit en 2018 en fin de campagne car la pression mildiou était très forte, et ça a permis d’assécher. Par contre, j’avais prévu d'utiliser du Blason mais je n’ai pas osé car la campagne était vraiment trop compliquée. Je pense que ces produits nous font gagner au moins un point d’IFT chimique dans la saison. Cela peut paraître peu mais nous partons déjà de très bas puisque nous sommes à 7 au total, notamment grâce aux panneaux récupérateurs.

Concernant l’utilisation, je ne trouve pas que cela complexifie les choses. Il n’y a pas de contrainte particulière, les produits s’intègrent bien dans la bouillie et peuvent être mélangés aux autres fongicides. Il y a une petite différence de prix mais ça ne fait pas un gros surcoût sur la facture globale, ce n’est donc pas un véritable frein à l’achat. Quand on sait que cela permet de mieux protéger les utilisateurs on se dit que c’est raisonnable !

voir plus loin

Dans le cadre des expérimentations Dephy, le projet Biocontrôle et équilibre de l’écosystème vigne (BEE) a été lancé en 2018. Piloté par l’IFV, il a pour but de voir comment une démarche agroécologique pourrait faciliter l’intégration des produits de biocontrôle en vigne. L’idée est de mettre en place au vignoble des mesures pour la santé du sol et la biodiversité pour créer un environnement hostile au développement des bioagresseurs. Par exemple, avoir une stratégie de fertilisation durable créera les conditions d’un équilibre fonctionnel de la vigne, qui pourra activer d’autant mieux ses défenses naturelles. L’objectif fixé est d’atteindre une diminution de 75 % de l’IFT, et de n’utiliser des produits conventionnels seulement si la situation sanitaire se dégrade. Le projet cherchera aussi à établir des itinéraires œnologiques adaptés à la récolte et au profil de vin attendu. Les conclusions devraient être rendues en 2023.

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