Quentin Alteyrac dans l'Aude : « améliorer l’efficience du système dans son ensemble »
Dans l’Aude, sur la ferme de Fajac, gérée par Quentin Alteyrac, lorsque le système tout herbe a été modifié pour mettre en place du pâturage de précision, c’est le système dans son ensemble qui a été revu.
Dans l’Aude, sur la ferme de Fajac, gérée par Quentin Alteyrac, lorsque le système tout herbe a été modifié pour mettre en place du pâturage de précision, c’est le système dans son ensemble qui a été revu.
Sur la ferme de Fajac, où le climat est quasi méditerranéen, la conduite en pâturage tournant dynamique a débuté il y a quatre ans. Aujourd’hui, 280 hectares de prairies naturelles sont organisés ainsi pour les 120 vêlages en races Gasconne et Angus (objectif à 135 vêlages). « C’est par curiosité que mes collègues se sont penchés sur ce type de conduite, avant mon arrivée. Au départ, ils cherchaient avant tout à valoriser la prairie. Sur les 650 hectares que compte l’exploitation, 300 hectares sont des parcours caillouteux, garrigues, forêts et 70 hectares sont réservés à la récolte en foin », note Quentin Alteyrac, plus particulièrement en charge de la gestion herbagère de la ferme (gestion des lots, suivi des croissances, sécurisation du système alimentaire, anticipation, administratif…) et responsable de l’élevage depuis janvier 2019, avant d’ajouter : « mon parcours précédent m’aide au quotidien. Avant de gérer cette ferme, je travaillais dans des systèmes herbagers en France et en Écosse ».
Une refonte complète de la conduite herbagère
En parallèle des évolutions sur le troupeau, un travail conséquent de mise en place de l’outil de pâturage a été effectué entre le parcellaire, les clôtures, l’abreuvement… Ce dernier point a été relativement difficile à gérer du fait notamment de la situation de l’exploitation, en moyenne montagne (450 m d’altitude en moyenne). Entre le point le plus bas, où sont localisées les pompes, et le point le plus haut, « on compte 350 mètres de dénivelé, nécessitant un réseau d’eau extrêmement bien construit et des pompes suffisantes pour acheminer l’eau. Ce travail ainsi que l’installation des clôtures ont été réalisés quasiment la première année », précise Quentin Alteyrac. Une période d’adaptation a également été nécessaire au personnel pour mettre en place ces nouvelles pratiques. « Afin de monter suffisamment en pression, en raison du dénivelé, les lignes principales du réseau d’eau ont été réalisées en 40 et 50 millimètres. Pour les petites lignes, on a utilisé du 25 millimètres. »
À compter du sevrage et jusqu’à la vente, les bêtes sont pesées une fois par mois. D’où l’intérêt de disposer, grâce à quatre chemins d’accès clôturés, d’un parc de contention accessible directement, de quasiment toutes les parcelles. « Nos sols sont assez superficiels, donc relativement portants. Un réempierrerement a été suffisant. »
Les clôtures fixes (extérieures et chemins, zones de concentration d’animaux) sont en double fils high tensile de 2,5 mm. Les clôtures intérieures sont composées d’un fil high tensile sur piquets en fibre de verre.
S’appuyer sur la cartographie pour gérer
« Deux outils sont principalement utilisés pour améliorer le suivi et faciliter la compréhension : le visuel du parcellaire et un calendrier de pâturage, imprimés en grand dans le bureau. Ce dernier permet de suivre le mouvement des lots avec, dans chaque parcelle, le réglage de la pompe concernée. Du fait du dénivelé, chaque pompe nécessite un réglage différent pour amener l’eau à l’abreuvoir. On y retrouve également les postes de clôtures concernés. Actuellement, je rentre l’ensemble du parcellaire avec l’outil de cartographie de Pâturevision, afin d’intégrer sur un même plan l’emplacement des abreuvoirs, les manettes des réseaux d’eau, les différents postes de clôtures. Ce travail va nous permettre une gestion simplifiée des tâches et nous offrir davantage de lisibilité et ce, également pour des personnes extérieures à la ferme. »
Dans 90 % des parcelles, les animaux disposent d’ombre. Son absence sur les 10 % restants n’apparaît toutefois pas comme un facteur limitant car les croissances ne sont pas affectées, même en plein été, les pâtures étant en courant d’air, offrant de la ventilation aux animaux. « Là où des problèmes de gestion liés aux fortes chaleurs se posent dans certaines exploitations, c’est davantage au niveau de la température de l’eau dans le système d’abreuvement, ce qui a un impact majeur sur la consommation d’eau et, par répercussion, sur la consommation alimentaire », observe Shane Bailey. Sur la ferme de Fajac, le réseau est progressivement enterré à certains endroits. Toutefois, l’eau reste à une température relativement bonne dans la majorité de la ferme du fait d’un débit important, de circuits d’eau très segmentés qui ont l’avantage de raccourcir le chemin de l’eau entre les pompes et les animaux, et du fait également d’une végétation conséquente.
De l’herbe, toujours au bon stade
Deux formes de subdivisions cohabitent sur les 280 hectares conduits en pâturage dynamique : le système de couloir en fil avant et arrière (appelé techno-pâturage) sur 80 hectares, et le système paddocks sur les 200 autres. Dans les deux cas, l’abreuvoir suit les animaux. Les paddocks mesurent entre 1 et 2 hectares, selon le potentiel des sols. Le rendement moyen de l’exploitation est faible, il s’élève à 4,5 tMS par hectare et par an (entre 3 et 7 tMS pour les 280 ha de prairies et 1 tMS pour les 300 ha de garrigues).
En fonction de la saison et de la taille des lots et des parcelles, les animaux tournent entre 24 et 72 heures maximum pour toujours offrir de l’herbe au bon stade. « On gère également un peu de stock sur pied, monté avant le 15 mai, pour les vaches taries. Dans ce cas, les bêtes peuvent rester trois ou quatre jours sur un paddock, avec aucune influence sur le stade de l’herbe, rentrée en dormance. On visite les animaux tous les jours en quad. C’est peu contraignant mais cela prend en temps. »
Sur les cinq lots d’animaux de l’élevage, trois sont en rotation et deux à l’arrêt sur des parcelles parkings. Ces deux lots occupent des parcelles de 10 hectares peu productives mais portantes, proches de la ferme, avec un aliment spécifique pour l’engraissement. On y trouve 50 bêtes en phase de pré-engraissement ou d’engraissement, pour la valorisation en circuit court. En ce qui concerne les trois lots en rotation, le premier se compose des veaux sevrés de 14 à 15 mois qui tournent tous les jours, le second des mères gasconnes (78 adultes) avec leur suite, et le dernier des mères angus (46 adultes) et leur suite. Hors période de mise à la reproduction, un lot de taureaux angus (9) vient compléter le tout.
Des améliorations en prévision
L’hiver, de mi-décembre à début voire mi-février, les vaches sont hivernées sur une parcelle et alimentées au foin de luzerne. Les animaux en croissance disposent de foin de luzerne ou de prairie naturelle. Les veaux de l’année ont en complément de l’orge et du pois ; les autres des bouchons de luzerne. Un lot de 20 à 30 bêtes (réformes, improductives) reste en rotation l’hiver, ce qui représente deux avantages : « le nettoyage possible des parcelles l’hiver et un démarrage plus précoce de la saison de pâturage. Cela permet également d’étaler les ventes d’animaux pour une commercialisation répartie sur l’année ». Des réflexions sont en cours sur l’exploitation pour consommer moins de foin et davantage d’herbe, notamment pour les veaux sevrés entre 6 et 9 mois qui ont du foin.
« Je teste par ailleurs sur 15 à 20 hectares de terres labourables, différents mélanges avec des espèces adaptées aux conditions sèches et au pâturage (chicorée, plantain, trèfle, lotier, sainfoin, fétuque élevée, luzerne…). Il reste encore des aménagements à faire. La ferme était quasiment à l’état de friches il y a six ans avec une flore pauvre. On apporte également 30 unités d’azote sur la moitié de la ferme et un amendement organique en supplément pour les parcelles de fauche », conclut Quentin Alteyrac.
Chiffres clés
- 120 vêlages dont 75 Gasconnes et 45 Angus
- Plein-air intégral
- 3 UTH
Une refonte totale du système d’élevage
La gestion de la production fourragère n’a pas été le seul changement opéré sur l’exploitation. « L’herbe, c’est un système d’alimentation ; l’objectif principal reste l’animal. On a souvent tendance à l’oublier mais la grande réussite d’un système herbager, c’est avant tout la capacité à gérer les animaux. À savoir, piloter les transitions, les sevrages à certaines périodes, caler son système de vêlages… Cela représente 80 % du succès », rappelle Shane Bailey, le gérant de Paturesens. L’ensemble du système a donc été revu. À commencer par l’infertilité. Tous les animaux infertiles ont été réformés et remplacés par des congénères de race Angus. Le cheptel compte désormais 45 mères angus et 75 mères gasconnes. Ces dernières sont dorénavant conduites en croisement avec des taureaux angus. Pour le renouvellement des Gasconnes, des génisses sont achetées à l’extérieur. La fertilité en 2019 s'est située à 95 %. La période de vêlages a également été avancée et recentrée sur trois mois, de janvier à mars. Auparavant, les vêlages débutaient en avril. « Par contre, la conduite en plein-air intégral reste de rigueur. Les veaux sont maintenant sevrés en juillet, à 5 mois (soit 250 kg) contre 9 ou 10 mois précédemment. On garde tous les mâles, que l’on castre dans les premières 48 heures de vie pour les commercialiser entre 22 et 28 mois, en circuit court. La mortalité du troupeau a diminué pour atteindre 4 % en 2019 et 1,8 % en 2020 sur la période de vêlages. Le pourcentage de veaux sevrés s’est élevé à 100 % en 2019 », souligne Quentin Alteyrac. L’intervalle vêlage-vêlage reste encore important sur les Angus, en raison du changement récent de la période des mises bas (septembre à l’arrivée sur l’élevage).
Un produit angus x gascon pour une filière haut de gamme
« Au départ, on se demandait ce que le produit angus sur gascon pouvait donner en termes de qualité de viande, d’où une certaine crainte. Les premiers animaux ont été tués il y a un an. On a été agréablement surpris », souligne Quentin Alteyrac, avant d’ajouter : « le croisement apporte plus de rusticité (à la race Angus), de conformation, de précocité. Le caractère est adouci. On bénéficie du gène sans corne et de régularité dans les carcasses ».
L’objectif, pour la suite, est d’atteindre entre 90 et 100 mères gasconnes et de diminuer le nombre d’Angus pur à 30-40 maximum. Les produits croisés sont bien valorisés en circuit court, auprès de boucheries parisiennes à des poids carcasses avoisinant les 380 kg, classés R=. En phase d’engraissement, la ration se compose de foin et d’un mash unique. Ce dernier est composé de fibres de luzerne, de tourteau de noisette, de maïs torréfié, de romarin… « nombreux sont les résidus de l’alimentation humaine qui le constituent (chips, cubes de fruits…). On ne cherche pas une finition très rapide (100 jours). La viande est ensuite maturée entre 40 et 120 jours ».
Un logiciel de cartographie pour réaliser ses plans de pâturage
Pour aider les éleveurs à réaliser leurs plans de pâturage, l’entreprise Pâturevision a lancé son logiciel de cartographie en ligne et gratuit. Des évolutions, pour s’adapter aux besoins, sont intégrées au fur et à mesure.
La société Pâturevision a souhaité créer un outil de cartographie interactif pour interagir à plusieurs dessus. En ligne et gratuit, ce logiciel de cartographie est proposé depuis novembre 2018 sur le site de l’entreprise. Il permet de créer des plans de paddocks sur un parcellaire de pâturage tournant. Les cartes sont chargées via la géolocalisation. « La première année, 6 500 exploitations ont été cartographiées en France. La demande sortant de notre réseau, des améliorations ont été apportées. À savoir que l’outil propose un découpage automatique des parcelles en paddocks en fonction de leur nombre et de leur orientation définis par l’éleveur. Il est facile de modifier les tracés à tout moment. Des points de repère peuvent être ajoutés sur la carte pour visualiser les portes, les points d’eau, les chemins… », souligne Shane Bailey.
Progresser dans sa gestion parcellaire
Le logiciel est amené à évoluer au fil du temps. Cette année, trois évolutions seront proposées prochainement : le dénivelé, un calendrier de pâturage et l’ajout de la pluviométrie. La migration de l’outil de Google Maps vers Google Earth va permettre l’intégration du dénivelé. L’évolution la plus importante porte sur le calendrier de pâturage. La carte étant accessible depuis un téléphone et géolocalisée avec un GPS, l’objectif est de suivre le mouvement des animaux dans le temps. L’outil enregistrera automatiquement les événements (durée de pâturage, consommation des animaux, temps de repos, nombre de passages…) sur les parcelles concernées. Il sera possible de connaître les actions de pâturage précédentes et de les programmer dans le futur. « Le logiciel proposera le déplacement des animaux et communiquera le rendement moyen de chaque parcelle de la ferme. Cet outil de calendrier de pâturage mettra en évidence les parcelles prêtes ou non à pâturer par jeu de couleurs, en renseignant le temps de repos. L’éleveur pourra par ailleurs choisir de partager la carte avec un conseiller extérieur, un stagiaire… selon le niveau d’informations qu’il souhaite rendre visible. Un accès complet peut aussi être proposé pour interagir simultanément. » La possibilité d’ajouter des pluviomètres et d’enregistrer les données offrira la possibilité de faire des comparaisons année par année. « Dans plusieurs années, on espère pouvoir créer un algorithme qui, avec les données de la ferme, va déterminer la meilleure parcelle à pâturer. »
Toujours aller plus loin
La prise en compte de nouveaux filtres va par ailleurs permettre d’aller plus loin. En retirant certains éléments, l’agriculteur aura une meilleure imagerie de la ferme. Un nouvel outil de découpage des parcelles est en phase d’être terminé, il permettra un accès plus rapide à des suivis de bilan simple.
« On cherche également, en vue de le proposer pour 2021, le moyen de transmettre directement les données de suivi par le biais d’un herbomètre connecté. Pour une visualisation claire de l’herbe et ainsi améliorer la gestion de l’excès ou du manque d’herbe à l’instant t », conclut Shane Bailey.
En avril, une vidéo d’informations en 3 D sera accessible sur le site de Paturevision. Son objectif : expliquer la subdivision, les différentes formes existantes, pourquoi en utiliser une plus qu’une autre et comment la mettre en application sur le terrain.
Mise en garde
« On observe de moins en moins de freins à la mise en place du pâturage de précision. Par contre, l’erreur serait de dupliquer ce qui peut être fait sur une ferme uniquement en regardant les réseaux sociaux. Le plus grand danger est de ne pas aller en profondeur sur le sujet. Le pâturage, c’est une chose, mais il y a tout un univers à réorganiser. C’est une réflexion profonde à engager sur son troupeau pour aller jusqu’au bout de la démarche », note Shane Bailey. Beaucoup de formations sont disponibles gratuitement en France.