Le roi des fromages chahuté, imité mais toujours sur pied
Le roquefort, surnommé roi des fromages, est riche d’une longue histoire pleine de rebondissements. Aujourd’hui comme hier, il doit faire face à des défis qu’éleveurs, transformateurs et techniciens se font fort de relever ensemble.
Le fameux persillé de brebis voit son invention remontée jusqu’à l’Antiquité puisque Pline l’Ancien le mentionne dans ses écrits. Au Moyen-Âge, les rois de France lui accordent ses lettres de noblesse et reconnaissent sa typicité. Le roquefort est le premier fromage à obtenir, en 1925, une appellation d’origine, aujourd’hui devenue AOP. Emblème de la gastronomie française dans le monde, à l’instar du champagne, le roquefort a cependant eu fort à faire tout au long de sa longue existence et les défis continuent d’affluer aujourd’hui encore. Baisse de consommation, impact environnemental, attentes sociétales, quasi-monopole de la transformation, surtaxation punitive, contrefaçon et concurrence déloyale, les sujets de débats ne manquent pas.
Le roquefort sous pression des confinements
Dernier en date, la crise de la Covid-19 qui a engendré une baisse de vente de 13 % chez les crémiers et rayons traditionnels des grandes surfaces. Le libre-service s’en est bien sorti sans trop de casse. "Ce qui nous étonne, c’est lors du deuxième confinement nous avons enregistré des baisses similaires alors que tous les commerces de bouche sont restés ouverts", se questionne Jean-Marc Chayriguès, président de la Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de brebis de roquefort. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la prudence reste de mise car le recul manque pour l’analyse des ventes en novembre. La Confédération du roquefort espère néanmoins que la situation se débloque pour les fêtes de fin d’année, période importante de consommation de fromages en plateau.
Un fromage plus consensuel, moins salé
Autre tempête qui secoue le rayon de Roquefort, la mise sur le marché du Bleu de brebis par Roquefort Société (Lactalis). Certains producteurs et fabricants l’ont jugé comme étant une contrefaçon du roquefort, trompeuse pour le consommateur et ont déposé un certain nombre de recours à l’Inao, Cnaol et autre instance pouvant faire pencher la balance de leur côté. Les producteurs y voient un produit concurrent mais Jean-Marc Chayriguès, par ailleurs cadre de Lactalis, défend la stratégie du bleu de brebis : « le roquefort perd 1 à 1,5 % de consommation chaque année. C’est grave pour les producteurs car c’est la principale valorisation du lait pour eux. Les études auprès des consommateurs montrent qu’ils se tournent de plus en plus vers des fromages à pâte persillée plus consensuels, avec un goût moins fort, notamment ceux au lait de vache type Saint Agur. La création du bleu de brebis répond à ces attentes et permet de valoriser le lait de nos producteurs. Ce fromage peu salé se garde moins longtemps que le roquefort mais il est davantage apprécié par une partie de la population. »
La Confédération générale de Roquefort fête ses 90 ans
Née en 1930, la Confédération générale de Roquefort est à la fois une interprofession et l’organisme de défense et de gestion de l’AOP. Dès la reconnaissance en appellation d’origine du fromage, les producteurs et les fabricants ont souhaité le protéger en y apposant la marque « Brebis Rouge », certifiant que le produit correspond bien au cahier des charges de l’AOP. Celui-ci est un des plus vieux de France et il est très encadré. Le roquefort, pour pouvoir être appelé ainsi, doit impérativement être affiné pendant au moins 90 jours dans les caves de Roquefort-sur-Soulzon, ancienne place forte de l’Aveyron. C’est cette zone d’affinage, de trois kilomètres sur 200 mètres, qui fait toute la spécificité du si célèbre persillé de brebis. Les caves, situées dans les éboulis de la montagne qui surplombe le village, donnent toute sa saveur et toute la liberté d’expression à Penicillium roquefortii, qui colonise les meules entreposées. Le conditionnement du fromage doit également avoir lieu au village.
Le roquefort à la recherche des plus jeunes
Le roquefort reste de loin l’AOP ovine laitière la plus commercialisée avec plus 16 000 tonnes écoulées sur le marché français en 2019, représentant près de 83 % du volume total des trois AOP ovines. Pour autant, la dynamique de vente s’essouffle ces dernières années. Le goût prononcé du fameux persillé de brebis plaît aux papilles plus âgées et semble être de plus en plus délaissé par la nouvelle génération. Car si entre 2018 et 2019, le volume commercialisé semble être stable (+0,4 %), l’AOP enregistre une baisse de vente de plus de 10 % sur la dernière décennie. L’objectif de 2021 est d’enrayer cette baisse structurelle du marché et de pérenniser la stabilité des ventes apparue en 2019. Une tendance à la baisse que la Confédération du roquefort tente d’enrayer en multipliant les actions de communication avec grand public.
Un mariage de saveurs avec le roquefort
En décembre, une pub télévisée tentera de dynamiser les ventes pour les fêtes de fin d’année. À plus long terme, la Confédération de Roquefort souhaite toucher des consommateurs plus jeunes, en adaptant son discours. « Le temps de déjeuner a diminué de 10 minutes ces cinq dernières années chez les plus jeunes, qui zappent de plus en plus le traditionnel plateau de fromages de fin de repas, reconnaît Jean-Marc Chayriguès, le président de la Confédération. Nous proposons des recettes et des animations pour marier le roquefort avec des plats, des fruits, bref l’intégrer complètement dans le repas ».Carte d’identité
AOP Roquefort
La nécessaire adaptation au changement climatique
Le cahier des charges de l’AOP roquefort est très ancien. « Il sera nécessaire de le faire évoluer dans les prochaines années si le changement climatique se poursuit », note Jean-Marc Chayriguès. En effet, pour produire du lait destiné à la fabrication du roquefort, les éleveurs n’ont pas le droit d’acheter plus de 200 kg de matière sèche par brebis par an. Le reste devant être produit sur l’exploitation, cela n’est pas toujours évident ces dernières années avec les sécheresses successives. « Dès l’automne, faute de repousse d’herbe sur septembre, les éleveurs doivent se servir dans leurs stocks hivernaux et cette situation n’est pas tenable pour certains d’entre eux », poursuit le président de Confédération du roquefort.