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La méthanisation concurrence-t-elle l’élevage ? L’exemple breton

La méthanisation risque-t-elle de concurrencer l’approvisionnement des élevages ? Le débat reprend à l’occasion de cet été 2022 très sec où la tension s’accroît sur les fourrages. Mais qu’en est-il vraiment ?

méthanisation concurrence élevage fourrage
© E.D. (Archives Reussir SA)

« Les fourrages doivent aller en priorité aux élevages pas à la méthanisation » ! En cet été 2022 des extrêmes, ce type de messages se multiplie sur les réseaux sociaux, alimenté par la Confédération paysanne, mais pas seulement. Un débat attisé par les difficultés que connait l’élevage. Mais qu’en est-il vraiment ? La méthanisation concurrence-t-elle l’élevage ? Retour les tensions intervenues cet été en particulier dans le département breton d’Ille-et-Vilaine.

Le 9 août dernier, la FDSEA et les Jeunes agriculteurs d’Ille-et-Vilaine invitent la presse locale sur une exploitation agricole à La Coudraie à Pacé pour évoquer la situation face à la sécheresse. A l’ordre du jour : les stocks de fourrages des éleveurs qui s’amenuisent, la récolte précoce du maïs, et « un contexte inédit qui conduit à certaines situations de concurrence sur les usages du maïs entre les éleveurs et certaines unités de méthanisation ».


Réunion et grille de prix du maïs sur pied en Ille-et-Vilaine

S’ensuit un communiqué titré « fourrage, priorité à l’élevage ! ». La FDSEA évoque une réunion entre présidents et certains membres de la FDSEA35, JA 35, la Chambre d’agriculture et l’association des méthaniseurs bretons pour faire le point sur la situation et trouver des solutions.

« En Bretagne, il y a plutôt eu un développement vertueux de la méthanisation en lien avec l’élevage. Mais 50% de la méthanisation bretonne est concentrée en Ille-et-Vilaine et le long des lignes de gaz de GRDF. Et dans certains coins du département, les éleveurs bovins cherchent des fourrages, les éleveurs de porcs aussi ainsi que les méthaniseurs. Ce qui engendre des tensions et crée de la spéculation sur les fourrages », recontextualise Cédric Henry, président de la FDSEA 35, contacté par Reussir.fr.

Regarder notre micro-trottoir dans les allées du Space : [VIDEO] Méthanisation : pour ou contre ?

« Nous avons rencontré l’association des méthaniseurs bretons qui nous affirme qu’en Bretagne il n’y a que 6 à 7% de maïs dans les méthaniseurs en moyenne. Mais c’est une moyenne cela peut aller jusqu’à 15% pour certains » poursuit-il. Pour calmer la tension, la Chambre d’agriculture de Bretagne est sollicitée afin de sortir au plus tôt sa note sur le prix du maïs fourrage sur pied (publiée le 5 août révisant celle du 6 juillet) voire tableau ci-dessous.
 


Depuis, les tensions se sont un peu calmées, le passage de pluies sporadiques aidant, mais le débat n’est pas définitivement retombé. « Il y a encore des projets qui vont monter en puissance dans le département, avec demain des tensions en prévision sur l’accès au foncier », souligne Cédric Henry.

Les méthaniseurs ont un contrat sur 20 ans, les éleveurs laitiers un prix fixé pour le mois prochain

« Nous n’avons pas vocation à nous opposer les uns les autres (entre agriculteurs, ndlr), poursuit le représentant syndical, mais le fait est que les méthaniseurs ont un contrat sur 20 ans, nous éleveurs laitiers nous avons un prix du lait fixé pour le mois prochain. Il y a une faille dans nos filières d’élevage » poursuit le président de la FDSEA 35. Pour limiter les tensions, il souligne la nécessité de contrôler ce qui est mis dans les méthaniseurs.

Une opinion partagée par Jean-Marc Onno, président des agriculteurs méthaniseurs de Bretagne et premier vice-président de l’association des agriculteurs méthaniseurs de France. « En Bretagne les méthaniseurs sont aussi à 95% des éleveurs », tient-il toutefois à préciser.

Comment peut-on dire que 600 à 800 hectares sont responsables du prix du maïs ?

« En Bretagne, il y a 6,5% de maïs dans la ration donnée aux méthaniseurs, selon le bilan de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) pour 2018-2019-2020. Sur l’ensemble du tonnage qui rentre dans les sites de méthanisation, on estime entre l’équivalent de 600 et 800 hectares achetés à l’extérieur en tant que cultures principales » assure-t-il.
 

Echange bon maïs contre effluents d’élevage

« Comment peut-on dire que 600 à 800 hectares sont responsables du prix du maïs ? », poursuit-il reconnaissant toutefois qu’il peut y avoir une tension dans certaines zones. Après la réunion avec la FDSEA35, « nous avons alerté nos adhérents sur la volonté de rechercher des partenariats avec les éleveurs avec des échanges entre bon maïs et effluents d’élevage, il faut arriver à trouver les bons compromis. On a insisté sur le bon sens paysan », affirme Jean-Marc Onno. Une démarche à signaler à l’administration, « qui se montre très compréhensible », assure-t-il.
 

La concurrence de « gros sites industriels »

« Nous avons tout intérêt à être bien avec les éleveurs » poursuit-il. En revanche Jean-Marc Onno s’inquiète que les effluents d’élevage « soient de plus en plus captés par de gros sites de méthanisation industriels ». « Depuis 13 ans, la concurrence s’accroît énormément ! Le préfet doit intervenir. L’arrivée d’un gros méthaniseur de 50 à 60 000 tonnes dans un département bouscule tout pour les sites de méthanisation agricole. On se demande si on ne devra pas mettre du maïs ! » lâche-t-il.

Au-delà de cette alerte, le président de l’association des agriculteurs méthaniseurs bretons souligne avoir demandé davantage de contrôles sur la matière première utilisée dans les méthaniseurs. « Cela fait deux ans qu’on demande de mettre en place des procédures ! » souligne-t-il.
 

Un arrêté publié cet été

Le 5 août, est enfin paru au journal officiel le décret du 4 août relatif aux cultures utilisées pour la production de biogaz et de biocarburants. Le décret rappelle que les installations de méthanisation de déchets non dangereux ou de matières végétales brutes peuvent être approvisionnés par des cultures principales dans une proportion maximale de 15% du tonnage brut total des intrants. Il définit les cultures principales comme :

  • Unique culture récoltée sur une parcelle au cours d’une année civile
  • Culture déclarée comme culture principale dans une demande d’aide PAc
  • Culture récoltée sur une parcelle pour laquelle aucune aide Pac n’a été demandée
  • Culture présente sur la parcelle entre le 1er juin et le 15 juin
  • Culture pérenne


Les cultures intermédiaires désignent les cultures cultivées entre deux cultures principales.

Ce texte va permettre de renforcer les contrôles, souligne Jean-Marc Onno. « On doit trouver des solutions avec les éleveurs. A force de se diviser on va faire la place au soleil aux gros de l’énergie et la valeur ajoutée va partir, répète-t-il, or un site de méthanisation vient consolider l’élevage ».

A noter qu’il n’y a pas qu’en Bretagne que des tensions entre agriculteurs ont lieu sur le sujet. Cet été certains éleveurs se sont également plaint dans le Nord de la montée des prix du maïs pointant du doigt la « concurrence des méthaniseurs ».

 

L’alimentation animale peine à trouver certains coproduits

L’industrie de l’alimentation animale se plaint aussi de la concurrence de la méthanisation. « Certains co-produits (drêches, son de meunerie et pulpes de betterave notamment) sont attirés par les sirènes de la méthanisation », a déclaré cette semaine devant la presse François Cholat, président du Snia (entreprises de la nutrition animale). « La production agricole doit servir en premier lieu à l’alimentation humaine, puis à la nutrition animale et uniquement dans un troisième temps à la production d’énergie », a insisté pour sa part Ludovic Michel, vice-président du syndicat.
 

Tensions sur les pailles et pulpes de betteraves, pointe FranceAgriMer

Dans une étude publiée cette semaine (à retrouver en bas de l’article), à partir de l’analyse de données théoriques de l’ONRB (observatoire national des ressources en biomasse), FranceAgriMer écrit que « dans l’hypothèse où les 840 méthaniseurs agricoles ayant fait l’objet d’un dépôt de projet entreraient en fonctionnement, la méthanisation pourrait susciter des tensions sur certains approvisionnements locaux en biomasse, notamment en pailles ou en pulpes de betteraves ».

Au niveau régional, si on compare besoins et disponibilités, « des carences en matières méthanisables apparaissent à la fois dans les régions d’élevage peu céréalières et dans des régions céréalières avec peu d’élevage », note l’étude, soulignant que des échanges interrégionaux de matières comblent ces déficits.

Un arbitrage national nécessaire pourra devenir nécessaire

Si « la biomasse disponible prise dans son ensemble, à l’échelle nationale, paraît suffisante à l’heure actuelle et semble laisser une marge de croissance à la méthanisation », indique FranceAgrimer, les projets en attente ne donnent qu’une vision à cinq ans. Or avec la tension actuelle sur l’énergie fossile, la méthanisation est appelée à se développer.

« Un arbitrage national sur l’usage de la biomasse fermentescible pourra devenir nécessaire pour fixer les objectifs de biométhane par la méthanisation, en fonction des limites du sol et des ressources hydriques, des capacités logistiques, des besoins protéiques des cheptels, de la dynamique de développement des produits biosourcés et d’autres paramètres économiques et sociétaux », concluent les auteurs de l’étude selon qui « une entrée en concurrence avec les besoins de l’élevage » est bien « à prévoir sur la biomasse d’origine résiduaire (c’est-à-dire les résidus de grandes cultures, effluents d’élevage et coproduit des IAA, ndlr) ».

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