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Météo agricole : « 2023 est la deuxième année la plus chaude en France et cela devrait continuer jusqu’en juin 2024 »

Serge Zaka, docteur en agroclimatologie et président d’AgroClimat2050 créée le 1er janvier 2024 dresse pour Reussir.fr un bilan de l’année météorologique 2023, et des conséquences pour l’agriculture et donne quelques prévisions pour 2024. Les agriculteurs vont devoir continuer à faire évoluer leurs calendriers de travaux agricoles, retenir l'eau, changer de variétés voire d'espèces. Serge Zaka anticipe le développement de la culture de pois chiche, de la patate douce ou encore du niébé, alors que les rendements des grandes cultures classiques sont voués à stagner voire régresser.

Serge Zaka, agroclimatologue connu pour toujours porter un chapeau.
Serge Zaka, docteur en agroclimatologie et président d'AgroClimat20250
© Serge Zaka

Quelles caractéristiques retenir de l’année 2023 en matière de météo agricole ?

Serge Zaka : Si l’on s’intéresse d’abord aux températures, c’est simple et assez clair. Tous les mois de l’année ont été au-dessus de la norme, sauf en Hauts-de-France et en Normandie. C’est la deuxième année la plus chaude après 2022 en France depuis plusieurs centaines d’années.

Ce qui n'exclut pas des périodes de froid comme cette semaine

Cela devrait continuer en 2024 au moins jusqu’à juin. C’est ce qui est le plus probable. Ce qui n’exclut pas des périodes de froid comme nous allons en connaître la semaine prochaine. 

[Thread] Dès dimanche, l'air froid revient par l'Est (incertitudes intensité et surtout durée).
Les végétaux subissent des températures largement au-dessus des normes (depuis août 2023 !). Ils subiront un choc thermique. Les conséquences seront multiples. A dérouler 👇[1/6] pic.twitter.com/NQEkPpW2AS

— Dr. Serge Zaka (Dr. Zarge) (@SergeZaka) January 4, 2024

Qui dit hautes températures dit évapotranspiration excessive.

Au niveau des précipitations en revanche, c’est beaucoup plus variable dans l’année et sur la France sur le plan géographique.

Sur l’année : à une période de sécheresse hivernale a succédé une période d’excès de pluie au début du printemps suivie d’une sécheresse éclair en mai-juin et puis la France a été coupée en deux avec une canicule et une sécheresse au sud et de la pluie au Nord. Cela a été la plus longue sécheresse jamais observée en France sur l’ensemble de l’année et en hiver. Et puis cet automne, on constate un excès de pluie jamais encore observé et qui n’a pas encore pris fin à l’heure où l’on se parle.

Le réchauffement climatique va avoir pour effet de décaler les travaux agricoles et les intercultures sans période tampon

Ces excès d’eau ou déficits d’eau ont provoqué le décalage des dates de semis en agriculture. Les excès de pluie ont aussi décalé les dates de récolte. Le réchauffement climatique va avoir pour effet de décaler les travaux agricoles et les intercultures sans période tampon. 2023 a été très caractéristique sur ce plan-là. 

Le bilan de la fin de l’année est très éloquent avec au 31 décembre 2023 un indice hydrique moyen du sol de 88% soit en plein dans la moyenne des trente dernières années. Mais l’indice a atteint un record haut dans le Pas-de-Calais, et un niveau bas jamais atteint dans les Pyrénées orientales. Avec 180 mm de pluie tombée cette année, les Pyrénées orientales se situent sous le seuil du climat désertique (à 200 mm). Dans le Nord il est tombé à l’inverse plus de 1000 mm de pluie. 

Lire aussi : Inondations : les agriculteurs du Pas-de-Calais et du Nord encore plus touchés qu’en novembre dernier

Relire aussi : Les chroniques météo de Serge Zaka


Quels enseignements en tirer pour l’agriculture ?

Les agriculteurs sont parfaitement conscients de ces données. L’augmentation des températures entraine une anticipation des stades phénologiques. On se retrouve par exemple de plus en plus souvent avec des dates de vendanges en août. 

Vous avez aimé ces séries phénologiques historiques. Eh bien, voici les vignobles français ! Même constat : la hausse des températures accélère le développement du vignoble et les vendanges (i.e. récolte des grappes) sont plus précoces ! IMPLACABLE !
La source est sur l'image. https://t.co/JK5zhlwYL6 pic.twitter.com/ynFnikZ0ub

— Dr. Serge Zaka (Dr. Zarge) (@SergeZaka) January 3, 2024

Parfois on se retrouve avec une mauvaise conjonction entre météo et sensibilité des plantes, avec des problèmes d’excès de pluie pendant la récolte, de sécheresse pendant le remplissage des grains avec un impact sur le rendement. Le décalage de floraison est soumis à la menace de gel tardif, comme cela s’est encore vu cette année. La hausse de la température entraine aussi un décalage dans la mise en marché avec des salades qui arrivent en février, ce qui n’est pas le meilleur moment pour la consommation. 

Pour l’eau, face au déficit de précipitations, l’enseignement est de tenter de freiner la course de l’eau sur le continent. Par exemple en la retenant mieux avec de l’agriculture de conservation des sols (on peut gagner 7 à 10 jours de disponibilité en eau), ce qui n’est pas miraculeux non plus en cas de forte sécheresse. Une autre solution est paysagère : les haies permettent de freiner la course de l'eau. L’évolution variétale vers des variétés qui consomment moins d’eau présente une autre stratégie. Toutes ces solutions sont à utiliser en complémentarité. 

Pour l’excès et le déficit d’eau, les réserves d’eau sont essentielles dans le cadre du changement climatique.

Pour l’excès et le déficit d’eau, les réserves d’eau sont essentielles dans le cadre du changement climatique. Bien sûr leur utilité est à analyser au cas par cas, selon le sol, la culture et le climat. Après en cas d’excès d’eau, quand le sol est saturé, ça débordera toujours. Mais il faut aussi faire attention à l’érosion, face à ce problème là l’agriculture de conservation des sols est bien placée comme agriculture tampon permettant de mieux stocker l’eau et de mieux gérer l’érosion. Ce qui ne veut pas dire que si tout le monde se met à l’agriculture de conservation des sols il n’aura plus de sécheresse ou d’excès d’eau.

Lire aussi : La moisson 2023 va-t-elle enfin se terminer cette semaine ? 

Voir tous nos articles sur la météo agricole


Quid du changement d’espèces face au changement climatique ?

A Besançon, le climat de 2022-2023 est le même que celui de Montélimar dans les années 80. On assiste à des remontées de climat. Ce qui signifie des pertes de rendement, de la mortalité d’arbres. 

Il faut faire remonter des cultures du sud vers le nord

ll faut faire remonter les cultures du sud vers le nord. Mais cela nécessite de structurer des filières. Le blé sera toujours présent, la pomme de terre aussi avec même des hausses de rendement mais de nouvelles cultures peuvent remonter comme la culture de l’abricot à Toulouse, le pois chiche qui peut remplacer le pois protéagineux dans la moitié sud de la France, voire même des cultures plus exotiques comme le coton, le niébé à partir de 2040 ou la patate douce.

Le climat bordelais remonte vers Paris, le climat de Montpellier se retrouve à Toulouse. La remontée de la culture de l’olive ou de la vigne est très intéressante. De plus en plus d’agriculteurs tentent des essais, on voit par exemple de la lavande du côté de Chartres, des vignes en Bretagne ou des oliviers à Bordeaux.


Pour 2024, à quoi s’attendre de manière assez sûre ?

Au moins jusqu’en juin, on a plus de probabilité d’avoir des températures plus élevées que la norme. El nino s’atténuera ensuite à partir du printemps. L’excès de température signifie que les plantes se développent plus vite, avec des risques de perte de rendement à chaque coup de gel. Certains amandiers ont déjà débourré, alors que l’on n’est que début janvier. De même pour les cerisiers en ville, on l’a observé à Marseille et à Paris, même si ça reste minoritaire. Certains colzas ont commencé à monter. Le blé, s’il a pu être semé, est à un stade de développement plus avancé sur la normale. Avec des végétaux qui poussent plus vite, il faut surveiller le risque de gel. Ca fait quatre années de suite que nous avons du gel tardif en mars-avril.

Au moins jusqu’en juin 2024, on a plus de probabilité d’avoir des températures plus élevées que la norme

On n’a pour l’instant pas de tendance de fond sur les précipitations. Bonne nouvelle toutefois : les nappes sont extrêmement bien rechargées, sauf dans le sud de la France. On reprend sur de bonnes bases, il y a donc moins d’inquiétude qu’en 2023. Ce qui n’empêche pas que l’on ait une situation dramatique dans les Pyrénées orientales et plus généralement sur le pourtour méditerranéen avec une situation désespérée d’une zone qui devient semi-aride, avec de la perte végétale (des espèces meurent). 

Il faut se rendre compte qu’en 2023 on a parlé de bons rendements, car ils étaient globalement supérieurs à 2022. Mais si on regarde sur plusieurs années en fait ils sont dans la moyenne. Il va falloir s’habituer à une stabilisation des rendements, on a atteint un optimum avec le climat, le sol et l’agronomie à l’exception de certaines cultures qui peuvent encore progresser comme le colza, ou dans le futur le niébé ou la patate douce. Les rendements se stabilisent dans le nord et reculent dans le sud.

Il va falloir s'habituer à une stabilisation des rendements dans le nord de la France


Y’a-t-il un intérêt pour les agriculteurs à préférer les variétés tardives ?

Avoir recours à des variétés précoces ou tardives peut être intéressant suivant les cas. Une variété tardive va permettre d’éviter le gel tardif, mais peut être confrontée à de la sécheresse pendant le remplissage des grains. Les variétés précoces vont être plus soumises au gel mais permettre une stratégie d’évitement de la canicule. Il convient de réfléchir au cas par cas, territoire par territoire, en gérant les deux types de variétés à la fois.

Certaines nouvelles espèces, plutôt rares, répondent bien à la double problématique, comme la pistache qui débourre deux semaines plus tard que l’abricot et donc évite deux semaines de gel, et est plus résistante aux sécheresses et canicules. Mais introduire de nouvelles espèces ne se fait pas comme ça, ce n’est pas magique, il faut regarder la demande, créer de la transformation. Ca nécessite beaucoup d’anticipation.

Lire aussi : Gel tardif dans les vergers et les vignes : le phénomène se répète, souligne Serge Zaka


Pour anticiper les aléas climatiques, les agriculteurs doivent-ils encore plus s’équiper qu’aujourd’hui en système de surveillance et d’alerte météo ?

Les agriculteurs sont déjà pas mal équipés en termes de stations météo, applications connectées….Les systèmes numériques peuvent être intéressants comme l’irrigation connectée par exemple. Il y a encore beaucoup de choses à explorer sur l’aide à la décision. Mais cela ne permet pas de contrer toutes les pertes liées aux changements climatiques, c’est juste une pièce du puzzle. 

Les IA ne sont pas aussi évoluées que le bon sens paysan

Les agriculteurs sont de plus en plus enclins à travailler avec le numérique, d’autant plus que la nouvelle génération prend le relai. 2024 sera l’année de l’intelligence artificielle. Mais je considère que pour l’instant, les IA ne sont pas aussi évoluées que le bon sens paysan. Les outils d’aide à la décision donnent de nouvelles idées mais ne peuvent pas remplacer l’agriculteur qui connait parfaitement son type de sol, ses parcelles, son terroir. Les intelligences artificielles ne sont pas encore au point là-dessus. Ca peut évoluer d’ici 10 à 20 ans. 

Lire aussi : Réchauffement climatique : à quel scénario la France se prépare ?

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