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À l'export, les laiteries cherchent la valeur avant tout

Environ 40 % du lait français est exporté. Ce débouché majeur évolue vers plus de valeur sans plus de volume. La reconquête de marchés européens est un des enjeux actuels.

Bateau avec des containers   © P. Plisson - CMA CGM
L'activité internationale des coopératives se fait essentiellement en exportant des produits fabriqués en France, contrairement aux grands privés qui s'implantent davantage à l'étranger.
© P. Plisson - CMA CGM

L'export est un débouché essentiel pour la ferme France : 40 % du lait collecté part à l'étranger sous forme de fromages, d'ingrédients secs, de produits frais (yaourt, crème)... Globalement, en 2019, la valeur des exportations a atteint un point haut à 7,56 milliards d'euros (+5 %/2018), alors que les volumes expédiés ont légèrement reculé. Cela reste à confirmer, mais ces bons chiffres pourraient être le reflet de la stratégie des coopératives laitières françaises d'augmenter la valeur de leurs exportations. Et si certaines continuent d'accompagner des hausses de collecte, d'autres annoncent une collecte stabilisée (Agrial, Sodiaal, Prospérité fermière...). 

Une étude de FranceAgriMer sortie en octobre dernier montre une évolution dans les produits exportés avec plus d’expéditions de produits à plus forte valeur ajoutée. Ainsi, les fromages frais, les moins onéreux, ont cédé des places au profit des fromages à pâte molle et des fromages fondus. La poudre de lait écrémé et la poudre grasse sont substituées par de la poudre de lait infantile et des caséines et caséinates.

La France a cédé des places en Europe

Mais cette progression ne doit pas faire oublier une contre-performance sur le marché européen. « La collecte laitière française s'effrite depuis 2015, quand d'autres pays ont progressé. Les produits français font face à davantage de compétition sur les marchés européens », indique Gérard You, de l'Institut de l'élevage, pour expliquer le repli français. En cinq ans, la France est passée du statut de deuxième à troisième exportateur européen sur le marché de l’Union européenne à 28, derrière l’Allemagne et les Pays-Bas.

Les échanges avec les pays tiers, dynamiques, ne compensent pas la perte de parts de marché vers l’UE. Et vers les pays tiers, si la France est toujours le deuxième exportateur européen après les Pays-Bas, elle perd des parts de marché (-0,7 point), alors que le leader, ainsi que l’Allemagne et l’Irlande (respectivement 3e et 4e), en ont gagné. « Sous condition d’une bonne compétitivité prix, l’enjeu de la France est donc de redonner une place aux produits français, à la fois sur son marché pour limiter les importations, et sur les marchés européens », estime en conclusion l'étude de FranceAgriMer.

Des importations qui ont progressé

Autre ombre au tableau, les importations (98 % viennent de l'UE) augmentent depuis une dizaine d'années, sauf en 2019 et au premier semestre 2020. Du coup, le solde commercial avec l'Union européenne s'est dégradé, devenant même négatif en volume depuis 2017. Il reste heureusement positif en valeur, mais seule 10 % de la balance commerciale est faite avec l'UE à 28.

Ce sont essentiellement les industries agroalimentaires françaises (biscuiterie, plats préparés...) qui importent (55 % de leurs achats), puis la restauration hors domicile ou RHD (27 % des besoins), surtout de la crème, du beurre, des fromages. S'il y a une évolution pour plus de produits locaux, bio... dans les IAA et la RHD, il y aura moins d'importations. Mais reste à voir dans quelle proportion. « Le débouché des IAA demeure avant tout guidé par la compétitivité prix des ingrédients laitiers, indique Gérard You. Les groupes laitiers français privilégient les fabrications de produits laitiers finis destinés aux ménages, en France et à l’export, plutôt que les ingrédients pour les IAA et la RHD. Car ils sont moins compétitifs que les transformateurs laitiers allemands, irlandais ou néerlandais qui disposent de bassins de collecte plus denses, d’outils plus grands et plus productifs sur des produits basiques. »

Les industriels ne veulent plus augmenter les volumes

Le fait que les exportations ne progressent plus est lié aussi à une stratégie de certains industriels français privés, qui font le choix d’investir dans des sites implantés à l’étranger pour produire sur place, plutôt que d’exporter des produits laitiers fabriqués en France. Cela a des conséquences sur les exploitations, avec une réduction des besoins en lait des industriels implantés en France.

Les investissements à l'étranger des industries laitières françaises assurent le rayonnement de la filière laitière française à l’international et peuvent faciliter l’accès à de nouveaux marchés. Mais ils peuvent également faire concurrence aux produits laitiers français vers ces débouchés et être un frein à leurs exportations.

L'internationalisation : bon pour les éleveurs ?

Les coopératives laitières françaises exportent mais sont encore peu implantées à l'étranger. Elles pourraient avoir intérêt à le faire davantage, mais avec prudence. Il y a une différence entre d'un côté les coopératives, dont l'objectif est que leurs adhérents profitent des bénéfices réalisés à l'étranger, et de l'autre côté les privés, dont l'objectif n'est pas le retour aux producteurs. L'intérêt pour l'éleveur est indirect : cette stratégie fait partie de la solidité de son collecteur et offre la possibilité d'exporter un peu plus de produits français non délocalisables. Mais le risque de substitution est réel pour des produits facilement délocalisables. Dans ce cas, l'internationalisation n'est pas favorable au lait français, du moins sur les volumes. 

L'évolution des exportations en volume dépendra de celle de la collecte. Et de la poursuite de la stratégie des industriels privés qui s'implantent à l'étranger et réduisent les volumes fabriqués et exportés depuis la France.

Chiffres clés

La France valorise bien ses produits laitiers français à l'export : 741 €/t en 2019, mieux qu'en 2018 (694 €/t). 
La filière danoise valorise mieux : environ 800 €/t grâce à un fort développement du bio.
Les Pays-Bas aussi : environ 750 - 760 €/t.
Source : Idele

Un Brexit toujours redouté

Début novembre, il n'y a pas d’accord commercial entre le Royaume-Uni et l’Union européenne à 27. « Malgré le Brexit, il y aura toujours des exportations de produits français vers le Royaume-Uni. Mais dans quelles conditions (barrières tarifaires et non tarifaires) et face à quel type de concurrence, c'est encore l'incertitude », indique Mélanie Richard, du Cniel. Une des craintes est qu'au moins transitoirement, il y ait un engorgement des marchés européens avec des produits irlandais, allemands, néerlandais... qui perdraient des parts de marché au Royaume-Uni. « À court terme, le Royaume-Uni n’a toutefois pas beaucoup d’alternative à l’UE pour se fournir en certains produits laitiers. »

D'ores et déjà, « la valeur des envois français vers le Royaume-Uni, essentiellement des fromages et des ultrafrais, a eu tendance à reculer en 2015 et 2016 et s’est très légèrement érodée depuis, passant de 607 millions d'euros en 2017 à 597 millions en 2019. Cela s’explique notamment par la dépréciation de la livre sterling qui a renchéri les produits de la zone euro et par le développement de la production laitière britannique ».

De bons chiffres en 2019

Depuis 2010, les exportations vers les pays tiers se développent. Les principaux clients tiers de la France sont la Chine, les États-Unis, l'Algérie, la Suisse, l'Arabie Saoudite, le Japon... Depuis 2014, les exportations vers l'Union européenne s'effritent. Du coup, la part des exportations vers pays tiers est passée de 26 % à 40 % du total des exportations françaises en valeur, de 2014 à 2019.

En 2019, le solde commercial laitier français s'est amélioré après quatre années de repli lié à une dégradation du solde commercial avec l'UE. Il a atteint 3,5 milliards d'euros, son niveau le plus élevé depuis 2016. Ceci grâce à une hausse des exportations, notamment vers pays tiers, et grâce à un léger recul des importations en volume et en valeur.

 

Agrial, une coop implantée à l'étranger

Eurial, la branche laitière de la coopérative Agrial poursuit son internationalisation, avec des implantations à l'étranger et une hausse des exportations. Eurial possède, comme beaucoup d'industriels - privés et coopératives - des filiales de distribution et des bureaux commerciaux, en Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni, Pologne, Suède, Moyen-Orient, Chine... Eurilait (Royaume-Uni) et Fromka (Allemagne) sont deux filiales de distribution en partenariat avec Laïta. « Un Brexit sans accord sera dur à vivre pour Eurilait qui ne fait qu'importer des produits français et d'autres pays de l'UE », commente Pascal Lebrun, vice-président d'Agrial.

Récemment, Eurial a investi dans la transformation à l'étranger. En Italie, il y a trois ans, avec une activité de produits ultrafrais et de fromages. En Espagne (lait de chèvre), et en Allemagne, avec l'achat en 2018 de la fromagerie Rotkäppchen. L'intérêt d'avoir un site de transformation sur place est qu' « on peut exporter plus facilement nos produits français, car on connaît mieux les circuits. On est aussi mieux perçus par les clients et les consommateurs », indique Pascal Lebrun. Depuis l'achat de la fromagerie allemande, « nous exportons plus de mozzarella, et d'autres produits français ».

Les activités internationales d'Eurial représentent 36 % de son chiffre d'affaires en 2019, dont 80 % est réalisé sur l'Europe et 20 % sur le grand export. Eurial estime que l'Europe a un niveau d'achat plus élevé pour ses produits que l'Afrique et le Moyen-Orient. « Nos exportations d'ultrafrais en Europe, de mozzarella dans le monde se sont développées », indique Agrial. Le pôle Ingrédients et nutrition continue d'aller vers des ingrédients de spécialité mieux valorisés, avec un renforcement des équipes commerciales, marketing et R&D.

 

Lactalis : « Nous internationalisons sans réduire la voilure en France »

Chez Lactalis, l'export doit continuer à répondre à deux types de demande : des produits de grande masse et des gammes à plus haute valeur ajoutée.

Lactalis l'assure : sa collecte et ses fabrications sur le territoire français sont à peu près stables. Il n'y a pas de volonté de réduire la voilure en France. Le groupe poursuit sa diversification avec diverses implantations dans les pays du monde. « L'entreprise réalise plus de 20 % de son chiffre d'affaires en France. Le reste, ce sont nos exportations depuis la France et le chiffre d'affaires réalisés hors de l'hexagone. Le groupe est présent dans 52 pays partout dans le monde, avec de la collecte, des sites de transformation, des bureaux commerciaux. Dans chaque pays, nous élaborons les produits traditionnels du pays. Et nous importons des spécialités françaises. Nos implantations à l'étranger bénéficient aux spécialités françaises. Nous avons des sites français où 60 % des fabrications partent à l'export, comme pour les bries ou des ingrédients secs », résume Michel Nalet, directeur général relations externes et communication chez Lactalis.

Être implanté partout dans le monde

Depuis l'accident survenu à Craon en Mayenne sur le site de production de lait infantile, Lactalis s'est implanté un peu partout dans le monde pour fabriquer des poudres de lait infantiles. « Multiplier les sites et les pays permet de répartir les risques. Nous avons encore du développement à faire dans ce secteur. »

Lactalis est un très gros exportateur d'ingrédients laitiers, et même si le groupe s'oriente davantage vers des produits à valeur ajoutée, il reste un gros faiseur de produits standard. « En produits de grande consommation (PGC), nous conservons aussi les deux types de marché : du gros volume avec une compétitivité prix, et des plus petites séries à haute valeur ajoutée. Il faut s'adapter à toutes les demandes », insiste Michel Nalet.

Lire aussi : Nouvelle acquisition pour Lactalis aux USA

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