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Les maires-agriculteurs sont-ils des maires comme les autres ?

Après ce premier tour des municipales, 30 000 communes ont vu leur conseil municipal élu au premier tour, sur 35 000 communes. C’est souvent le cas pour les petites communes de moins de 1000 habitants. Et c’est là que sont le plus souvent élus les maires-agriculteurs. Six maires-agriculteurs témoignent de la façon dont ils gèrent leur « double casquette ».

Lors d’un débat à Sciences Po organisé le 19 février par le Cevipof, en collaboration avec AGRA, six maires-agriculteurs ont fait part de leur motivation, leur particularité, leurs difficultés. Pour eux, il est primordial que les agriculteurs investissent les conseils municipaux, mais surtout les communautés de communes. « Les agriculteurs interviennent sur toutes les compétences qui concernent la communauté de communes : l’eau, l’environnement, l’occupation du territoire. C’est primordial d’y être car l’activité économique agricole ne va pas de soi et ça ira de moins en moins de soi », explique Gilles Reynaud, maire d’Oradour St Genest, dans la Haute-Vienne, une petite commune de 380 habitants, et éleveur de bovins viande. Même avis de la part de Julien Bigand, maire de Chassey-lès-Scey (135 habitants), en Haute-Saône et éleveur de vaches allaitantes : « l’agriculture est relayée à même pas une activité économique. Il faut rappeler que l’agriculture et une activité économique, et placer l’agriculteur à sa juste position ».

« Quand j’entends mon président d’intercommunalité dire : ‘le territoire, le territoire, le territoire’, ça me fait réagir. Qui occupent majoritairement le territoire ? Ce sont bien les agriculteurs. Je milite pour que l’on tienne compte de l’agriculture dans le développement économique, insiste Daniel Bouquillon, maire de Vélu, dans le Pas-de-Calais (136 habitants) et endivier. Nous sommes la première région productrice d’endives et nous sommes de gros employeurs de main d’œuvre locale ».

Les controverses autour de l’agriculture

Et au-delà de la reconnaissance de l’agriculture comme activité économique, les maires-agriculteurs doivent aussi gérer le regard qu’ont leurs concitoyens sur leur métier, même en zone rurale. « Ce ne sont pas les néo-ruraux qui sont porteurs des plus vives controverses. Ce sont les enfants originaires du village qui sont les plus exigeants au niveau environnemental. Les nouveaux habitants, eux, sont surtout gênés par l’encombrement des engins, par exemple pendant la moisson », explique Josiane Delteil, maire de Monferran-Savès, dans le Gers (850 habitants) qui est sur une exploitation de grandes cultures, avec des ateliers aïl violet et noix.

Dans la commune de Losse (260 habitants), dans les Landes dont Serge Jourdan, agriculteur sur une exploitation céréalière, est maire, c’est la gestion de l’eau qui fait débat. « Les usages sont conflictuels. Nous avons un rôle essentiel pour expliquer que les agriculteurs gèrent l’eau au mieux, pour le bien de la société. Chaque fois, je les emmené sur mon exploitation pour leur montrer les cultures, notamment le maïs, cultivées avec et sans eau. Il n’y a pas photo. On explique les techniques que l’on utilise, et aussi pourquoi on met des pesticides. »

Ce sera aux maires de gérer la difficile question des zones de non-traitement (ZNT). Mais Daniel Sauvaitre, maire de Reignac en Charente (760 habitants), arboriculteur et viticulteur, a réussi à anticiper les problèmes de ZNT dans sa commune de 760 habitants. « Lors de la construction d’un lotissement, j’ai beaucoup insisté pour que les espaces soient bien séparés entre les zones agricoles et les zones d’habitat. Les agriculteurs n’appréciaient pas ma démarche car ils considéraient qu’on les empêchait de vendre leur terre, aujourd’hui ils sont bien contents ! » Daniel Sauvaitre a une grande expérience sur le thématique « pesticides et société » car il est le président de l’association Pomme-poire qui a été en première ligne sur ce sujet. « On a beaucoup travaillé avec les gens du Limousin pour passer d’une situation de conflit à l’élaboration d’une charte. »

Protéger le foncier agricole

S’il y a bien un sujet sur lequel les maires agriculteurs ont une sensibilité particulière, c’est celui du foncier et de la préservation des terres agricoles. « Il y a un vrai enjeu à ce qu’il y ait des agriculteurs au sein du conseil municipal pour prendre part au débat sur la protection du foncier agricole et forestier, en particulier quand il y a des projets de lotissements, considère Julien Bigand, l’éleveur maire en Haute-Saône. Gilles Reynaud, maire dans la Haute-Vienne, rappelle que c’est la communauté de communes qui gère le PLU, donc les marges de manœuvre qui restent au maire sont très contraintes, mais il faut prendre part à ces débats à cet échelon décisionnaire. Et au niveau de sa commune, il a tout de même agi. « J’ai acheté des maisons qui étaient en train de s’écrouler pour les réhabiliter. Ainsi, nous n’avons pas empiété sur le terrain agricole. En concentrant l’habitat, en réhabilitant l’ancien, nous pouvons attirer une population dans le village sans gaspiller le foncier agricole.

Des maires ouverts à toutes les préoccupations de leurs concitoyens

Mais les maires-agriculteurs se défendent bien d’être corporatistes pour autant. « J’ai été maire et président de communauté de communes, explique Serge Jourdan, maire de Losse, dans les Landes. J’ai démontré que je n’étais pas là que pour défendre les agriculteurs, mais bien le territoire. Nous avons créé un gros projet d’énergie solaire. Mais les habitants ne soucient pas de qui fait quoi, leur seul interlocuteur, c’est la mairie. Et c’est à lui de communiquer aussi sur ce que fait la communauté de communes. « Au niveau de la communauté de communes, ce n’est pas parce qu’on est agriculteur élu que l’on va prêcher que pour notre métier, renchérit Gilles Reynaud. Pour autant, on peut faire tomber des a priori sur des pratiques, comme l’usage de l’eau. On peut faciliter l’accompagnement de filières. »

Soutenir les pratiques agricoles pour protéger les milieux

Ils sont aussi attentifs aux questions environnementales. Josiane Duteil a réussi à mettre en place une politique agri-environnementale à l’échelle de la communauté de communes « car on a la chance d’un groupement d’agriculteurs avec un animateur », souligne-t-elle. « Suite à une crue centennale d’une petite rivière, il y a eu un contrat de milieu sur un bassin versant avec l’agence de l’eau, avec un aménagement du ruisseau sur la partie urbaine et agricole. On a d’ailleurs vu que les urbains ne sont pas très favorables à ce qu’on intervienne sur leur parcelle pour aménager le cours d’eau alors qu’ils sont très demandeurs que les agriculteurs agissent ! »

Le contrat de milieu représentait 2 millions d’euros. L’agence de l’eau a trouvé que les actions des agriculteurs n’étaient pas suffisantes car les MAE n’ont pas été souscrites car trop complexes à mettre en œuvre. « On s’est dit que l’on pouvait agir au niveau municipal, poursuit-elle. C’est ainsi que 200 ha ont été engagés l’an passé et 300 ha cette année avec une convention. Il s’agit d’installations de haies, de diversité d’assolement, de couverts végétaux… L’aide est attribuée sur un hectare une année. Au niveau de la communauté de communes, nous voulons divulguer les pratiques pour lutter contre l’érosion. »

De gauche à droite : Gilles Reynaud, Josiane Delteil, Daniel Bouquillon, Julien Bigand, Daniel Sauvaitre, Serge Jourdan.

 

Pourquoi ils se sont engagés en tant que maire

. Julien Bigand, maire de Chassey-lès-Scey, en Haute-Saône et éleveur de bovins viande.
« J’ai été maire à 26 ans, et mon père a aussi été maire dans les années 90. Etre maire sur une toute petite commune, c’est tout à fait conciliable avec le métier d’agriculteur car il y a une partie qui est gérée par la communauté de communes. Mon enjeu est de maîtriser le foncier pour développer le village ».
. Daniel Bouquillon, maire de Vélu, dans le Pas-de-Calais et endivier.
« Je ne suis pas de droite, ne je suis pas de gauche. Les politiciens carriéristes, c’est fini. Je veux travailler avec les gens efficaces. Je conduis ma commune comme mon entreprise. En communauté de commune, je vois parfois des gens qui se comme dans un vestiaire, à jouer des coudes. Je trouve scandaleux que l’on crée de la dette avec l’argent public. Avec l’argent de ma commune, je ne fais pas ce que je veux. On m’appelle le Guy Roux dans mon intercommunalité ! »
. Josiane Delteil, maire de Monferran-Savès, dans le Gers et céréalière.
« Je voulais être libre de mes décisions, c’est pourquoi j’ai repris l’exploitation familiale alors que j’étais ingénieure informatique. Je suis sur une zone qui a une forte influence urbaine et je me suis vite rendu compte qu’il fallait des agriculteurs maires pour donner la parole aux agriculteurs au moment des grandes décisions locales, intercommunales ».
. Serge Jourdan, maire de Losse, dans les Landes et céréalier.
« Je suis à 60 km d’Agen, en forêt landaise, très isolée. Ma commune fait l’équivalent de Paris en superficie, mais avec 300 habitants et 4 millions d’arbres. A une période, je voulais être enseignant, mais ma mère m’a persuadé de rester sur la ferme. Je me suis retrouvé maire à 22 ans en 1977. Ça m’est tombé dessus. Ça m’a permis de compenser le manque de formation, et cela m’a enrichi intellectuellement car j’ai tout appris sur le tas. »
. Gilles Reynaud, maire d’Oradour St Genest, dans la Haute-Vienne, éleveur de bovins viande.
« Je ne suis pas un politique, mais je fais de la gestion du territoire. Je suis sans étiquette, et je sélectionne mon équipe municipale selon les compétences. Etre maire et agriculteur, c’est fatiguant. Selon moi, c’est une chance d’avoir fusionné trois communes au sein d’une communauté de communes car cela nous donne davantage de moyens ».
. Daniel Sauvaitre, maire de Reignac en Charente, arboriculteur et viticulteur, avec 5 associés.
« Ma préoccupation c’est d’organiser la commune afin d’avoir une coexistence entre les agriculteurs et la population nouvelle, éviter tout mitage et faire en sorte que tout projet, y compris un lotissement, intègre une dimension agricole. »
 

 

Lire aussi « Les maires-agriculteurs administrent 3,8% de la population »

 

Lire aussi « Maires et agriculteurs, pourquoi ils s'engagent »

 

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