Le poulet ukrainien lorgne toujours sur le gâteau européen
Aux portes de l’Union européenne, les opérateurs ukrainiens du poulet continuent d’investir pour conquérir le marché européen, soutenus par la Banque européenne de reconstruction et de développement.
Aux portes de l’Union européenne, les opérateurs ukrainiens du poulet continuent d’investir pour conquérir le marché européen, soutenus par la Banque européenne de reconstruction et de développement.
L’annonce fin juin de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur, puis en juillet l’approbation par le parlement français de l’accord Ceta entre l’UE et le Canada, ne doivent pas faire oublier le prochain accord sur le poulet entre l’UE et l’Ukraine. Le 12 juin dernier, la Commission européenne a proposé au Conseil des vingt-huit États membres d’approuver le compromis trouvé avec les autorités ukrainiennes. Un quota supplémentaire de 50 000 tonnes à droits d’entrée nuls va être alloué à la découpe de poulet ukrainien. Pour l’UE, il s’agit de mettre un terme à l’importation croissante de poitrines de poulets non désossées. Cette catégorie atypique n’avait pas été recensée dans l’accord d’association signé en 2014 et révisé en 2016, qui prévoyait deux contingents à droits douaniers nuls pour la découpe de poulet (18 400 t actuellement et 20 000 t en 2021) et 20 000 t pour le poulet entier. Grâce à cette astuce -litigieuse mais légale- permettant au poulet d’entrer sans payer de taxes, les abatteurs ukrainiens (quasi exclusivement MHP) ont vu leurs ventes s’envoler de 42 000 tonnes en 2015 à 124 000 t en 2018. De janvier à mai 2019, elles ont encore augmenté de 12 % à 56 000 tonnes. À ce rythme, elles devraient atteindre 140 000 t en fin d’année. L’Ukraine conforte sa place de troisième exportateur vers l’UE, après la Thaïlande (311 000 t en 2018) et le Brésil (302 000 t). Le nouvel accord qui doit être validé par le Parlement ukrainien (qui vient d’être élu) et par le Parlement européen prévoit de fusionner les deux catégories, d’augmenter le contingent à droits nuls de 50 000 t et d’appliquer une taxe d’environ un euro par kilo au-delà. Pour les industriels, cet accord est un moindre mal. Selon Paul Lopez, président des abatteurs européens de volailles (Avec), il fallait éviter de subir à nouveau l’équivalent de l’invasion du poulet salé brésilien dans les années 2000. S’estimant dans la légalité, les opérateurs ukrainiens jugent que leur pays a fait une énorme concession.
La Berd soutient la volaille ukrainienne
Mais ce nouvel accord ne devrait pas déstabiliser MHP, le principal opérateur et exportateur vers l’UE, qui a senti le vent tourner. Pour amorcer son business et faire que ses poulets deviennent européens, il a utilisé deux entreprises de découpe, l’une basée aux Pays-Bas l’autre en Slovaquie. Depuis fin 2017, il exporte de plus en plus par la Pologne (voir infographie). Il prévoit une hausse globale de 15 % de ses exportations cette année (330 000 t) dont 30 % sur l’UE. MHP souhaite aussi vendre plus en Afrique et au Moyen-Orient. Ses exportations ont augmenté de 43 % au premier semestre 2019 (190 000 t). Afin de poursuivre son développement en Europe, MHP a racheté en février le slovène Perutnina Ptuj pour 221 M€. Il annonce de nouveaux investissements dans la société, en partie financés par la Banque européenne de reconstruction et de développement (Berd) auprès de laquelle il a sollicité un emprunt de 100 millions d’euros. Ce prêt aurait dû être validé en mai, mais il a été repoussé plusieurs fois. De nombreuses voix se sont élevées contre le fait que la Berd finance une entreprise privée de cette envergure, y compris Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières. Le 19 juillet, il a prévenu fermement la Berd sur le respect par MHP de la politique de responsabilité économique, sociale et environnementale (RSE). Une note de la Berd en date du 30 juillet répond favorablement à ces objections. La Banque qui travaille avec MPH depuis 2010 (250 millions dollars et 25 millions d’euros octroyés en neuf ans) souligne les efforts importants de MHP sur la RSE et ses bonnes pratiques en termes de biosécurité, bien-être animal, usage d’antibiotiques et qualité de produits. Elle s’appuie sur le rapport de consultants de la société britannique WSP venus visiter MHP en juillet dernier. Selon la Berd, le groupe ukrainien est en totale conformité avec les normes européennes sur le bien-être animal. En résumé, les griefs contre MHP sont infondés. Mais rien n’est joué. Le commissaire a rappelé que la décision est soumise à un vote, dans lequel la Commission européenne détient 3 % des droits et les États Membres 50 %.
MHP dans le collimateur du nouveau pouvoir
Il n’y a pas que l’Union européenne à trouver que les méthodes de MHP litigieuses. En juillet dernier, le nouveau président de l’Ukraine Volodymir Zelenskiy a demandé d’enquêter sur une éventuelle corruption liée à l’octroi à MHP de 2.5 milliards de grivnas de subventions (97 millions de dollars) sur le budget 2017-2018 de l’État. Il s’interroge sur l’intérêt de verser une telle somme à une entreprise qui détient la majorité du marché du poulet et qui reverse des dividendes énormes à ses actionnaires (80 millions de dollars décidés en mars dernier). Quelque temps auparavant, le comité anti monopole avait lancé une autre enquête sur une suspicion d’abus de position dominante. MHP aurait imposé à ses clients des conditions pour sécuriser ses ventes, notamment en leur interdisant de vendre les produits concurrents. En 2017, ce même comité avait suspecté des ententes sur les prix sur la volaille et souligner la position de monopole d’un acteur. MHP avait été défendu par l’association des producteurs de volailles et justifié les hausses de prix par celles des coûts de production.
« Mieux vaut un mauvais accord que pas d’accord »
MHP arrête le foie gras
Le 31 juillet, MHP a annoncé qu’il arrêtera au mois de septembre sa filière de production de viande et de foie gras d’oie (62 t en 2015 à la marque Château Galicia). Le communiqué explique que cette production n’est plus en phase avec sa stratégie et avec son intention d’être un leader global en matière de RSE et de bien-être animal. Les installations (élevages, couvoir, abattoir) vont être vendues. Les faits que des actes de cruauté aient été rapportés, notamment par la fondation welfariste allemande Albert Schweitzer, et que la demande à la Berd soit bloquée, pourraient expliquer que MPH s’en débarrasse.
La Berd finance Dniprovska Agri group
Ayant déjà obtenu de la Berd cinq millions d’euros en 2017 pour construire une usine de méthanisation, la compagnie Dniprovska Agri group l’a de nouveau sollicitée. Les 20 millions d’euros obtenus le 8 juillet serviront à financer l’extension et la mise aux normes d’un abattoir de poulet pour un coût total de 3,8 M€ investis entre 2019 et 2021. Le troisième opérateur ukrainien prévoit ces investissements pour exporter, notamment vers l’UE.