« Une mise à l’herbe en douceur pour nos hautes productrices »
À l’EARL Beau Soleil dans la Manche, le pâturage représente plus de la moitié du régime des 50 laitières à 9 700 kg. Les éleveurs assurent une transition progressive au printemps.
À l’EARL Beau Soleil dans la Manche, le pâturage représente plus de la moitié du régime des 50 laitières à 9 700 kg. Les éleveurs assurent une transition progressive au printemps.
Le lait produit au pâturage ne coûte pas cher », apprécie Serge Maincent, installé avec son fils Fabien, à Notre-Dame-de-Livoye dans la Manche. « Le coût alimentaire des laitières diminue quasiment de moitié au pâturage », témoigne Serge Morazin conseiller de l’exploitation à Littoral Normand. En moyenne sur deux ans, ce coût s’est élevé à 42 €/1000 l(1) sur l’exploitation. « Par contre, le pâturage n’est pas la conduite la plus simple à gérer, surtout avec des vaches à 9 700 kg de lait, reconnaît l’éleveur. Non seulement nous sommes très dépendants des aléas de la météo, mais toutes les prairies ne se ressemblent pas… La pousse et la qualité de l’herbe fluctuent d’une semaine à l’autre. Il faut sans cesse s’adapter.»
Trois semaines pour permettre à la flore ruminale de s’adapter
Le pâturage implique des transitions alimentaires. Une transition est nécessaire parce que les vaches passent d’une ration hivernale équilibrée et riches en fibres (composée ici de 40 kg d’ensilage de maïs et 10 kg d’ensilage d’herbe, 1 kg foin et 2,8 kg de tourteaux et 1 kg de VL) à une herbe jeune, riche en eau, en azote soluble et pauvre en fibres. « Nous réalisons une transition de trois semaines pour permettre à la flore microbienne du rumen de s’adapter au nouveau régime », indique l’éleveur. Les 50 Prim’Holstein pâturent de mars à mi-octobre ; elles disposent de 20 ares par vache. Le pâturage représente au moins la moitié du régime pendant deux à cinq mois, selon les conditions de l’année.
La part du pâturage augmente progressivement, tandis que la ration s’allège à l’auge. Au départ, les vaches ne sortent que deux à trois heures l’après-midi. « Par temps froid et humide, lorsque l’herbe est jeune, je retarde l’heure de sortie des animaux », décrit Serge. Si la parcelle est grande, l’éleveur contrôle la consommation d’herbe au fil. Le recours au fil permet aussi d’ajuster le tir en fonction de la qualité de la parcelle et de la météo.
Au minimum 4 kg MS de maïs ensilage et du très bon foin
« En trois semaines, on passe d’une situation où l’on rationne l’herbe à une situation où l’on rationne le maïs, résume l'éleveur. Avant de sortir, les vaches consomment systématiquement des fourrages grossiers. « Il faut absolument qu’elles mangent pour ne pas se jeter sur l’herbe en sortant. Matin et soir, on les garde au moins une heure dans la stabulation après la traite. » Elles reçoivent au moins 14 kg bruts de maïs ensilage par jour et du foin est déroulé sur plusieurs mètres à l’auge. « On a fait le choix de désiler le maïs deux fois par jour. C’est contraignant, mais comme ça on est sûr qu’elles ne consomment pas tout le maïs d’un coup et qu’elles ne vont pas se coucher une fois sorties au pâturage. »
La ration s’ajuste en fonction de la richesse de l’herbe pâturée. Serge coupe généralement de moitié la quantité de tourteau de soja et de colza la veille de la mise à l’herbe, puis celle-ci diminue graduellement avec celle de maïs. L’éleveur arrête la complémentation quand la part de maïs ensilage atteint un tiers de la ration. « Je module aussi l’apport de tourteau en fonction de la proportion de trèfle dans les prairies. » La minéralisation reste inchangée au pâturage : 280 g de CMV (5/25/5) par vache et par jour. Par contre, sur la durée du pâturage, les éleveurs complémentent la ration en paillettes de tanins de châtaigniers (50 g/j/VL) pour rendre les protéines moins solubles.
Suivre de près l’évolution des bouses et le taux d’urée
Le bon équilibre alimentaire se vérifie ensuite par l’observation des bouses. « Leur consistance nous indiquent si on est dans le bon ou pas, indique Serge. On regarde si elles sont trop liquides, s’il y a des grains non digérés, si cela concerne une vache ou plusieurs… On se pose des questions : l’herbe est-elle trop tendre ?, le transit est-il trop rapide ? Faut-il rajouter du foin ? » Serge est très vigilant quant à la qualité du foin distribué. « Il faut apporter du très bon foin pour maintenir un support fibreux. Si jamais on voit que le foin n’est pas consommé, on se demande pourquoi, on vérifie son appétence, son accessibilité... »
Le taux d’urée moyen au tank est un autre indicateur. « Même au pâturage, l’élevage parvient à maintenir des taux d’urée relativement bas et sans trop d’à-coups, relève Serge Morazin. Ils se situent régulièrement autour de 180-200 mg/l, ce qui traduit une bonne valorisation de l’azote, sans gaspillage. » En parallèle, les pratiques de fertilisation azotée sont raisonnées. Les éleveurs n’apportent jamais plus de 30 unités d’azote par passage (4 à 5 fois par an). « Nous respectons le délai de 20 jours avant de remettre les vaches sur la parcelle car sinon, ça dérape vite au niveau des bouses et du taux d’urée. »
Même si le pâturage est source d’économie au niveau alimentaire, l’éleveur relève néanmoins deux bémols. « On perd 2 à 3 kg en moyenne par vache, et la fécondité pêche systématiquement. Les vaches perdent de l’état et retiennent moins bien. »
(1) Coût de concentrés + coûts opérationnels des fourrages de l’exploitation et coût de récolte forfaitaire hors MO.Pas de risque de tétanie d’herbage tant qu’il reste du maïs
« La transition se déroule bien tant que les vaches consomment encore 4 à 5 kg MS d’ensilage de maïs, considère Serge Maincent. Il y a une seule année où j’ai fermé le silo de maïs au pâturage, et ça n’a pas loupé, j’ai perdu une vache suite à une tétanie d’herbage. » Au début du printemps, l’herbe pâturée est riche en eau et en potassium. Ces deux éléments en excès limitent la digestibilité du magnésium. Les concentrations en magnésium dans le sang peuvent devenir insuffisantes si l’on ne prend pas quelques précautions. La prévention des tétanies passe par une augmentation des apports alimentaires de magnésium au moment de la mise à l’herbe. Il faut aussi veiller à ralentir le transit en apportant suffisamment de cellulose (très bon foin) et à mettre à disposition du sel, à volonté. Et ne pas hésiter à retarder un peu la mise à l’herbe en cas de temps froid et pluvieux.