Élevage laitier : « Nous cherchons de la productivité et de l’autonomie pour rentabiliser nos installations »
Au Gaec des forges, en Côte-d’Or, les associés ont robotisé pour mieux organiser le travail. La recherche d’un bon prix du lait, la dilution des charges grâce à la productivité et la réduction des coûts grâce à davantage d'autonomie, expliquent leur rentabilité.
Au Gaec des forges, en Côte-d’Or, les associés ont robotisé pour mieux organiser le travail. La recherche d’un bon prix du lait, la dilution des charges grâce à la productivité et la réduction des coûts grâce à davantage d'autonomie, expliquent leur rentabilité.
Il y a dix ans, les quatre associés du Gaec des forges, en Côte-d’Or, ont pris une trajectoire de spécialisation en lait, pour ancrer davantage leur exploitation dans ce territoire de l’AOP époisses. « Nous avons arrêté l’atelier taurillons pour des raisons de travail et de disponibilité en fourrages. Les surfaces en cultures de vente ont été réduites pour augmenter la surface fourragère, notamment les prairies, afin de pouvoir rester dans le cahier des charges AOP époisses, se souvient Brice Minot, responsable de l’atelier lait. Nous avons aussi agrandi l’atelier lait, avec une nouvelle stabulation mise en service en 2014. »
Une spécialisation en lait sous AOP époisses
Cette stratégie très laitière est directement liée à la valorisation du lait. « C’est grâce au prix du lait de l’AOP époisses et de notre laiterie Triballat Rians que nous avons pu investir dans une nouvelle stabulation avec des robots de traite et un robot d’alimentation », brosse Brice Minot. Car si l’AOP impose des contraintes qui engendrent des surcoûts, la plus-value sur le prix du lait est intéressante (lire encadré ci-dessous). Le changement climatique a aussi pesé dans la balance. « Avec l’herbe, la luzerne et les trèfles, nous parvenons à assurer du rendement et de la qualité à un moment ou un autre de l’année, alors qu’avec des cultures annuelles, quand c’est 'la cata', il n’y a pas grand chose. Donc même sans l’AOP, nous aurions dû faire évoluer notre système. »
Fiche élevage
4 associés et 2 salariés
1,5 millions de litres de lait
180 vaches montbéliardes
8 500 l/VL/an
284 ha de surfaces fourragères dont 47 ha de maïs, 132 ha de prairies permanentes, 38 ha de prairies temporaires, 54 ha de légumineuses (luzerne, mélange de trèfles) et 13 ha d’autres surfaces fourragères (méteil, sorgho)
174 ha de céréales dont de l’orge aplatie autoconsommée.
Aujourd’hui, le lait représente les trois quarts du résultat du Gaec. « Notre objectif est de nous libérer du temps libre : un week-end sur deux et une semaine par an. Et ne pas finir après 19 h, en dehors des gros chantiers », soulignent les associés.
Des robots et un bâtiment rentabilisés
Pour dégager du revenu et du temps libre, les associés misent sur l’automatisation. La stabulation de 153 logettes sur caillebotis est équipée de trois robots de traite, un robot d’alimentation et un robot racleur. Le Gaec rentabilise ses installations en les saturant.
« La combinaison du robot d’alimentation, qui passe toutes les heures le jour et toutes les deux heures la nuit, et du robot de traite, permet de monter à 180 vaches dans la stabulation. Elles se répartissent entre le couchage, la traite et le couloir d’alimentation », détaille Brice Minot. En outre, les portes intelligentes font circuler les vaches à l’intérieur et vers le pâturage « pour ne pas avoir besoin d’aller les chercher. En moyenne, les vaches sont traites 2,6 à 2,7 fois par jour », ajoute Brice Minot.
Grâce à leur technicité, les éleveurs atteignent une bonne productivité des vaches montbéliardes et de la main-d’œuvre : 8 500 l/VL/an et 370 000 l/UMO lait.
Parage et insémination par les éleveurs
L’automatisation a permis de réorganiser le travail et de gagner en autonomie sur plusieurs postes. C’est le cas du parage, effectué en préventif à chaque tarissement par Brice Minot. Et de l’insémination artificielle, « que nous réalisons nous-mêmes. Nous sommes équipés d’un petit échographe pour vérifier la gestation à 50 jours ».
Un des associés s’occupe des réparations et de la gestion des pannes sur les robots. « Cela permet de réduire fortement le coût des interventions. »
De l’herbe fraîche pour réduire les tourteaux
La recherche d’autonomie guide aussi l’alimentation des vaches et des génisses. La base du système repose sur 170 hectares de prairies, 54 hectares de légumineuses et 47 hectares de maïs ensilage. Pour limiter au maximum les besoins en complémentation, le Gaec cherche à valoriser au mieux l’herbe, la luzerne, les trèfles violet et incarnat, ainsi que les méteils et le sorgho quand il faut compenser de mauvais rendements en maïs.
Les 180 vaches traites n’ont que 28 hectares accessibles au pâturage, mais le Gaec les valorise au maximum. « Les 28 hectares sont découpés en dix paddocks pour faire du pâturage tournant au printemps et à l’automne. »
Les éleveurs pratiquent aussi l’affouragement en vert au printemps, parce que « cette herbe fraîche permet de couper le concentré à l’auge et de respecter le cahier des charges AOP ». Celui-ci exige que, du démarrage de l’herbe jusqu’au 15 juin, un minimum de 50 % d’herbe fraîche – pâturée ou affouragée en vert – entre dans la ration de base. Pour une surface minimum de 20 ares par vache traite ou de 15 ares par vache si l’exploitation pratique l’affouragement en vert.
Une ration très économe au printemps
Enfin, les éleveurs recherchent des fauches de qualité pour l’enrubannage qui est réalisé sur les prairies temporaires, la luzerne et les trèfles. Les prairies permanentes sont valorisées en foin et par le pâturage des génisses et des vaches taries. Les première et quatrième coupes de luzerne et de trèfles font un enrubannage à 60 % de matière sèche minimum pour respecter le cahier des charges époisses. Les autres coupes sont en foin.
Brice Minot ne pousse pas les vaches, par souci de rentabilité et parce que l’AOP époisses demande de ne pas dépasser 30 % de concentrés dans la ration totale, calculé sur la matière sèche. Sur l’année, la consommation de concentrés est maîtrisée : 200 à 225 g/l de lait selon les années. Pour capter la prime saisonnalité, les éleveurs cherchent à faire davantage de lait sur l’été-automne, avec une ration plus riche en énergie et protéine. « À l’inverse, nous faisons une ration très économe au printemps. »
Pas d’achat d’aliment composé
Pour réduire le coût alimentaire, « nous achetons des matières premières par camion : tourteau de colza et drèche de blé. Pas de tourteau de soja car il est trop cher en non-OGM ».
Au robot, deux aliments sont distribués. « Le premier est une VL que je réalise moi-même avec de l’orge fermière aplatie et du tourteau de colza. Le second associe 50 % de tourteau de colza et 50 % de drêche de blé. Cela nous permet de réduire les coûts », explique Brice Minot. L’éleveur fabrique aussi lui-même l’aliment pour les génisses à base d’orge de la ferme, de tourteau de colza et de mélasse. « C’est du boulot car chaque mois, cela nécessite deux à trois heures pour réaliser le mélange et nettoyer le matériel. Mais c’est économiquement valable car nous utilisons des structures existantes pour stocker et aplatir. »
La maîtrise des charges opérationnelles vient du fait que « les associés font beaucoup par eux-mêmes. Et ils le font bien, avec rigueur, ce qui fait qu’économiquement ils s’y retrouvent », souligne Laurette Millot, conseillère en élevage Alysé. Pour réduire les coûts, ils font également « du préventif sur les animaux. La nurserie est très bien entretenue, plus le préventif sur les veaux, et au final ils ont très peu de pertes sur les veaux (7 à 9 % de pertes). Les charges opérationnelles sont aussi contenues parce qu’ils n’achètent pas de superflu ».
Pour l’avenir, le Gaec se diversifie pour sécuriser le revenu. Une SAS a été créée en septembre 2023 pour gérer une activité photovoltaïque récente.
Des logettes très soignées
La stabulation accueille 180 vaches traites pour 153 logettes. Les logettes sont de fait très fréquentées par les vaches : une place reste rarement libre longtemps. « Nous les nettoyons donc souvent – trois fois par jour –, et remettons de la farine de paille achetée deux fois par jour. C’est un travail que nous n’automatisons pas, pour ne pas perturber la rumination des vaches. Nous passons autour des animaux couchés. Cela prend une demi-heure matin et soir et un quart d’heure à midi », détaille Brice Minot.
Chercher un bon produit lait et viande
Le Gaec recherche un prix du lait élevé. Il a atteint 493 euros pour 1 000 litres en 2022, grâce à la prime AOP, aux taux butyreux et protéiques et à la prime saisonnalité de Triballat Rians. En 2024, il atteint environ 533 euros tout compris. Un niveau supérieur au tiers le plus performant du groupe Alysé conseil en élevage (élevages AOP chaource et époisses).
Un bon taux protéique. « La race montbéliarde et nos choix de taureaux améliorateurs en TP permettent d’obtenir de bons taux (41,1 de TB et 35,1 de TP) et une incidence composition de près de 31 €/1 000 l en 2022 », expose Brice Minot.
La prime saisonnalité de Triballat Rians, liée à la consommation de l’époisses, incite à produire plus de lait entre le 1er juillet et le 31 novembre par rapport aux mois d’hiver et de printemps. « Pour rentabiliser le robot de traite, les vêlages sont étalés. Pour être sûr de produire plus de 20 % du volume annuel en été et plus de 15,5 % sur octobre et novembre, l’alimentation est calée pour assurer une production suffisante sur cette période. Et j’insémine davantage de génisses en août et septembre pour qu’elles fassent du lait d’été. À l’inverse, le lait de printemps est produit de façon très économe quitte à perdre en production », détaille Brice Minot.
La prime AOP est de 14 €/1 000 l. Si la qualité sanitaire du lait est excellente, un bonus de 14 € est appliqué. Si elle ne l’est pas, il y a un malus de 14 €. La prime AOP et l’incidence saisonnalité s’élevaient à 45,6 €/1 000 l en 2022.
Le bémol est la qualité sanitaire du lait, avec une incidence sanitaire négative de -2,6 €/1 000 l, surtout dûe aux butyriques. « Avant le robot de traite, nous n’avions jamais de butyrique. Avec le robot, même quand nous avons testé deux lavages des trayons, il y a eu quelques pics de butyriques dans l’année. »
La viande est mieux valorisée que le tiers le plus performant du groupe Alysee, grâce aux veaux croisés blanc bleu belge, nés des vaches les moins bonnes du troupeau. Les éleveurs finissent les vaches de réforme.
Les aides sont aussi supérieures au tiers le plus performant du groupe. Le Gaec touche l’écorégime « pratiques » et une MAE « zone intermédiaire » qui « permet de valoriser nos surfaces en herbe ».
La rentabilité du Gaec des forges
Les investissements ont été importants depuis 2014, mais échelonnés. « Le taux d’endettement est peu élevé à 33 % (dettes totales/actif total) et le ratio annuités/EBE de 31 % est dans la moyenne du groupe lait, souligne Sandrine Nacht, du Cerfrance BFC. C’est parce qu’une partie de l’EBE sert à l’autofinancement d’investissement et que les prélèvements privés sont limités à 170 000 € pour les 4 associés, sur 427 000 € de revenu disponible en 2023, ce qui permet de laisser de la trésorerie pour du renouvellement et de l’entretien de matériels. »
Les charges de structure sont plutôt contenues : 169 €/1 000 l, quand le tiers le plus performant du groupe est en moyenne à 175 €/1 000 l (élevages laitiers sous AOP). Cela grâce à une bonne productivité des moyens de production.
Malgré le surcoût lié au cahier des charges AOP, avec l’affouragement en vert pour respecter la part d’herbe fraîche dans la ration au printemps, et avec des frais de mécanisation plus élevés liés à un enrubannage d’au moins 60 % de matière sèche, le coût alimentaire est très bon. Cela s’explique par le fait que la consommation de concentrés reste raisonnable, que le Gaec a une ration très économe au printemps et que les éleveurs fabriquent eux-mêmes les concentrés.
Le taux de renouvellement est maîtrisé, à 28 %. Les animaux sont génotypés depuis sept ans et le Gaec n’insémine pas toutes les vaches en montbéliarde. « Depuis trois ans, les meilleures femelles ont une IA sexée montbéliarde. Les moyennes reçoivent une IA conventionnelle montbéliarde. Les vaches les moins bonnes sont inséminées pour avoir des veaux croisés blanc bleu belge, mieux valorisés. »