Tarissement sélectif : « Sans mon vétérinaire, je n’aurais jamais réussi »
Le Gaec de Ker Even, dans le Finistère, a réduit fortement l’usage d’antibiotiques au tarissement en travaillant de concert avec son vétérinaire. La prévention est assurée par de bonnes conditions de logement des taries, sans recourir à des obturateurs.
Pourquoi traiter les vaches aux antibiotiques au tarissement si elles n’en ont pas besoin ? Voilà une question qui taraude Thierry Bouteiller, l’un des deux associés du Gaec de Ker Even, depuis quelques années déjà.
« Le fait aussi que le père d’un ami ait dû être amputé de la jambe suite à une contamination au staphylocoque doré en milieu hospitalier m’a fortement sensibilisé, confie-t-il. Cela interroge et fait prendre conscience que nous avons sans doute, nous aussi à notre niveau, un rôle à jouer à travers nos pratiques d’élevage. »
« Sans oublier que c'est nous, éleveurs, qui sommes en première ligne, poursuit-il. En traitant systématiquement toutes les vaches avec des antibiotiques, nous sélectionnons des bactéries résistantes, avec lesquelles nous sommes forcément en contact en manipulant les animaux tous les jours. »
40 % des vaches sont taries sans antibiotiques
Avec ses 145 vaches à 8 500 litres de moyenne, le Gaec s’est emparé de cette problématique et a sérieusement réduit le recours des antibiotiques au tarissement. Aujourd’hui, plus de 40 % des vaches du troupeau sont taries sans antibiotiques. Pour autant, comme en témoignent les résultats, le taux de nouvelles infections est dans les clous (6 % en 2021). Par contre, tout ne s’est pas fait en un jour.
« J’avais mené une première expérience seul, il y a quinze ans, mais ça n’avait pas été une réussite, se souvient l’éleveur. J’avais arrêté de traiter les vaches au printemps en choisissant celles qui me semblaient les moins à risques. Le problème, c’est que les critères de tri n’étaient pas bons, et je me suis retrouvé avec beaucoup de nouvelles infections au vêlage. »
Cela n’a pas découragé Thierry. Motivé, il a participé à des formations sur le traitement sélectif au tarissement il y a quelques années. Il a également intégré en 2016 une étude de suivi pendant un an, en partenariat avec son vétérinaire. « Nous avons établi un protocole, précise Philippe Le Page, vétérinaire de l’élevage. Seules les vaches à plus de 150 000 cellules au dernier contrôle ou ayant fait une mammite dans les trois mois précédant le tarissement recevaient un antibiotique ciblé sur les staphylocoques. Ces vaches bénéficiaient aussi systématiquement d'un obturateur, quel que soit leur rang de lactation. »
« Pour les autres vaches, non traitées aux antibiotiques, nous avions décidé de recourir à l’obturateur systématique en hiver quand elles étaient en bâtiment, indique le vétérinaire. Celles qui étaient taries dehors s’en passaient sauf si elles présentaient des risques de contamination liés à leur rang de lactation, à une conformation particulière de leur mamelle ou qu’elles perdaient du lait. »
Bilan positif du protocole testé avec le vétérinaire
Le bilan s’est révélé positif : la consommation d’antibiotiques au tarissement a pu être divisée par deux, avec un taux de nouvelles infections compris entre 10 et 20 %. « Même si nous n’étions pas encore tout à fait parvenus à l’objectif de moins de 10 % de nouvelles infections après vêlage, cette stratégie se montrait encourageante », analyse Philippe Le Page.
Le Gaec a donc poursuivi dans cette direction les années suivantes, mais « il y avait toujours un peu trop de nouvelles infections sur les vaches sans antibiotique mais avec obturateurs », rapporte Thierry. Pour comprendre la situation, son vétérinaire a alors mené une étude plus approfondie. « En analysant les comptages cellulaires quartier par quartier au regard des contaminations au tarissement, nous nous sommes rendu compte que ce que l’on prenait pour des nouvelles infections n’en étaient pas vraiment, détaille Philippe Lepage. Il s’agissait en fait de vaches qui semblaient avoir développé une nouvelle infection, alors qu’elles étaient déjà infectées avant la période sèche. Elles auraient mérité un traitement antibiotique au tarissement mais étaient passées sous le radar. Du coup, nous avons décidé d’abaisser le seuil de traitement à 100 000 cellules au lieu de 150 000. » Avec ce nouveau seuil, le Gaec traite davantage de vaches, mais il a moins de risque d’en rater une qui mériterait un traitement antibiotique.
Le Gaec n’utilise même plus d’obturateurs de trayons
Aujourd’hui encore, c’est le seuil retenu sur l’élevage. « Je ne traite plus les vaches à moins de 100 000 cellules au dernier contrôle n’ayant pas fait de mammites dans les trois derniers mois », décrit Thierry. L’éleveur va même plus loin puisque désormais aucune vache ne reçoit d’obturateurs.
« Dès que c’est possible, les vaches taries vont dehors. En hiver, je me montre très vigilant sur les conditions d’hygiène du logement. » Les vaches taries se couchent sur des logettes paillées deux fois par semaine et nettoyées tous les jours, à l’écart des laitières. « Quand elles sont dehors, je veille à ce que tout soit nickel sur la parcelle. Pas question qu’il y ait un abreuvoir qui déborde ou des bourbiers le long des haies. »
La préparation au vêlage dure quinze jours. Quelle que soit la saison, tous les vêlages ont lieu dehors sur une parcelle abritée juste à côté du bâtiment. « Fini le box de vêlage ! Les vaches et leurs veaux ne s’en portent que mieux, et j’ai beaucoup moins de problèmes de contamination », apprécie-t-il en souriant.
Veiller surtout à des conditions de logement irréprochables
Sans obturateurs, Thierry convient qu’il prend un risque en bâtiment, mais il l’assume. Confronté au problème de bulle d’air dans les tubes, il a préféré ne plus y recourir. « L’air n’est pas facile à chasser, surtout en hiver, même en secouant bien les tubes. Je ne parvenais pas à faire de beaux cordons, du coup la protection était amoindrie, témoigne-t-il. Et puis, c’est une manipulation supplémentaire lors du tarissement. La traite dure déjà deux heures chez nous, c’est suffisant. En plus, je continuais de trouver des petites « flammèches » résiduelles dans le lait dix jours après le vêlage. Cela ne me plaisait pas. » Le fait de devoir doubler le coût de traitement en cumulant antibiotiques et obturateurs pour certaines vaches a également joué.
« On peut faire de la prévention en mettant des « bouchons » mais on peut aussi en faire en améliorant les conditions de logement pendant la période sèche », considère-t-il. Comme cela se passe bien sans obturateurs, il a préféré arrêter. L’avenir dira si c’est la bonne solution sur l’élevage. En tout cas, les résultats des deux dernières années, dont une avec les vaches dehors l’hiver, lui donnent raison.
Hiérarchiser les actions avant de se lancer
Modifier ses pratiques de traitement au tarissement exige au préalable d’objectiver la situation de l’élevage au regard du risque mammites.
« Avant de se lancer dans le traitement sélectif au tarissement, il est indispensable de réaliser un vrai travail de fond sur la prévention des mammites et d'avoir une bonne idée du modèle de contamination et des germes en présence, recommande Philippe Le Page, vétérinaire du Gaec de Ker Even depuis plus de trente ans. Les mammites ont toujours été une problématique forte sur cet élevage, qui se caractérise par une prévalence élevée du staphylocoque doré. » Si la situation s’améliore régulièrement au fil des années grâce aux efforts continus de Thierry, le nombre de mammites reste encore élevé.« Notre premier travail sur l’exploitation a été de cibler les traitements antibiotiques à appliquer en lactation et hors lactation », précise le vétérinaire. Un protocole a été établi pour les vaches en lactation avec des traitements spécifiques de première et de seconde intentions. Ce dernier est appliqué si le quartier ne présente pas d’amélioration significative (moins de grumeaux, quartier moins dur) dans les deux jours qui suivent le premier traitement, ou en cas d’absence de guérison clinique au bout de cinq jours ou de rechute sous vingt-et-un jours. « En cas d’échec de ce traitement de seconde intention, le quartier est définitivement écarté de la traite », précise Thierry Bouteiller.
« C’est seulement une fois que l’on parvient à juguler les choses que l’on peut véritablement s’attaquer à la réduction des antibiotiques en période sèche », conclut Philippe Le Page.