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« Sécuriser le système fourrager pour produire 1 million de litres de lait bio »

Dans la Sarthe, Frédéric Lenglet est en passe de produire 1 million de litres de lait bio avec des vaches à 5 000 litres. Ses objectifs : trouver un équilibre entre main-d’œuvre et revenu, tout en sécurisant le système fourrager.

« C’est pour ça que je suis éleveur », lâche Frédéric Lenglet en embrassant du regard ses 200 vaches qui viennent de rejoindre la pâture de nuit et broutent avec appétit. Un vrai régal pour les yeux ! Frédéric s’est installé en 2010 en EARL avec sa mère à l’Ouest de la Sarthe, à la limite du bassin parisien. L’exploitation produisait alors 300 000 litres de lait bio avec l’appui de deux salariés (0,8 équivalent temps plein). Aujourd’hui, ce jeune éleveur est en passe de produire près de 1 million de litres avec l’appui de trois salariés et un apprenti (2,9 équivalent temps plein). Il est resté dans un système plutôt extensif avec des vaches qui produisent 5 000 litres de lait et beaucoup de pâturage.

Une augmentation rapide du cheptel

« Depuis dix ans, mon obsession est d’arriver à trouver un équilibre entre la main-d’œuvre et les finances », explique-t-il. Cette recherche d’équilibre l’a amené à augmenter à trois reprises le volume de lait produit. Une première augmentation de 100 000 litres en 2012, à la veille du départ à la retraite de sa mère, qui a permis d’augmenter le temps de salariat à 1,6 équivalent temps plein. Une deuxième de 200 000 litres en 2015 pour compenser la perte de 20 000 euros de primes liées à la réforme de la PAC : « soit je retrouvais du produit, soit je devais licencier l’un des deux salariés », argumente-t-il. Et une troisième de 400 000 litres en 2018 lorsque s’est présentée l’opportunité de déléguer l’élevage de génisses à un éleveur bio voisin qui voulait arrêter le lait pour se spécialiser dans l’élevage de génisses et volailles. Il s’agissait de compenser la délégation des génisses par la production des 400 000 litres de lait de cet éleveur. D’après l’étude économique réalisée par Seenovia, cette spécialisation du système permettait de dégager 30 000 euros d’EBE supplémentaires. De quoi rémunérer une personne. Ce qui a décidé Frédéric à franchir le pas, car malgré l’embauche en 2015 d’une salariée à mi-temps et l’arrivée d’un apprenti, la situation restait compliquée au niveau de l’organisation du travail. « Biolait a donné son accord après avoir analysé mes motivations et s’être assuré que le système d’exploitation restait conforme à l’image de la bio que se fait le consommateur : basée sur le pâturage avec peu d’aliment concentré acheté. »

Simplifier le travail en déléguant les génisses

Dès 2018, 730 000 litres ont été vendus. Soixante Montbéliardes ont été achetées en 2019, un premier lot en hiver dans le Doubs puis un deuxième en été dans la Sarthe (1 500 € par vache ou génisse amouillante). « Les premières vaches supplémentaires m’ont tout de suite permis de refaire de la trésorerie pour financer les suivantes », souligne-t-il. La salle de traite 2x20 construite dès 2012 a permis d’absorber les hausses successives. Pour le logement, Frédéric a fait à l’économie, ayant encore 110 000 euros d’annuités à rembourser pour un EBE prévisionnel 2020 de 177 000 euros. Le bâtiment est juste en nombre de logettes malgré l’extension réalisée en 2012. Mais « les vaches passent beaucoup de temps dehors, l’ancienne nurserie est en cours d’aménagement en aire paillée, et les couloirs d’exercice font six mètres de large ».

Du pâturage maximisé et des vaches croisées

Les vaches pâturent quasiment toute l’année, sauf de mi-janvier à mi-février. Le parcellaire avec 110 hectares accessibles depuis le bâtiment le permet. « En 2019, elles ont été en pâturage total du 20 mars au 20 juin. Mais cette année, seulement du 1er avril au 20 mai. Il a manqué dix hectares de prairies que j’ai dû mettre en céréales à cause de l’automne trop pluvieux. » Le pâturage se fait au fil avant. Frédéric est équipé d’un quad qui facilite grandement la pose des clôtures. Il a récupéré en 2018 un gros stock de sable grossier qu’il a déjà utilisé sur 800 mètres de chemin. « Les vaches sont beaucoup plus à l’aise dessus. Les gravillons sont ronds, ils ne blessent pas leurs pattes. »

« J’ai commencé à faire du croisement trois voies dès mon installation en 2011 sur le troupeau de Montbéliardes », souligne Frédéric. Depuis qu’il a vu en Angleterre en 2017 un troupeau de croisées montbéliarde x jersiaise x prim’holstein x rouge scandinave, la Jersiaise a été incluse dans le schéma. « Ces vaches '4x4' (pas trop lourdes, solides, aptes à marcher sur de longues distances) m’ont convaincu. » Il utilise des semences sexées sur les soixante premières vêlées pour le renouvellement et fait ensuite du croisement industriel. Les vêlages ont lieu à deux périodes : 70 % de mi-septembre à mi-décembre, et 30 % de mi-février à mi-avril.

Un déclic après la sécheresse de 2018

La grosse préoccupation de Frédéric est de réussir à nourrir le troupeau avec un système chargé, une augmentation rapide du cheptel et des sécheresses qui se répètent depuis quatre ans. Il exploite 222 hectares, dont 80 hectares sous forme d’achat d’herbe. Sur ses 142 hectares de SAU, 20 hectares sont cultivés en méteil grains autoconsommé : un mélange triticale/pois fourrager/féverole semé à 35/30/10 grains par mètre carré dont il produit les semences. La surface fourragère se répartit en 70 hectares de prairies temporaires, 30 hectares de prairies permanentes et 20 hectares de maïs ensilage. Frédéric expérimente beaucoup depuis 6-7 ans pour diversifier son système fourrager : des méteils, des dérobées, des mélanges prairiaux, et même une association maïs/tournesol. « Depuis la sécheresse de 2018, je suis passé à l’échelle supérieure : elle a provoqué un déclic. J’avais dû acheter, à l’automne 2018, 250 tMS de luzerne à un céréalier bio et revendre un tracteur 30 000 euros pour ne pas pénaliser sa trésorerie », explique cet éleveur. Face au changement climatique, il a mis en place une stratégie efficace pour sécuriser son système fourrager, qui a fait ses preuves en 2019. Mais elle nécessite du temps et du matériel dont il peut disposer en Cuma.

Des prairies rapidement productives après implantation

Chaque année entre 10 et 12 hectares de prairies temporaires sont rénovées. Pour la fauche, Frédéric sème au printemps vers le 20-25 mars de la luzerne (17 à 20 kg) associée à du trèfle violet (3 à 5 kg) sous couvert de méteil de printemps. Pour le pâturage, il implante mi-octobre une prairie multiespèce ajustée en fonction des sols : en sols séchants de la fétuque élevée (5 kg), et en sol humide de la fétuque des prés (5 kg) + fléole (1 à 2 kg) + fétuque élevée (2 kg), associées à un mélange de base composé de RGA (15 kg) + dactyle (2kg) + RGH (3 kg) + TB (3 à 5 kg) + chicorée (2 à 3 kg) + plantain (2 kg) + trèfle incarnat (5kg). Il sème en même temps avec un semoir classique un méteil à base d’avoine (30 kg) + pois fourrager (80 kg) + vesce commune (25 kg) + vesce velue (15 kg) + vesce de Narbonne + féverole (20 kg). « Le méteil permet de ne pas perdre de production la première année. Il est ensilé à la mi-mai, la prairie prend le relais. »

Les prairies temporaires en fin de vie sont elles aussi boostées avec un sursemis mi-octobre de RGI associé à du seigle forestier et du triticale. « Je sème avec un semoir de semis direct à disque pour ne pas trop abîmer la prairie. » Quant aux prairies permanentes, environ un tiers (10 ha) sont rénovées chaque année par du sursemis. En 2020, celui-ci sera systématiquement réalisé derrière un sursemis de sorgho multicoupe le printemps précédent (voir encadré). Le sursemis prairial est réalisé mi-septembre à la volée avec un semoir petites graines (Delimbe) suivi d’un passage de déchaumeur compil (Duro) pour enterrer les graines. « C’est un outil très rapide qui permet de travailler à 12 km/h sur 5 mètres de large, puis le tout est rappuyé à l’aide de deux passages de rouleau cambridge. » Frédéric utilise un mélange d’espèces agressives : RGH (10 kg) + chicorée (2 kg) + plantain lancéolé (2 kg) + TB (2 à 3 kg) + RGA (3 à 5 kg) + trèfle incarnat (5 kg).

 
Prairie permanente fin mai rénovée à l’automne après un passage de sorgho. Celui-ci permet une meilleure implantation du sursemis.  © A. Conté

Cet éleveur bio ne ménage pas sa peine pour s’adapter au changement climatique. « Mon objectif est de trouver des plantes et une manière de travailler qui n’introduisent pas trop de surcoût », résume-t-il en ajoutant : « depuis que j’ai mis tout ça en place, je suis beaucoup plus serein ».

Chiffres clés

Production par vache 5 000 l
Main-d'œuvre 3,9 UTH dont 2,9 salariés
Production exercice 2018-2019 (clôture juin) 730 000 l
Prévisionnel 2019-2020 (AS Cefiga):
     ° 950 000 l produits
     ° Prix du lait 468 €/1 000 l
     ° Coût alimentaire 112,50 €/1 000 l
     ° Marge 324 €/1 000 l

Du sorgho sursemé et pâturé pour le creux d’été

 
Sorgho fourrager sursemé dans une prairie permanente après un travail superficiel du sol au covercrop. Par son effet sur la plisse de la prairie, il permet une meilleure implantation du sursemis prairial réalisé ensuite  à l'automne.  © S. Guibert

Comment rendre les prairies productives pendant les quatre mois d’été où les prairies sont en dormance ? Frédéric Lenglet a sursemé en juin 2019 un sorgho multicoupe BMR (Honey graze) dans 20 hectares de prairies. Le sorgho a été pâturé jusque mi-septembre. « Il m’a permis de passer le creux estival avec une technique qui ne coûte pas cher, argumente-t-il. Grâce aux 50 mm d’eau tombés mi-août, j’ai pu obtenir 6-7 tMS/ha. »

Sur les 20 hectares, 15 hectares ont été sursemés après passage d’un décompacteur dans des prairies temporaires en fin de course qui devaient être resemées l’année suivante ; 5 hectares ont été sursemés dans des prairies permanentes prévues d’être rénovées à l’automne. Le sursemis de sorgho a été réalisé après un travail superficiel avec un covercrop réglé à 5-7 cm et semis herse rotative + semoir. Après le pâturage du sorgho, la prairie permanente a été sursemée mi-septembre avec une combinaison semoir petites graines Delimbe + Compil semoir de semis direct après un passage de Compil. « Je me sers du sorgho comme plante étouffante pour préparer la suite. Le passage du sorgho, en détruisant partiellement le chevelu racinaire, a permis au mélange de mieux se développer », constate l’éleveur. En 2020, il a prévu de monter à 30 hectares de sorgho en échelonnant les sursemis.

D’autres cultures annuelles pâturées ont été introduites par Frédéric : du colza fourrager associé à du RGI semé début août entre un méteil grain et du maïs, et de la betterave fourragère pâturée par les vaches en complément du sorgho.

Un associé pour diminuer la charge mentale

Le stress, lors de la sécheresse de 2018, avait été « très lourd à porter. Je me suis posé beaucoup de questions sur l’élevage », reconnaît Frédéric Lenglet. Aujourd’hui, il ne veut plus en supporter seul la « charge mentale ». Plutôt que d’embaucher un salarié supplémentaire, il a décidé de prendre un associé. Le projet est en bonne voie, grâce au bouche-à-oreille, avec l’arrivée de Nicolas en stage parrainage en mars dernier.

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