« Nous transformons 450 000 litres de lait à la ferme »
Au Gaec de la Ferme du Tout Vent dans le Nord, Étienne, Jean-Baptiste et Mathieu Gorisse développent depuis dix ans la vente directe pour tirer la meilleure valorisation possible du lait.
Au Gaec de la Ferme du Tout Vent dans le Nord, Étienne, Jean-Baptiste et Mathieu Gorisse développent depuis dix ans la vente directe pour tirer la meilleure valorisation possible du lait.
« Notre vision de l’agriculture ne se limite pas à être de simples producteurs, avance Jean-Baptiste Gorisse, l’un des trois associés de la Ferme du Tout Vent à Beaufort dans le Nord. En nous installant mes frères et moi, nous avons voulu aller plus loin : décider de nos prix, de nos débouchés et connaître nos clients. Aujourd’hui, il faut créer de la valeur ajoutée pour s’en sortir. » Dès 2005, les associés ont fait le choix de la vente directe. En moyenne, tous produits confondus, ils valorisent le lait à hauteur de 70 centimes le litre, soit nettement mieux qu’en le vendant à la laiterie à 30 centimes en moyenne sur le dernier exercice. « Étant donné le volume de lait produit, nous sommes forcément impactés par la crise, mais cela nous conforte dans notre stratégie. »
Le Gaec produit 1,6 million de litres de lait dont 30 % est transformé en produits laitiers divers et le reste livré à Lactalis. La structure emploie 11 salariés, dont 7 dédiés à l’atelier de transformation et au magasin. « Nous nous trouvons davantage dans la configuration d’une gestion d’entreprise que d’une ferme familiale », avance Mathieu Gorisse, installé en 2011. Au sein du Gaec, les rôles sont clairement répartis : Étienne est responsable de l’atelier vaches laitières, Mathieu s’occupe des cultures et Jean-Baptiste gère toute la partie transformation et vente. Jean-Baptiste affiche un parcours plutôt atypique. Muni d’un BTS agricole, il a fait des stages sur des élevages pratiquant la vente directe avant d’enchaîner avec une école de commerce en agroalimentaire à Paris. Après une expérience en GMS, il succède à son père sur la ferme familiale et s’installe aux côtés de son frère et de sa mère, en 2005. À l’époque, l’exploitation est assez diversifiée et produit encore 35 vaches allaitantes et des porcs à l’engraissement (100 places), en plus de 600 000 litres de lait.
L’activité a pris de l’ampleur progressivement
« J’ai lancé le projet de transformation fermière dès mon installation à la fois par affinité car j’aime vraiment cela, mais aussi par nécessité car il fallait bien créer une activité, avance-t-il. J’ai effectué moi-même l’étude de marché. L'important, c’est de prendre le temps de se questionner et de bien cibler les attentes des clients. » En 2006, un atelier de transformation aux normes européennes est construit et un magasin de vente à la ferme ouvre ses portes. Situé près d’un axe très passant (RN2) à quelques kilomètres de Maubeuge (30 000 habitants) et à proximité d’un gros centre commercial, le magasin propose du mercredi au samedi, ses propres produits laitiers (fromages frais, yaourts, beurre, crème fraîche, crèmes dessert, fromages…) mais aussi de la viande(1), de la charcuterie, des légumes, des jus de fruits fermiers et des bières artisanales qui viennent d’autres producteurs locaux. « Proposer une offre diversifiée, c’est vraiment un plus pour attirer le chaland.» Dans les premiers temps, la vente se faisait uniquement sur place, puis les livraisons auprès de commerces de proximité ont démarré. « Nous n’avons pas fait le choix de faire les marchés car cela prend trop de temps. Au départ, nous avons commencé en transformant 15 000 litres. Nous avons préféré démarrer petit et avancer prudemment, sans répondre trop vite à la demande. L’objectif a toujours été de continuer à évoluer mais de façon construite », souligne le producteur, pragmatique et rationnel.
Diversifier les circuits de vente et la gamme de produits
Le bouche-à-oreille porte ses fruits rapidement. « En 2008, ce sont les GMS qui sont venues à nous pour quelques produits d’appel comme le beurre. Nous avons accepté mais à condition de leur vendre aussi nos yaourts et crèmes dessert, qui nous permettent de mieux valoriser le lait. Travailler avec les GMS, ce n’est forcément PAS évident tous les jours. Il faut négocier et assurer les volumes derrière. Pas question non plus pour nous de leur servir de faire-valoir. Soit je sens l’écoute de mon interlocuteur, soit je ne perds pas mon temps. » Peu à peu, les producteurs travaillent avec davantage de commerces de proximité et de magasins spécialisés en produits fermiers, notamment en région lilloise. Ils livrent eux-mêmes dans un rayon de 100 à 150 km, et font appel à des transporteurs au-delà. « Nous avons aussi quelques clients en restauration collective (collèges). »
L’activité de vente directe grandissant, il a fallu faire des choix sur l’exploitation. « Nous avons recentré nos efforts uniquement sur le lait afin de mieux diversifier nos produits et circuits commerciaux. » Les porcs ont été arrêtés en 2009 et les vaches allaitantes en 2011. Dans le même temps, la stabulation des laitières a doublé sa capacité d’accueil pour loger 200 vaches.
L’exigence des clients toujours au cœur du projet
Aujourd’hui, le facteur limitant de l’exploitation, c’est la main-d’œuvre. Les trois associés travaillent entre 12 et 14 heures par jour, 12 jours sur 14. « Nous sommes contraints de sélectionner nos clients, reconnaît Jean-Baptiste. On s’impose des impératifs de distance, de volumes à livrer… Nous préférons assurer avec nos clients existants plutôt que de nous éparpiller. Ces dernières années, nous sommes davantage dans une dynamique de diversité de gamme que de développement des circuits commerciaux. » L’exploitation compte 90 références réparties dans cinq gammes de produits. Mousses au chocolat, desserts liégeois, glaces, sorbets, desserts glacés, chantilly, crèmes anglaises se sont ajoutés à la panoplie de produits existants. « Diversifier notre palette nous rend plus pertinents face à nos clients revendeurs. Ils voient que nous sommes créatifs, et cela augmente aussi les chances de faire davantage de volumes de vente. »
Une activité qui exige de nombreuses compétences
« L’an dernier, nous avons reçu des éleveurs laitiers qui se questionnaient sur la vente directe lors d’une journée portes ouvertes. Ils n’imaginaient pas tout ce que cela implique ! En termes de temps, d’implication et de résultats économiques. L’activité n’est pas rentable tout de suite. Cela fait 10 ans que l’on investit, que l’on se forme à la transformation, à la gestion sociale, au commerce, au management... Ce n’est ni facile ni de tout repos ! Il faut arriver à suivre toutes ces évolutions ! », expose Jean-Baptiste. L’association régionale des vendeurs directs aide les exploitants dans leur projet.
« Aujourd’hui, nous vivons de notre activité mais notre taux horaire est en dessous du Smic car nous avons beaucoup investi et sommes en train d’asseoir notre outil ! Une activité comme la nôtre, montée de toutes pièces, ne devient pleinement rentable qu’à partir du moment où le bâti est remboursé », estiment les exploitants. Ils comptent développer les volumes vendus en optimisant mieux la main-d’œuvre et en mettant à profit les compétences de chacun. « Aujourd’hui, l'atelier de transformation nous permet d’avoir une évolution à deux chiffres de notre résultat d’exploitation malgré la conjoncture défavorable, mentionne Jean-Baptiste. Si j’ai un conseil à donner, c’est vraiment de se lancer progressivement à la fois pour éviter la casse au niveau financier et sur la partie hygiène et sanitaire qu’il faut évidemment maîtriser parfaitement. »
(1) Achat sur pied ou en carcasse et transformée à la ferme.« Notre bataille, c’est de convaincre les banques »
« Convaincre ses partenaires financiers n’est pas facile, se désole Jean-Baptiste Gorisse. C’est frustrant quand on sent qu’on a le potentiel de développement et que derrière la banque freine des deux pieds. Avoir deux banques, ça aide mais cela ne résoud pas tout. Aujourd’hui on se bat pour réussir à se faire financer. C’est fatigant après dix ans d’activité d’avoir toujours à se justifier. Pourtant, nous avons eu une belle évolution, nos prévisionnels sont atteints, voire même dépassés… »
L’investissement initial pour l’atelier de transformation et le magasin a été d’environ 140 000 €. En dix années de développement d’activité, 160 000 € supplémentaires ont été investis pour des équipements spécifiques (conditionneuses, véhicules frigorifiques...)
Chiffres clés
12 UMO : 3 associés, 10 salariés et 1 apprenti
1,6 million de litres de lait produit, dont 450 000 l transformés
180 vaches à 9 000 kg
208 ha de SAU dont 100 ha de prairies, 20 ha de luzerne, 40 ha de maïs et 48 ha de céréales
90 références réparties en 5 gammes (yaourts, desserts élaborés, laits, fromages frais et desserts glacés)