« Nous avons toujours plus d’un an de stocks d’avance en fourrages »
Le Gaec du Rupt de Viller, en Meurthe-et-Moselle, refuse de se retrouver confronté à un manque de stocks fourragers. Au fil des ans, les associés ont constitué un matelas de sécurité très confortable basé sur l'ensilage et le foin.
Le Gaec du Rupt de Viller, en Meurthe-et-Moselle, refuse de se retrouver confronté à un manque de stocks fourragers. Au fil des ans, les associés ont constitué un matelas de sécurité très confortable basé sur l'ensilage et le foin.
« On dit qu’avoir des stocks fourragers, cela coûte cher. Mais ce qui coûte vraiment cher, c’est de ne pas en avoir quand tu en as besoin, estime Denis Battaglia, éleveur en Meurthe-et-Moselle. Les stocks fourragers sont le meilleur placement de l’éleveur, car sans fourrage, il n’y aura pas de lait, donc pas de revenu. » Avec ses trois associés, Denis élève 120 vaches à 10 000 litres de lait nourries toute l’année en ration complète. Pas question de manquer de fourrages. « Nous sommes sur une zone qui est très vite séchante. En quinze jours chauds, on peut perdre une partie non négligeable du rendement de maïs », partage-t-il.
« Depuis dix ans, je remarque que les rendements sont de plus en plus variables. Nous ne pouvons pas naviguer à vue. » Disposer de stocks apporte de la tranquillité d’esprit. « Je sais que nous pourrons nourrir le cheptel même en cas de conditions météo défavorables et que nous n'aurons pas à subir les marchés en ayant besoin d’acheter », poursuit l'éleveur.
Saisir toutes les opportunités
La constitution de l’équivalent de plus d’un an de stock d'avance s'est réalisée progressivement. « Il y a quelques années, nous élevions trop de génisses, retrace l’éleveur. Le fait de réduire notre taux de renouvellement et d'avoir moins de bouches à nourrir a permis de commencer à constituer des stocks de foin, d'ensilages d'herbe et de maïs, mais aussi de céréales. Et, les bonnes années fourragères, nous avons gardé les fourrages plutôt que de chercher à vendre des surplus. »
Au fil des ans, les associés ont construit de nouveaux silos. Aujourd’hui, ils disposent d’une capacité de stockage d’ensilage de 5 000 m3. « Quitte à stocker, il faut le faire dans de bonnes conditions pour assurer le maintien de la qualité de conservation », argumente Denis, très vigilant sur le tassement et la fermeture des silos.
L'été dernier, le Gaec a distribué un ensilage de maïs réalisé en 2021 ! Malgré une durée de conservation aussi longue, les éleveurs n'observent pas de dégradation de la qualité des fourrages. « Avec le temps, le maïs gagne en digestibilité », apprécie l'éleveur. À chaque ouverture de silo, une analyse est réalisée pour connaître précisément la valeur de ce qui est distribué. Les éleveurs assurent une transition de deux à trois semaines.
Des économies difficiles à évaluer
Les stocks concourent aussi à la stabilité de la production. « Même à son amélioration, considère Denis Battaglia. Comme nous ne courons pas après les quantités, nous avons le confort de pouvoir choisir les meilleures parcelles de maïs à ensiler. Les autres seront valorisés en grains. » De plus, en panachant les ensilages selon leur valeur alimentaire, le Gaec gomme les effets « années », ce qui contribue à une stabilité de ration. « L’an dernier, nous avons fait de petits rendements en maïs, mais la qualité était là avec beaucoup de grains. On a complété par des fourrages stockés les années antérieures. Cela a donné une super ration. »
En termes de coût, « ce n’est pas évident de chiffrer ce que nous économisons en n’ayant pas à acheter les mauvaises années, quand les cours sont plus hauts, avance l’éleveur. Les efforts financiers sont surtout faits au début à la constitution des stocks. Mais, au-delà des aspects comptables, la sérénité n’a pas de prix. »
Mise en garde
Il n'y a pas de risque particulier à constituer des stocks de longue durée si le silo a bel et bien été réalisé dans les règles de l'art, en termes de tassement, d'étanchéité, etc. Hormis une mauvaise conservation, le fourrage sera bien valorisé ; en tout cas, mieux qu'un fourrage qui n'a pas suffisamment fermenté.
Côté éco
Le coût alimentaire du Gaec s'élève à 5,10 €/VL/j, soit 150 € ramené aux 1 000 l de lait.
« Le coût des stocks est un faux problème »
Pour Jérôme Larcelet, consultant nutrition Seenorest, générer des stocks d'avance est une stratégie gagnante, avec un optimum jusqu'à six mois de stock.
Quelle quantité de stocks viser ?
Jérôme Larcelet - « C’est d’abord pour l’ensilage de maïs qu’il faut prévoir des stocks, car c’est la base de beaucoup de rations et c’est une culture qui peut subir des aléas climatiques. L’idéal est d’avoir trois à quatre mois de stocks d’ensilage de maïs d’avance. Ce qui permet d’attendre avant d’ouvrir ses nouveaux silos que le nouvel ensilage ait bien fermenté et que la digestibilité de l’amidon soit bonne. En cas de rendement moindre, l’ouverture pourra être avancée mais, au moins, ce stock aidera à pallier la moindre récolte. Par sécurité, on peut aller jusqu’à six mois de stocks.
Pour l’herbe, avec deux périodes de récolte, au printemps et à l'automne, il y a moins de risques de pénurie. Plus que la quantité, c’est la qualité qui peut faire défaut. Donc il peut aussi être utile de stocker des fourrages intéressants. »
Que conseiller à un éleveur souvent juste en ressources fourragères ?
J. L. - « Avant de constituer des stocks, la première étape est de réaliser un bilan fourrager pour faire le point sur ses effectifs et ses ressources fourragères, puis d’analyser la cohérence. Est-ce rentable d’engraisser des taurillons si je dois régulièrement acheter des fourrages ? De même avec les animaux improductifs comme les génisses, il y a des pistes pour en réduire le nombre en abaissant l’âge au premier vêlage, en diminuant le taux de renouvellement. »
Économiquement, les stocks d'avance sont-ils une bonne stratégie ?
J. L. - « Le coût est un faux problème. Certes, disposer de stocks fourragers conséquents, c’est de l’argent qui dort, mais l’effort intervient surtout au début de la constitution des stocks. Après, c’est un roulement. Devoir acheter des fourrages coûtera toujours plus cher que de les produire. Implanter deux ou trois hectares de maïs supplémentaires, en mettre de côté une bonne année plutôt de le vendre est un petit effort par rapport à ce que coûtent des achats en mauvaise année. »
Une fois les stocks constitués, comment les gérer ?
J. L. - « Déjà, il faut les conserver dans de bonnes conditions. Ce qui demande souvent de refaire des silos. Disposer plutôt de petits silos d’appoint permet de constituer des stocks sans avoir un fond de silo sur lequel on va remettre la nouvelle récolte. Il faut aussi gérer le roulement des stocks pour ne pas les conserver trop longtemps et adapter la superficie à semer en fonction de ce qu’il restera. »