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Les coopératives laitières mobilisées sur le renouvellement des générations

Journées des coopératives laitières. Imaginer des démarches d’accompagnement innovantes pour faciliter l’installation mais aussi former et aider les jeunes dans leurs projets. Tel est le défi que doivent relever les coopératives pour leur donner envie de s’investir dans le modèle coopératif.

Quatre éleveurs laitiers sur dix ont aujourd’hui plus de 50 ans. D’ici cinq ans, un litre de lait sur deux aura changé de main. Le renouvellement des générations sur les exploitations et dans les conseils d’administration est un enjeu prioritaire pour les coopératives laitières qui en ont fait le cœur de leurs Journées en avril dernier. Les coopératives laitières accueillent environ 800 jeunes coopérateurs par an, soit 60 % des installations laitières. C’est plus que leur quote-part puisqu’elles collectent 55 % du lait en France. Pour autant, il y a « une vraie urgence à améliorer ce chiffre de 800 installations », souligne Damien Lacombe, président de Coop de France métiers du lait.

Comment donner envie aux jeunes d’entrer dans le métier et de s’impliquer dans les coopératives ? « Il faut adopter de nouvelles postures », a plaidé François Purseigle, sociologue, enseignant chercheur à l’Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse. En commençant par mettre au placard le mot installation, qui n’est plus en phase avec les nouvelles générations. « Ce mot ne parle plus aux jeunes, même chez les médecins ! Il faut parler davantage d’entreprenariat et création d’activité plutôt qu’installation. Penser outil de production plutôt que transmission du patrimoine. Penser aussi souplesse, progressivité et évolution des parcours. Et trouver des outils pour faire monter les jeunes au capital des entreprises agricoles. »

Expliquer le sens de l’action

On est face à une mutation sociale sans précédent des exploitations laitières, et elle n’est pas sans conséquences pour les organisations agricoles. « Les coopératives ont été pensées pour accompagner un modèle d’exploitation familial à 2 UTH. Ce modèle est en train de s’effacer au profit d’une pluralité d’acteurs. » Le sens de leur action et leur rôle sur le territoire ne parlent pas forcément aux nouvelles générations. En particulier à ceux qui ne sont pas issus du milieu agricole. « Au niveau de Jeunes agriculteurs, on voit bien cette pluralité des jeunes installés et ce manque de connaissance des organisations agricoles en général », renchérit Baptiste Gatouillat, vice-président du syndicat. Il va falloir expliquer ce que sont les coopératives pour attirer ces nouveaux publics.

Il va falloir aussi leur « donner envie » de s’impliquer dans les coopératives, ajoute-t-il. « Certains jeunes nous disent : ''c’est le président et le directeur qui décident, en tant qu’adhérent on ne fait pas bouger les choses, nous les jeunes on ne va jamais nous écouter''. Aux coopératives de montrer qu’elles sont prêtes à les entendre. » Les initiatives pour leur faire une place au sein de leurs instances de décision se multiplient. Reste que « c’est très dur de réunir un groupe de jeunes pour créer des activités. Beaucoup veulent la consommer sans la faire vivre, témoigne Charles Gautier, installé depuis trois ans en Loire-Atlantique, et membre de la commission laitière jeunes de Terrena. J’ai souvent entendu comme réponse ''Je n'ai pas le temps''. Mais pour moi, la coopérative c’est le prolongement de l’exploitation ».

De nouvelles missions pour les coopératives

Comment faire partager cette conviction ? Pour François Purseigle, les coopératives n’ont pas d’autres choix que de se réinventer, d’imaginer des démarches d’accompagnement innovantes. « Le métier se complexifie, il faut offrir aux jeunes des outils pour se projeter dans les filières, de nouveaux services autour de l’organisation du travail, etc, affirme-t-il. Ils ont besoin d’échanges techniques correspondant à leur propre projet, et d’outils pour réduire les situations d’incertitude liée au marché. » Certaines coopératives ont déjà commencé à mettre en place des prix différenciés pour les jeunes ou des contrats à marge garantie. « Ne pas opposer systématiquement projet collectif et projet individuel me paraît fondamental : les coopératives doivent donner aux jeunes la possibilité d’agir en relation avec leur projet individuel, être des lieux où l’on apprend. »

Et puis les nouvelles générations entrent dans le métier plus tardivement, et souvent seules. Elles ont d’autres ambitions que de s’engager ad vitam eternam dans une organisation sur un territoire. Leurs liens sociaux ne se résument plus au voisinage : de nouvelles formes d’actions collectives émergent avec les plateformes, les échanges se font avec ceux qui partagent le même projet, plus qu’avec leurs pairs locaux. « La capacité que les organisations traditionnelles auront à mutualiser autrement sera déterminante pour être là demain », affirme François Purseigle. Elles devront aussi être capables de construire de nouvelles alliances et de tisser des liens avec d’autres catégories socioprofessionnelles à l’échelle du territoire.

Une démarche d’amélioration continue

Les coopératives laitières ont acté ces transformations. Un observatoire des pratiques est en place pour mutualiser les initiatives des unes et des autres et éviter de réinventer ce qui existe déjà. 95 % d’entre elles proposent déjà des dispositifs particuliers pour accompagner les projets individuels sous forme d’attribution de volume (en moyenne 190 000 litres en 2017), d’appui technico-économique et d’aides financières. Coop de France métiers du lait s’est engagé en février dernier avec Jeunes agriculteurs, au travers d’une charte, à mieux accompagner les nouveaux coopérateurs. « Une évaluation des actions avec des indicateurs précis est prévue dans six mois, puis dans un an, dans une logique d’amélioration continue ", souligne le président de Coop de France métiers du lait. Cette charte balise les actions prioritaires : la constitution d’une réserve spécifique pour l’attribution de volume aux nouveaux entrants, la mise en place de dispositifs pour gérer la volatilité des marchés, un accompagnement à la capitalisation des parts sociales. Elle prévoit aussi une formation sur le fonctionnement coopératif dès le dispositif à l’installation, pour que les candidats sachent à quoi ils s’engagent.

 

 

Deux exemples pour faire plus de place aux jeunes

° À l’Union Laitière de la Meuse, c’est une vraie pépinière de futurs administrateurs qui a été mise en place avec la commission « jeunes ». Celle-ci a été créée en partenariat avec Jeunes agriculteurs en 2012. « Nous avions invité tous les nouveaux coopérateurs pour leur expliquer ce que nous voulions faire, a expliqué Daniel Muller, président de l’ULM. Au départ, il s’agissait de fédérer un groupe et de faire découvrir le monde de la coopération. Nous avons vu assez rapidement émerger de futurs administrateurs. Les jeunes ont plein d’idées ; on le voit lors de la journée « jeunes » organisée chaque année, qui est très riche au niveau des échanges. Nous avons des nouveaux coopérateurs qui peuvent venir de différents métiers (avocat, pompier, musicien…) et qui ont 30, 35 ou 40 ans. » La commission « jeunes » se réunit quatre fois par an, accueille des intervenants. Elle apporte de nouvelles idées qui sont proposées au conseil d’administration. C’est un lieu d’échanges permanent. Elle est renouvelée tous les trois ans. Pour la première fois cette année, les nouveaux membres du conseil d’administration sont quatre jeunes issus de cette commission.

° Agrial a fait évoluer ses statuts : « nous avons la volonté d’élire au moins deux jeunes dans toutes les instances de gouvernance de la coopérative, et notamment au niveau du conseil d’administration, affirme précise Pascal Lebrun, président de la branche lait d’Agrial. Avant, nous invitions un jeune au conseil mais il n’était pas élu et donc n’avait pas droit de vote ». La commission jeunes se réunit aussi quatre fois par an avec une animation ou une visite de site. Le bureau d’une dizaine de membres est force de proposition dans les différents métiers et régions de la coopérative. « Nous devons laisser la nouvelle génération nous aiguiller et nous bousculer. Ils nous font avancer, c’est pour cela qu’ils doivent s’impliquer, en commençant par participer aux réunions pour comprendre la coopérative, sa gouvernance et l’univers des marchés. »

 

Une autoévaluation de la gouvernance

 

« Les coopératives travaillent toutes à l’amélioration de la gouvernance pour dynamiser la vie démocratique et la relation avec les sociétaires », affirme Damien Lacombe, président de Coop de France métiers du lait. Un guide de gouvernance, formalisant les meilleures pratiques existantes (animation démocratique et territoriale, fonctionnement du conseil d’administration, formation des administrateurs, renouvellement des générations…) est déployé depuis mars dernier par Coop de France. Et une méthode d’autoévaluation de la gouvernance sera bientôt mise à disposition des coopératives.

« Nous avons eu lors de nos Journées laitières un débat sur l’intérêt d’accorder de la place aux salariés des coopératives à tous les niveaux, y compris sur le plan capitalistique. Des coopératives y travaillent, avec l’objectif de faire en sorte que tout le monde, salariés comme producteurs, regarde dans la même direction et porte le projet de l'entreprise. »

 

Les usines aussi peinent à recruter

Recrutement par simulation, écoles internes de formation… Les coopératives laitières doivent innover pour intégrer de nouveaux collaborateurs.

L’industrie laitière souffre d’un manque d’attractivité. Avec 760 sites de productions répartis au plus près des fermes, elle a du mal à pourvoir les 3 000 postes en CDI qu’elle propose chaque année. Il faut compter en moyenne douze mois pour embaucher un nouveau collaborateur et 15 % des annonces en CDI ne sont pas pourvue ! Elle pâtit d’une méconnaissance de ses 60 métiers mais aussi de sa localisation, avec 85 % de ses salariés qui habitent dans des villes de moins de 15 000 habitants.

Il faut donc faire preuve d’imagination pour recruter, surtout dans des bassins d’emplois tendus. Le groupe Even, par exemple, a mis en place une procédure de recrutement par simulation en étroit partenariat avec Pôle emploi. « Nous l’avons utilisée à trois reprises : lors de la création d’un centre d’appel, pour recruter les équipes des nouvelles tours de séchage, et celle du conditionnement aseptique », a expliqué Charles Belin, DRH chez Even. La méthode se décompose en trois phases : une analyse très précise du poste à pourvoir par Even, la réalisation par Pôle emploi d’un test de mise en situation des candidats, puis l’organisation d’une réunion d’information sur le bassin d’emploi, avec dans la foulée la mise en oeuvre de ces tests. Pôle emploi propose ensuite des candidats à l’entreprise, qui reste décisionnaire. « D’habitude, nous allons chercher l’expérience ; avec les simulations, nous recrutons des personnes avec des profils différents que nous formons au métier. » C’est une opération lourde, qui n’est pas adaptée à des recrutements ponctuels. C’est aussi un investissement dans la durée, avec moins de risque de démission.

Autre exemple d’innovation : les écoles internes mises en place depuis une dizaine d’années par Sodiaal pour ses 10 000 salariés. L’idée est d’avoir des salariés formés mais aussi formateurs. Au départ, il s’agissait de développer une culture commune, de déployer de bonnes pratiques et transmettre les savoir-faire. « C’est aussi permettre à des personnes, experts confirmés dans leur mission, de grandir en devenant formateur interne », souligne Hugues Ferrier, directeur formation Sodiaal Union. Pour ses 300 modules de formation, qui sont remis à jour en permanence, la coopérative s’appuie sur 254 formateurs internes qui animent cinq à dix jours de formation. Ces formateurs occasionnels sont réunis chaque année et formés au niveau pédagogie.

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