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L’ambition laitière irlandaise ne sera pas sacrifiée au nom de l’environnement

En Irlande, la production laitière a bondi de 69 % en onze ans pour atteindre 9 millions de tonnes en 2021. Malgré des contraintes environnementales de plus en plus prégnantes, le pays entend continuer sur sa lancée.

« L’Irlande est un pays libéral. Les Irlandais sont des challengers. Pour eux, gagner de l’argent, ce n’est pas un problème, à condition de ne pas le faire au détriment des autres », décrit Luc Delaby, chercheur Inrae. En élevage, cette philosophie se décline en « transformer l’herbe en euros ».

Ces propos de Luc Delaby résument parfaitement la dynamique laitière irlandaise. Dans l’île d’Émeraude, les surfaces en herbe représentent près de 92 % de la SAU (5 millions d’hectares). Depuis la crise financière de 2008 et la fin des quotas en 2015, le gouvernement a amplifié les aides accordées aux éleveurs, à la recherche et à la promotion de leurs produits agricoles à l’export, explique l’Institut de l’élevage dans son dossier Économie de l’élevage dédié aux filières lait et viande irlandaises (1).

Cette volonté politique a porté ses fruits. Lancé en 2010, le programme Food Harvest 2020 avait pour ambition d’augmenter la production laitière de 50 % d’ici 2020. L’objectif a été atteint deux ans plus tôt. La production laitière du pays est passée de 5,5 millions de tonnes en 2010 à 9 millions de tonnes en 2021 (+69 %).

Producteurs, transformateurs, gouvernement, R & D... toute la filière s’est mise en ordre de marche derrière un objectif commun : produire du lait à moindre coût (low cost) grâce à l’herbe pâturée, pour être très concurrentiel sur le marché à l’export et assurer un revenu décent aux producteurs. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. « En 2020, 5,2 milliards d’euros de produits laitiers ont ainsi été exportés, soit plus du double qu’en 2010 », note l’Institut de l’élevage.

85 à 90 % du lait produit est exporté

L’export est crucial pour la filière laitière du pays qui ne compte que 5,1 millions d’habitants. « Les Irlandais exportent 85 à 90 % du lait qu’ils produisent », confirme Luc Delaby. Cette dynamique exportatrice pourrait cependant pâtir des conséquences du Brexit, le Royaume-Uni étant un débouché important pour les produits laitiers et la viande bovine. Malgré cela, l’Irlande laitière entend maintenir le cap de la croissance. Selon une enquête réalisée dans le cadre du projet Dairy 4 Future (2), le pays envisage d’augmenter sa production laitière de 21 % entre 2019 et 2030.

Avec ce scénario, la restructuration (baisse de 10 % du nombre de producteurs) sera compensée par l’agrandissement de la taille des troupeaux (+18 %) mais aussi l’augmentation du niveau de production par vache (+7 %).

Jusqu’ici, pour produire plus de lait, les éleveurs laitiers ont activé quatre grands leviers. La taille moyenne des troupeaux est passée de 59 à 88 vaches laitières entre 2010 et 2021. La production par vache a augmenté de 15 % en dix ans, à 5 620 kg de lait en 2021.

Par ailleurs, la productivité des prairies (8 tMS d’herbe pâturée valorisées par hectare) est maximisée par l’emploi d’engrais azotés. Le chargement flirte avec les 2 UGB/ha de prairies. « Les apports d’aliments concentrés ont aussi beaucoup augmenté depuis 2010 (+19 %) à 1 140 kg/VL en 2019, s’approchant ainsi des niveaux distribués en Bretagne », précise l’Idele.

Un pays moins « green » qu’il n’y paraît

Les contraintes environnementales pourraient cependant jouer les trouble-fêtes à court terme. Le pays a beau arborer une image vertueuse pour ses produits agricoles au travers son label générique « Origin Green » (origine verte), et un trèfle (shamrock) en guise de symbole, côté environnement il est parfois plus proche du rouge que du vert.

À commencer par la dégradation de la qualité de l’eau liée à une augmentation des teneurs en nitrates et phosphore. Le mode de conduite intensif des prairies et le chargement en animaux élevé participent grandement au phénomène. Cette situation a bien failli mettre un terme à la dérogation permettant aux éleveurs laitiers de bénéficier d’un plafonnement des apports en azote organique à 250 kg/ha contre 170 kg/ha prévu par la directive Nitrate. En avril 2022, la Commission européenne a reconduit cette dérogation jusqu’à fin 2025. Mais pas à n’importe quelles conditions. Un état des lieux concernant l’évolution de la qualité de l’eau est programmé cette année. En fonction des résultats, le plafond de 250 kg pourra être réduit à 220 kg d’azote organique par hectare à partir de 2024, dans certains secteurs.

Par ailleurs, de nouvelles mesures ont été imposées aux éleveurs : élargissement des périodes d’interdiction d’épandage, réduction de 10 % de la fertilisation minérale azotée, teneur en protéines brutes dans les concentrés limitée à 15 % pour les vaches au pâturage entre le 15 avril et le 30 septembre pour réduire le niveau d’excrétion azotée…

Augmentation de 10 % des émissions de GES

La réduction des gaz à effet de serre est un autre défi environnemental de taille à relever. « En Irlande, l’agriculture est le premier secteur émetteur de GES avec 35 % des émissions totales en 2019, loin devant le transport (20 %). À titre de comparaison, l’agriculture est responsable de 18 % des émissions de GES en France et de 10 % aux Pays-Bas », précise l’Institut de l’élevage. Plus grave, les émissions de GES de l’agriculture ont augmenté de 10 % entre 1990 et 2019 alors qu’elles reculaient en France, Allemagne, Royaume-Uni. Ces émissions ont toutefois baissé en 2019 (-4 %/2018).

Tous secteurs économiques confondus, l’Irlande envisage de réduire de 50 % ses émissions de GES d’ici 2030. Un défi qui s’annonce difficile à atteindre malgré des plans d’actions concrets, selon l’Idele. La réduction des effectifs totaux de bovins est un des leviers pour y parvenir. « Les Irlandais misent sur la longévité de leur vache laitière pour réduire les effectifs de génisses de renouvellement. Ils espèrent également quelques effets favorables, même minimes, au niveau nutritionnel avec l’introduction du trèfle blanc et dans les prairies multispécifiques, le plantain, et la chicorée. Ce qui est certain, c’est que l’ambition laitière irlandaise ne sera pas sacrifiée au nom de la réduction des émissions de GES », analyse Luc Delaby.

Vers une obligation de réduire les effectifs de vaches ?

L’Irlande dépasse également le plafond d’émission d’ammoniac fixé par l’Union européenne. « Comme pour les GES, l’Irlande est l’un des seuls pays de l’UE à avoir augmenté ses émissions d’ammoniac sur dix ans et dépasse, depuis 2015, le plafond autorisé de 116 000 tonnes », constatent les experts du département économie de l’Institut de l’élevage. Cette dégradation provient de l’accroissement du cheptel bovin et de l’épandage des engrais minéraux azotés. L’Irlande est priée de réduire ses émissions d’ammoniac de 5 % à l’horizon 2030 par rapport à 2005.

Pour parvenir à mener de front le challenge environnemental et l’augmentation de la production laitière, l’Irlande a mis en place le programme Signpost en 2021. Ce dernier vise à améliorer les pratiques des éleveurs et la rentabilité de leurs exploitations grâce aux nouvelles technologies. En cas d’échec, l’Irlande devra revoir à la baisse ses ambitions. La diminution des effectifs de vaches, et celle de la production laitière, s’imposeront alors comme unique solution pour rentrer dans les clous.

(1) N° 524 - Novembre 2021.
(2) Projet visant à améliorer la durabilité et la résilience des exploitations laitières de l’Arc Atlantique : douze régions réparties en France, Irlande, Royaume-Uni, Espagne et Portugal.

Repères 2020-2021

15 900 éleveurs laitiers

9 millions de tonnes de lait produits en 2021

Objectif : 10 millions de tonnes de lait en 2025

1,46 million de vaches laitières

88 vaches par troupeau

5 620 kg de lait/VL

437 kg de matière utile/vache traite/an

Source : Idele

L’attractivité du lait renforcée

« Produire plus pour gagner plus », le slogan s’applique très bien aux éleveurs laitiers irlandais. « Selon Teagasc (NDLR : organisme national de R & D, conseil et enseignement), les exploitations laitières ont dégagé en 2020 un revenu courant avant impôt de 53 000 euros par unité de main-d’œuvre familiale. Ce revenu est bien plus élevé que dans les autres secteurs et a progressé de 300 euros par rapport à 2011, renforçant l’attractivité du lait », souligne l’Institut de l’élevage. Et l’année 2022 a été exceptionnellement favorable grâce à un prix du lait soutenu. « Le modèle low cost basé sur une valorisation maximale de l’herbe pâturée permet aux éleveurs de produire avec des coûts parmi les plus faibles d’Europe, et ainsi de dégager d’importants revenus. »

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