« Je suis fière de gérer une exploitation de 40 vaches »
Installée en individuel sur une structure de 66 hectares, dans le Pas-de-Calais, Sophie Facon-Sergent, a remodelé le système d’exploitation de la ferme de ses parents. Sa participation active aux groupes lait l’a beaucoup aidée.
Installée en individuel sur une structure de 66 hectares, dans le Pas-de-Calais, Sophie Facon-Sergent, a remodelé le système d’exploitation de la ferme de ses parents. Sa participation active aux groupes lait l’a beaucoup aidée.
Sophie Facon-Sergent a deux passions dans la vie : la nature et l’élevage. C’est en toute logique qu’elle a pris la suite sur l'élevage de ses parents lorsque ces derniers ont pris leur retraite en octobre 2012. « J’ai toujours eu le désir de m’installer. J’aime les vaches depuis que je suis toute petite, et cela m’aurait fendu le cœur de voir partir toutes nos bêtes », reconnaît-elle en souriant. Sentimentale, cette jeune trentenaire dynamique n’en est pas moins une chef d’entreprise. Titulaire d’un BTS Acse et d’une licence de gestion de l’entreprise agricole, elle a travaillé quatre ans comme salariée d’une jardinerie avant de s’installer. « Je me suis installée seule mais j’ai eu la chance d’avoir eu l’aide de mon père, et aujourd’hui c’est mon mari qui a pris le relais. » Rémi s’occupe de la distribution des fourrages le matin et le soir, avant de partir au travail, à 10 km de la ferme. C’est lui aussi qui fait les semis de céréales, les épandages, les traitements et la fenaison. Il a le statut de conjoint collaborateur. Pour les travaux des champs, Sophie fait appel à l’ETA. « Côté cultures, je fais les tours de plaine avec les techniciens, je gère le travail du sol, etc. Mais mon truc, c’est vraiment les vaches. »
Comparer les marges et coûts de production pour progresser
Dès son installation, l’éleveuse intègre le groupe lait de son secteur, animé par la chambre d’agriculture. « J’ai découvert les groupes pendant mes études, grâce à mon maître de stage. Participer aux réunions m’a ouvert les yeux, estime-t-elle. Cela a créé un vrai déclic. J’ai pris conscience qu’il y avait vraiment moyen d’optimiser le système en place chez moi. Alors, je me suis retroussé les manches et j’ai essayé d’avancer pas à pas. » Sophie suit quatre à cinq formations par an. Elle a beaucoup appris sur le plan technique. Et elle apprécie de pouvoir comparer ses marges et coûts de production, dans un esprit de bienveillance et de convivialité.
Les résultats économiques qu’elle obtient aujourd’hui témoignent de sa réussite. L’exploitation figure dans le quart supérieur des groupes suivis par la chambre. Et moins de sept ans après son installation, son centre comptable lui propose de passer en EARL pour optimiser ses cotisations sociales !
La priorité est de produire du lait avec les fourrages
Depuis son installation, le litrage vendu a augmenté de près de 130 000 l, à surface constante. Sophie a bénéficié d’une attribution de 60 000 l. Elle livre désormais 250 000 l à Danone, et dispose en plus depuis deux ans d’un contrat annuel de 30 000 l avec la SAS Hauts de France Dairy.L’une de ses priorités a été d’augmenter la productivité des vaches en augmentant la part d’ensilage de maïs et en réduisant celle des concentrés. Le maïs occupe 31 % de la SFP. Seules les laitières en reçoivent. Équilibrée à 23,7 kg, la ration hivernale se compose de 11 kgMS de maïs ensilage, 2,6 kgMS d’enrubannage, 1 kg de foin, 1,6 kgMS de pulpes surpressées et 2,6 kg de correcteur azoté (70 % soja, 30 % colza). L’éleveuse a mis en place du pâturage tournant sur les 6 ha de prairies permanentes dédiés aux laitières. « Je travaille en fil avant. Au pâturage, je réduis le concentré sans me focaliser sur le volume produit au tank. » Au plus bas, les laitières reçoivent 1 kg de concentré fermier par jour (un tiers de correcteur, un tiers d’orge aplati, un tiers de pulpes sèches), avec toujours 2 à 3 kgMS de maïs à l'auge.
Venir à bout des fièvres de lait et retournements de caillette
Au niveau sanitaire, aussi, l’éleveuse a pris les choses en main. Elle a commencé par trier les vaches à cellules et les moins productives. Le taux de réforme a été de 40 % la première année. « Quand je me suis installée, je ne comprenais pas pourquoi j’avais autant de fièvres de lait et de retournements de caillette, se souvient-elle. Je faisais intervenir le vétérinaire et je lui posais des questions pour essayer de comprendre, mais je n’avais pas de solutions concrètes pour changer les choses. » C’est vraiment en allant aux réunions de groupes, où des vétérinaires formateurs prennent le temps d’allier la théorie à la pratique, de donner des explications et des conseils, qu’elle a réussi à changer la donne. « J’ai compris que la lactation démarre dès le tarissement, souligne-t-elle. Une fois qu’on comprend les enjeux, c’est plus facile de modifier ses pratiques. » Désormais, les vaches taries sortent en pâture uniquement sur les prairies qui viennent d’être fauchées, avec du fourrage fibreux à disposition (paille ou foin de graminée) à volonté. Elles rentrent en bâtiment deux à trois semaines avant le vêlage et reçoivent une ration de transition avec un peu de maïs ensilage, et de la paille à volonté avec du correcteur et 150 g d’un CMV spécial vaches taries à Baca négative.
Une stratégie basée sur la production de lait d’été
Sophie a également amélioré la conduite des génisses. Elles vêlent plus tôt et surtout moins grasses. Elles reçoivent 2 kg de concentrés au sevrage et leur croissance est contrôlée au ruban. Désormais, elles sont toutes génotypées. « Comme j’en vends beaucoup, je peux ainsi sélectionner celles qui correspondent le plus à mes choix génétiques, et mieux raisonner les accouplements. » Le critère numéro un est la recherche de taux, car il n’a jamais été travaillé auparavant. La santé des mamelles et la facilité de vêlages sont les deux autres priorités.Les génisses rentrent en bâtiment pour l’insémination par petits lots de cinq à six bêtes entre juin et août. Elles vêlent entre mars et juillet. L’objectif est de favoriser la production entre juillet et septembre pour profiter de la prime saisonnalité versée par Danone. Sur la dernière campagne, Sophie a réussi à empocher l’intégralité de la prime d’été (25 €/1 000 l sur les trois mois et 15 €/1 000 l l'année précédente).
« Privilégier la production de lait d’été a aussi l’avantage d’éviter de vendre des veaux quand les prix sont au plus bas, et les veaux poussent mieux au printemps », apprécie Sophie. Avec l’augmentation du nombre de vaches, par contre, elle ne ferme plus le silo de maïs au printemps-été. « La complémentarité herbe pâturée-maïs permet de mieux accompagner les laitières en début de lactation. »
Réforme après cinq à six lactations
Trois quarts des vêlages interviennent entre mars et octobre. L’éleveuse n’hésite pas à faire inséminer les laitières tôt, à 38-40 jours, dès la deuxième chaleur. « Cela ne marche pas toujours, mais je tente. » Sur la dernière campagne, le taux de réussite à la première insémination a été de 43 % pour les multipares pour un intervalle vêlage-insémination fécondante de 77 jours.
Sophie a la volonté de faire vieillir ses vaches, comme en témoigne le rang de lactation élevé (3,3 l’an dernier, contre 2,4 en moyenne sur les groupes du secteur). « La première cause de réforme ici, c’est l’âge ! Je réforme après le 5e ou le 6e veau. J’ai très peu de réformes subies. J’élève toutes les génisses. En 2017, j’ai vendu 13 amouillantes par petites annonces (1 000 €), mais cela n’a pas été pas simple, car il y avait peu de demande. » C’est pour cela que l’an dernier, elle a préféré les vendre entre 6 mois et 1 an, avant l’insémination (520 €).
« Mon objectif, c’est d’avoir des vaches en bonne santé et qui durent, résume-t-elle. C’est pour cela que je ne les pousse pas en production (8 000 kg). Je conserve un tiers de Normandes car elles conviennent bien à mon système et permettent une bonne valorisation de la viande. » Sophie n’imagine pas agrandir le troupeau, elle veut continuer de chercher à optimiser l’existant. « Je suis contente du chemin que j’ai parcouru. Il reste encore de nombreux chantiers à mener mais je ne peux pas courir dix lièvres à la fois. J’ai commencé par m’atteler à l’atelier lait, je m’intéresserai aux cultures plus tard… » Le potentiel des sols limoneux est élevé (100 q de blé et 17-18 tMS/ha) mais il y a des marges de progrès possibles au niveau des charges.
Essayer de réduire la pénibilité du travail
Malgré l’investissement dans une désileuse et les différents travaux réalisés depuis 2012, les conditions de travail restent un point faible de l’exploitation. « De mon point de vue, elles se sont drôlement améliorées par rapport à l’époque de mes parents, où l’on chargeait la ration dans les auges à la pelle. Mais quand des éleveurs visitent l’exploitation, ils sont souvent surpris par tout le travail physique à réaliser manuellement : pailler, racler, curer les vieux boxes non mécanisables des veaux et génisses… » Sophie n’est pas d’une nature à se plaindre. Optimiste et courageuse, elle se satisfait de ses conditions actuelles. Même de la salle de traite minimaliste : une 2x4 simple équipement, sans décrochage automatique. Les pulsations ont été changées et les griffes ont été remplacées par des plus légères, mais l’aire d’attente n’est pas assez grande et les quais ne sont pas adaptés à sa grande taille... Sophie sait qu’à terme, ce sera un investissement à faire, mais elle ne le considère pas comme urgent. « Je préfère travailler dans de moins bonnes conditions tant que je suis jeune et investir quand l’exploitation aura un matelas financier satisfaisant. Je ne veux surtout pas me sentir prise à la gorge par la banque. Je tiens à garder une marge de sécurité. »S’autoriser plus souvent à prendre le service de remplacement
Les journées sont bien remplies (8 h de travail d’astreinte, sans compter l’aide de Rémi). « Le week-end, on profite d’être à deux pour faire ce que je n’ai pas pu faire seule, comme l’écornage, déplacer des bêtes en bétaillère, etc. Par contre, on s’oblige à sortir tous les samedis soirs pour voir du monde ! »
Prévoyante, Sophie a souscrit un deuxième contrat d’assurance pour être mieux indemnisée si jamais elle devait être remplacée. « Il vaut mieux prévoir ce risque quand on travaille seul. » Elle part en vacances 4 à 5 jours par an. Sa résolution pour 2019 est de s’autoriser à prendre plus souvent le service de remplacement. « On a la chance d’avoir des personnes très compétentes, alors autant en profiter. Et même si j’adore mon quotidien, c’est vrai que ça fait du bien de souffler un peu parfois ! »
Chiffres clés
« Je commence à me passionner pour l’homéopathie »
Depuis trois ans, Sophie a démarré des formations sur les médecines complémentaires. Curieuse et très animalière dans l’âme, ces sujets lui tiennent à cœur. « Je trouve satisfaction à soigner les animaux le plus naturellement possible. Je m’oriente davantage vers l’homéopathie que vers l’aromathérapie qui nécessite plus de prudence dans l’utilisation, considère-t-elle. De plus, je connais bien mes bêtes, et à travers l’homéopathie, j’essaie de valoriser la relation avec mes animaux. »
Pour l’instant, l’éleveuse applique des recettes toutes faites mais elle s’intéresse de plus en plus à l’approche uniciste de l’homéopathie, c’est-à-dire un remède ciblé pour une vache donnée.
« J’obtiens de bons résultats sur mammites et panaris. Je traite les mammites avec fièvres avec Apis ou Belladonna en première intention. Cela nécessite une grande attention. Je pulvérise en spray trois à quatre fois en une heure. Quand ça marche, c’est fulgurant. La fièvre descend au bout d’une demi-heure. Si je n’observe aucun changement après deux heures, je traite à l’intramammaire. »
Pour les diarrhées alimentaires des veaux, Sophie utilise Nux vomica en complément d’une cuillère de vinaigre de cidre déposée dans le seau de lait. « Le lait pré-caillé est plus facile à digérer. J'ai recours aussi au vinaigre de cidre(1) pour les vaches qui accusent le coup après le vêlage. Je leur glisse, avec une seringue, 50 ml de vinaigre de cidre dans la gueule. Je renouvelle l’opération cinq jours de suite. Cela « rebooste » la vache ! Là aussi, c’est une astuce qui vient des groupes ! »
Avis d'expert : Virginie Lesage, de la chambre d’agriculture du Pas-de-Calais
« Motivée et à l’écoute, l’éleveuse va de l’avant. Elle est toujours prête à apprendre, à expérimenter de nouvelles solutions pour progresser. Et cela porte ses fruits. Malgré une conjoncture laitière oscillante, la marge brute de l’atelier lait s’est améliorée, notamment grâce à la maîtrise des charges. Le coût alimentaire des vaches est passé de 126 €/ 1000 l en 2012-2013 à 70 €/1 000 l en 2017-2018. Son troupeau mixte Prim’Holstein-Normande se démarque par sa rusticité. Couplé à une conduite rigoureuse, son système permet de faire vieillir les vaches. Le coût de renouvellement est bien maîtrisé avec la vente du sureffectif de génisses. Le coût alimentaire peut encore s’améliorer, en utilisant par exemple des matières premières.
En s’installant, Sophie a d’abord cherché à valoriser les moyens de production existants. Avec la souplesse financière qu’elle acquiert, elle pourra réaliser de petits investissements pour rendre son travail moins pénible (pailleuse, etc.), gagner du temps et réduire le recours à la main-d’œuvre bénévole. »