« Je délègue les cultures à une entreprise »
À l'EARL de la Courtais en Loire-Atlantique. Seul sur une exploitation de 137 ha avec 700 000 l de lait, Didier Sureau s'est spécialisé sur l'élevage et a créé un partenariat fort avec une entreprise.
À l'EARL de la Courtais en Loire-Atlantique. Seul sur une exploitation de 137 ha avec 700 000 l de lait, Didier Sureau s'est spécialisé sur l'élevage et a créé un partenariat fort avec une entreprise.
J'ai commencé à travailler à l'âge de 19 ans. Je faisais les 3x8, week-ends compris, dans une laiterie. Puis en 1998, je me suis posé la question de mon avenir professionnel. En accord avec ma femme, j'ai décidé de m'installer. C'était un retour aux sources pour moi », explique Didier Sureau. Bien calé dans le fauteuil de son bureau, il jette un coup d'œil furtif sur son robot de traite Lely tout en se repassant en accéléré le film de son histoire depuis son installation hors cadre familial en avril 2000. « Mes parents étaient agriculteurs, mais je cherchais une exploitation plus spécialisée en lait, de taille moyenne (50 ha), avec 250 000 litres de lait. » Il en trouvera finalement une de 80 ha avec 280 000 litres de lait. Le montant de la reprise est de 170 000 euros. À l'époque, avec trois enfants en bas âge et une épouse travaillant à l'extérieur, la question de l'équilibre entre vie privée et professionnelle trouve rapidement une solution dans la spécialisation sur l'élevage et la délégation des cultures. Ce choix s'imposera d'autant plus que Didier Sureau est bien plus passionné par l'élevage que le matériel. « Le niveau de décote appliqué sur le matériel et notamment sur les tracteurs récents de mon cédant, m'a confirmé l'intérêt de déléguer les cultures plutôt que d'investir dans du matériel. » Par ailleurs Didier Sureau est convaincu qu'il est difficile de gérer correctement deux ateliers quand on est seul sur une exploitation. « Cette stratégie m'a permis de me concentrer sur l'élevage. Je n'ai jamais eu de pénalités sur la qualité sanitaire du lait sauf la première année d'installation parce que j'avais récupéré un troupeau avec des taux cellulaires élevés. »
Construire un partenariat gagnant-gagnant
Son choix s'est porté sur la délégation à une entreprise. « La Cuma intégrale avec chauffeur était à l'époque à 18 km. L'entreprise peut faire tous les travaux avec du matériel performant. Mais pour que cela fonctionne bien, il faut construire un partenariat gagnant-gagnant et instaurer un climat de confiance. Je n'ai jamais chercher à faire marcher la concurrence. Aujourd'hui l'entrepreneur et ses salariés connaissent mes terres aussi bien que moi. C'est un atout pour la qualité du travail qu'ils réalisent.» Mais, pour Didier Sureau, déléguer ne signifie pas se débarrasser d'une activité. « J'aime organiser les chantiers. Et quand l'entreprise intervient, je reste en contact pour suivre le bon déroulement du chantier. » Une implication en phase avec la priorité mise sur l'optimisation de la qualité des fourrages récoltés. « Le maïs est ensilé à 50 cm de hauteur pour augmenter sa concentration en énergie. J'identifie toutes les balles d'enrubannage en fonction de la parcelle, de la qualité de l'herbe... pour réserver les meilleures aux vaches. » La composition de la VL 4 litres (jusqu'à 3 kg/j pour les vaches à 50 kg) est ajustée en fonction des analyses des fourrages... « Je préfère l'enrubannage à l'ensilage d'herbe parce que je peux mieux trier le fourrage distribué en fonction de sa qualité et récolter des petites quantités à un stade optimal. » Didier a cependant toujours gardé la main sur les traitements phytosanitaires et l'épandage d'engrais. « Dans ces domaines, il faut être prêt au bon moment et être très réactif. Et j'aime garder un œil sur l'évolution de mes cultures. »
Une aide précieuse de ses trois fils
Puis le choix du robot de traite va s'imposer compte tenu des objectifs de l'éleveur et de l'évolution de l'exploitation. Didier Sureau s'est en effet associé en Gaec avec un voisin en 2008. Le quota double quasiment (530 000 l de lait) tout comme l'effectif de vache (65 Prim'Holstein). La surface grimpe à 133 ha. À l'époque la salle de traite était à bout de course. Par ailleurs, Didier anticipe déjà le départ en retraite de son associé prévu en 2012. « Je voulais rester seul sur l'exploitation parce que j'aime prendre des décisions, gérer mon temps et récolter les fruits de mon travail. » Les associés ont investi 445 000 euros dans un robot de traite Lely et un bâtiment neuf dont l'ergonomie (deux box de vêlage et un box infirmerie facilement accessibles depuis le robot...) et des jeux de barrières... permettent de manipuler seul les animaux. Avec la reprise des parts sociales (40 000 euros), du matériel (39 000 euros) et des travaux de drainage (8 000 euros), « la deuxième » installation de Didier Sureau lui coûte 530 000 euros. La pression psychologique monte d'un cran d'autant que ces nouveaux investissements tombent en pleine crise du lait. Elle renforce cependant ses choix stratégiques. En 2012, il doit à nouveau investir 85 000 euros dans le rachat des parts sociales de son associé. Il se retrouve seul à la tête d'une exploitation de 133 ha avec 700 000 litres de lait. Pas tout à fait seul en réalité. « Je bénéficie parfois de l'aide précieuse de mes trois enfants », reconnaît l'éleveur dont une journée typique débute à 6 h du matin pour se terminer vers 19h00.
Un circuit calé pour optimiser le temps de travail
Tout est calculé pour optimiser le temps de travail. « J'ai un circuit prédéterminé pour ne pas perdre de temps. » La journée débute par un bilan des alertes sur le logiciel du robot, puis le passage des vaches en retard de traite, l'alimentation en deux fois (¼ de la ration le matin et le reste le soir).... « Je n'ai pas de DAL parce que je préfère soigner les veaux. Ce sont des animaux fragiles à la naissance. Je vais les voir trois fois par jour. » En saison de pâturage, il intervient également trois fois par jour pour faire sortir les vaches si nécessaire ou aller en chercher dans la pâture. L'éleveur ne prend qu'une semaine de congés par an. « Mais quand j'ai fini de travailler, je passe facilement à autre chose. » Reste que le système est à la limite de saturation. Avec des niveaux d'annuités très élevés (125 euros/1 000 l en 2015), il est très exposé à la conjoncture. La perspective d'installation de deux de ses fils et leur aide est certainement un moyen de faire baisser la pression psychologique tout comme le sont son caractère entrepreneur, ouvert et sa maîtrise technique.
« La délégation est économiquement intéressante »
« L'éleveur a réussi a doublé le volume de lait produit en 12 ans et donc la productivité de son travail. La délégation des cultures est une bonne stratégie. Elle est non pénalisante d'un point de vue économique. Dans cette exploitation l'entreprise sème par exemple 30 ha de maïs en 3 jours et les récolte en une journée. Pendant que l'entreprise ensile, l'éleveur soigne ses génisses, ses veaux, paille les logettes, prend des échantillons pour les analyses du fourrage... tout en gardant un œil sur le chantier. Le coût total d'un hectare de maïs avec délégation (hors engrais et traitements) est de 775 euros. Sans délégation, avec un coût horaire à 19 euros/heure, il serait de 770 euros. Mais compte tenu du niveau d'endettement (87 000 euros d'annuités pour un EBE de 100 000 euros soit 87 % en 2015), Didier Sureau n'a pas le droit à l'erreur. D'autant qu'il lui reste très peu de marges de progrès à l'exception du coût alimentaire. Grâce à l'amélioration de la qualité des fourrages, nous espérons baisser celui des concentrés de 114 euros/1000 l à 80 euros/1000l en 2016. Et un étalement du remboursement des emprunts est en cours de réalisation pour passer le cap de 2016-2017. »
Avis d'expert : Jean-Claude Huchon