En Argentine, une hausse de collecte en trompe l'oeil
Le dynamisme mou de la collecte de lait contraste avec le développement spectaculaire de la filière grains, le volume des récoltes de grains (soja, maïs, blé, tournesol) en Argentine ayant quasi quadruplé en 20 ans, de 35 millions de tonnes (Mt) à 130 Mt lors de la dernière campagne. Pire, selon Raúl Cata, de la Société rurale argentine, qui porte la voix des grands éleveurs laitiers du pays, les hausses de production laitières récentes seraient un trompe l’œil. « La hausse de 4% de notre collecte de lait entre 2020 et 2021 est due à la fermeture des pizzerias pendant la pandémie de Covid-19 : l’effondrement de ce débouché massif de mozzarella (souvent vendu au noir, NDLR) a gonflé les stocks de lait déclarés », assure-t-il. Le phénomène expliquerait aussi, en partie, la hausse interannuelle de 7% intervenue entre 2019 et 2020.
Les statistiques de la production laitière argentine sont à prendre avec des pincettes. Le pays produisait 10,3 milliards de litres (Mdl) en 1999 et ce chiffre serait passé à 11,5 Mdl en 2021, selon le ministère de l'Agriculture argentin. Le début de l'année 2022 connaîtrait une hausse minime. Minime, pour trois raisons énumérées par Raúl Cata : « Un épisode de sécheresse subi lors de cet été austral a réduit l’offre d’ensilage de maïs ; et puis, l’explosion des cours du maïs et du soja a une incidence directe sur la valeur des baux ruraux renégociée chaque année ; enfin, la menace d’une suspension de nos exportations laitières plane toujours. Le gouvernement se dit en guerre contre l’inflation des prix alimentaires et il taxe déjà les poudres de lait à la douane, à hauteur de 9% de leur valeur FOB (1), et les fromages à 4,5%. »
Pourtant, en vingt ans, l’Argentine a consolidé sa place d’exportateur de poudres et surtout, son marché intérieur a grossi, avec une population argentine qui est passée de 35 à 45 millions d’habitants, soit une demande de 2,3 Mdl/an ou une consommation moyenne de 230 l/an/hab - à titre de comparaison, la consommation de l’UE à 27 est de 277 kg eq. Lait/habitant. Mais ces débouchés n'ont pas dopé la production laitière. Les exploitations souffrent d'un prix du lait insuffisant au regard de leurs charges. Le coopératisme a perdu une grande partie de son influence passée sur la formation des prix. Le pays a perdu environ 20 000 élevages depuis la fin des années 1990. Aujourd’hui, l'Argentine n’en compte plus que 10 000 environ.
« Les investissements avaient été mis en pause »
L'élevage XXL l’estancia San Jacinto, située à Mercedes, à 60 km de Buenos Aires, illustre la réalité des grandes exploitations laitières argentines. Sur cette exploitation de 7 300 hectares, il y avait, jusque vers l’année 2010, six salles de traite et 1 500 vaches laitières ; il ne reste à présent plus que deux ateliers et 850 holstein qui assurent une production similaire à celle de leurs aïeules, soit 21 000 l/j en creux de saison, en été et hiver austral, et de 25 000 à 28 000 l/j en automne et au printemps, renseigne le gérant de l’élevage, Juan Bereterbide qui précise que 1 000 ha sont actuellement utilisés pour le pôle lait.
L’état corporel des laitières de cet élevage, classé « top » là-bas, est passable, comme l’est celui de la salle de traite de 2x16 postes, au sol craquelé et dont l’aire d’attente, sauf le couloir d’entrée, est en terre. Le dernier investissement réalisé a été dans des trayeuses automatiques. « Cela fait deux, trois ans que nous avons recommencé à parier sur le lait », témoigne Juan Bereterbide.