[Élevage laitier] « Notre exploitation a des atouts pour attirer des jeunes »
Au Gaec Philippeau, dans le Maine-et-Loire, le chiffre trois s’applique au nombre d’associés, d’ateliers, de semaines de congés et de bonnes raisons de limiter l’agrandissement.
Au Gaec Philippeau, dans le Maine-et-Loire, le chiffre trois s’applique au nombre d’associés, d’ateliers, de semaines de congés et de bonnes raisons de limiter l’agrandissement.
La famille Philippeau est installée au lieu-dit La Grande Cottinaie, à Saint-Gemmes-d’Andigné, depuis quatre générations. Dans ce laps de temps, l’exploitation a bien sûr connu une belle évolution. Malgré l’accélération des restructurations, Vincent (47 ans) et son frère Alain (58 ans) ont fait en sorte de maîtriser son développement pour des raisons personnelles – ne pas dégrader les conditions de vie et de travail – mais aussi économiques et de transmissibilité de leur exploitation. « Notre objectif n’est pas de nous agrandir à tout prix mais de conserver une entreprise à taille humaine et de pouvoir la transmettre dans de bonnes conditions à des jeunes », souligne Vincent Philippeau.
La question du renouvellement de génération va se poser d’ici deux ans avec le départ en retraite d’Alain. Une chose est sûre : le repreneur ne sera pas un membre de la famille. « Nous n’avons pas encore de pistes, mais nous avons commencé à en parler autour de nous. Notre exploitation est inscrite au répertoire départ-installation. Nous recherchons un jeune qui ait l’âme d’un éleveur car c’est l’activité qui sort le plus de résultat dans notre exploitation. »
Deux frères et un associé non issu du milieu agricole
Au rythme où vont les choses, la ferme familiale ne pourrait être transmise progressivement qu’à des tiers. Cela a commencé en 2015, avec l’arrivée de François Giard, que rien ne prédestinait à devenir chef d’exploitation. « J’étais mécanicien moto. Mais il y avait de moins en moins d’emplois dans ce domaine. Mon autre passion, c’était le cheval. Le propriétaire du centre équestre où je prenais des cours avait également une exploitation laitière. Cela m’a vraiment plu. » François Giard s’est alors inscrit en Bac pro dans une maison familiale. Dans le cadre de sa formation, il a réalisé un stage au Gaec Philippeau. Après deux années de travail à l’extérieur, il a rejoint ses anciens maîtres de stage.
La gestion prudente de l’évolution de l’exploitation a prévalu lors de son projet d’installation. L’opportunité de reprendre une ferme de 50 hectares avec 400 000 litres de lait n’a volontairement pas abouti. « Le montant de la reprise et les travaux que nous devions faire sur notre exploitation nous ont incités à ne pas retenir ce projet. »
Un week-end d’astreinte sur trois
Les associés ont préféré patienter, d’autant que Lactalis avait attribué 200 000 litres de lait à François et que le Gaec venait de reprendre 9 hectares touchant leur exploitation. La SAU frôle alors la barre des 140 hectares. Puis deux ans plus tard, un voisin leur propose de reprendre 50 hectares, sans lait. Cette fois, ils acceptent. « Cette reprise a conforté l’installation de François pour un montant bien moins élevé », justifie Vincent Philippeau.
Aujourd’hui, le trio est à la tête d’une exploitation de 188 hectares, d’un troupeau de 77 Holstein et d’un atelier de porcs à l’engraissement (927 places). Cette taille de structure leur paraît raisonnable pour concilier charge de travail et revenu. Côté organisation, Vincent et François (30 ans) sont responsables du troupeau laitier et Alain de l’atelier porcs charcutiers et du suivi des cultures.
Leur polyvalence permet de prendre en charge un week-end d’astreinte à tour de rôle du samedi matin jusqu’au dimanche soir. « L’automatisation de l’alimentation des porcs charcutiers, réalisée en 2012, limite notre travail à de la surveillance le week-end. Au total, le travail d’astreinte prend environ 4h30 par jour. » Chacun prend trois semaines de congés par an dont deux semaines en été. « Avec 100 hectares à battre, on évite de partir en juillet », précise Vincent Philippeau.
De l’autonomie grâce au pâturage, pois et triticale
Dans cette partie du Segréen (nord-ouest du Maine-et-Loire), le bocage est encore assez présent. Le secteur présente un atout de taille pour le pâturage. « Nous avons la chance d’avoir des terres profondes. Dès qu’il tombe 20 mm de pluie ça reverdit. » Ayant mis la priorité sur l’autonomie de leur système, les éleveurs sont convaincus par l’intérêt de préserver un système bocager avec une valorisation maximale du pâturage, même si depuis quelques années, avec les sécheresses à répétition, cela s’avère plus compliqué. « La durée de pâturage a tendance à diminuer. »
François Giard a développé le pâturage tournant dynamique lors de son arrivée. « Avant, nous faisions du pâturage tournant avec des paddocks de deux hectares par jour. Depuis, la taille des paddocks a été réduite à un hectare. » Désormais, les vaches tournent sur 21 hectares divisés en 18 paddocks (32 ares/VL au printemps). Le retour sur un paddock est rapide (15 jours au printemps). Les prairies se composent d’un mélange de RGA diploïde et tétraploïde, et d’un trèfle blanc nain.
Fermer le silo de maïs pendant deux mois
En mars, le troupeau ne sort que l’après-midi. Puis, à partir de la mi-avril, les vaches sortent toute la journée, sauf l’été en cas de grosses chaleurs. « Notre objectif est de ne fermer le silo de maïs que si nous pensons pouvoir tenir deux mois. Malheureusement, depuis trois ans, suite à l’agrandissement du troupeau et au contexte climatique, cela n’a pas été possible. » Le troupeau reçoit donc un complément d’au minimum 3 à 4 kg MS/VL/j de maïs.
Les cultures de triticale et de pois fourrager de printemps s’inscrivent aussi dans la recherche d’un maximum d’autonomie. Le triticale est autoconsommé à hauteur de 30 tonnes par an. « Nous préférons le triticale à l’orge parce qu’il produit plus de paille, et de meilleure qualité. Elle est plus facile à broyer et fait moins de poussière. En revanche, le triticale est plus acidogène », explique Vincent Philippeau.
En 2019, les caprices du climat ont cependant modifié les plans. La météo ayant empêché de semer du triticale, il a été remplacé dans la ration des vaches par de l’orge. « On avait 50 hectares de blé, mais notre coopérative a insisté pour qu’on le vende et nous a proposé de l’orge en échange. » En 2020, il en a été semé 7 hectares pour garantir les 300 quintaux nécessaires.
Les achats de tourteau de colza reportés
Le pois permet de limiter les achats de tourteau de colza et de tanné. « Le pois a des rendements plus réguliers que la féverole ou le lupin, et c’est un très bon précédent à blé », argumente Alain Philippeau. L’envolée des cours depuis quelques semaines confortent les éleveurs dans leur stratégie. « D’habitude, nous achetons le tourteau de colza par camion de 30 tonnes via un courtier privé. L’année dernière, nous avons acheté deux camions à 247 euros par tonne. En ce moment, le tourteau de colza est à 310 euros par tonne. Comme il nous en reste assez pour faire la jonction avec la mise à l’herbe, nous n'en avons acheté que 10 tonnes. J’espère que d’ici là les cours auront baissé », détaille François Giard, le responsable des achats d’aliments.
Le pois et le triticale entrent dans la composition de la ration hivernale à hauteur de 1 kg chacun. Équilibrée à 29 kg, la ration se compose également de deux tiers d’ensilage de maïs et un tiers d’ensilage ou d’enrubannage d’herbe, 2 à 3 kg MS de betteraves d’octobre à mi-mars, complétés par 3,5 kg de tourteau de colza, 1 kg de correcteur et 350 g de minéral.
Du lait, des taux et de la morphologie
Pour produire la référence de 600 000 litres de lait sans devoir investir dans de nouveaux bâtiments, les associés font en sorte de maintenir le niveau d’étable autour de 8 500 litres de lait par vache présente. Cette exigence a amené Vincent Philippeau à modifier l’ordre de ses priorités dans les critères de sélection des taureaux Holstein, sans toutefois révolutionner ses choix. « Dans le cadre de mon projet d’installation, j’ai fait un stage de huit mois au Québec. On faisait beaucoup de concours. Mon maître de stage me disait : 'quand tu as la morphologie, tu peux faire ce que tu veux avec tes vaches' », se remémore-t-il. « Quand je suis revenu, j’ai beaucoup sélectionné sur la morphologie. J’ai acheté des doses de taureaux canadiens et nord-américains. »
Il y a trois ans environ, les priorités étaient à la morphologie, puis les taux et enfin le lait. Désormais, le trio de tête se compose d’abord du lait, puis des taux et de la morphologie. « L’excès de gabarit peut compliquer les choses dans les logettes. Je n’ai pas la preuve que les plus petites vaches de notre troupeau feront plus de lait dans leur carrière mais elles se sentent mieux dans les logettes », indique Vincent Philippeau avant d’ajouter : « Le fait qu’elles sortent de mars à novembre limite toutefois les problèmes de boiteries. »
Pas de génotypage mais des semences sexées
Le Gaec n’a pas recours au génotypage pour sélectionner les génisses retenues pour le renouvellement. En revanche, pour faire face à un excès de naissances de veaux mâles, depuis deux ans, les génisses sont quasiment toutes inséminées avec des doses de semences sexées. Une petite moitié des vaches est croisée avec du Blanc bleu belge (10 à 20 € la dose de semence). « Maintenant que nous avons assez de femelles, nous allons faire un peu plus de croisement sur les vaches. »
Le Gaec est en contrat avec Evolution pour les inséminations et les échographies. En revanche, le suivi repro est assuré par des vétérinaires. « Nous avons une très bonne équipe de vétérinaires. Nous avons décidé de faire appel à eux il y a deux ans parce que les performances de repro de notre troupeau se dégradent pour des raisons que nous avons encore du mal à expliquer. Un vétérinaire passe tous les six semaines. L’avantage est qu’en cas de besoin, sa visite ne se limite pas qu’à la reproduction. »
Des arguments pour répondre aux attentes sociétales
Le nombre de paillettes utilisées pour obtenir une gestation s’élevait à 3,3 en 2019 pour les vaches. Mais il a baissé à 2,5 en 2020 (1,56 pour les génisses). L’autonomie pourrait être poussée encore plus loin si François Giard inséminait lui-même. Y étant plutôt favorable, il ne lui reste plus qu’à convaincre Vincent Philippeau.
Les trois associés ont réussi à trouver une organisation où chacun à ses responsabilités et s’épanouit dans son travail. En plus du remplacement d’Alain, le prochain enjeu pour le Gaec sera de répondre encore plus aux attentes sociétales. Sans être en bio, les associés estiment y répondre en grande partie via le pâturage, la plantation de haies, la production de porcs sans antibiotiques… Faire un pas de plus, pourquoi pas. « Nous faisons un beau métier, mais nous aimerions être mieux rémunérés et bénéficier d’une meilleure reconnaissance sociétale. »
À savoir
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Chiffres clés
Guillaume Chevalier, chambre d’agriculture du Maine-et-Loire
« Rigueur et complémentarité »
La situation financière de l’entreprise est saine. Les capitaux propres représentent 56 % du passif. Les dettes fournisseurs ne sont jamais supérieures aux créances des clients. Ils ont peu recours aux prêts à court terme. La trésorerie disponible se situe entre 50 000 et 100 000 euros. Cela permet de faire face à des aléas conjoncturels et climatiques et d’être indépendant des fournisseurs et partenaires financiers. Les installations (bâtiment, salle de traite) sont simples, fonctionnelles et très bien entretenues. Elles permettent d’apporter du confort aux animaux et de rationaliser le travail. Idem pour le parc matériel.
Le Gaec pourrait encore améliorer son autonomie en augmentant la part de pâturage. Le parcellaire est adapté malgré une petite route à traverser. Cela permettrait également de répondre encore plus aux attentes sociétales et aux enjeux climatiques. »