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« Du tout herbe au bio, il n’y a plus qu’un pas »

Au Gaec de la Grosse Haie, en Meurthe-et-Moselle, les associés ont bâti un système tout herbe, autonome et économe, qui résiste bien aux aléas année après année. À la clé, une efficacité économique redoutable et une qualité de vie appréciable.

« Nous ne voulons pas nous prendre la tête, annonce d’emblée Frédéric Tijs, en Gaec avec son fils Damien, installés à Mance dans le Nord de la Meurthe-et-Moselle. Des vaches rustiques à 5 200 litres qui font quatre à cinq lactations en moyenne, des vêlages en fin d’été, des génisses en vêlage tardif, une ration à base d‘ensilage d’herbe et du pâturage en été. » Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les résultats économiques sont au rendez-vous sur cette exploitation en système tout herbe. Quelle que soit la conjoncture, le revenu dégagé est relativement stable et reste suffisant pour ne pas dégrader la trésorerie. Depuis 1990, le ratio excédent brut d’exploitation/produits de l’exploitation oscille entre 42 et 56 %, avec une moyenne à 46 % !

Pour la famille Tijs, l’aventure a démarré en 1962 avec l’installation du père de Frédéric, en provenance des Pays-Bas. La ferme comptait alors 60 hectares et 30 vaches. « Mon oncle l’a rejoint en 1978 en reprenant une quarantaine d’hectares, raconte Frédéric. Dix ans plus tard, mon frère Alphonse a remplacé mon oncle qui partait en retraite. Je me suis installé en 1993, et après le départ de mon père, j’ai été en Gaec pendant vingt ans avec mon frère. Depuis 2016, c’est mon fils Damien qui le remplace dans la structure. »

Des terres très argileuses à faible potentiel

Avec un parcellaire de 172 hectares entièrement centré autour de la ferme, l’exploitation dispose d’un atout de poids. « Cela n’a pas toujours été le cas, avance Frédéric. Suite aux échanges de parcelles et au remembrement opéré sur la commune en 1984, toutes nos terres se sont retrouvées du même côté de la route. » Cette opération a marqué un tournant stratégique. À partir de ce moment-là, les éleveurs ont décidé d’arrêter les cultures sur les terres labourables et de basculer l’intégralité des surfaces en herbe. Il faut dire qu’avec une majorité des sols constitués de plus de 60 % d’argile, les rendements en blé et en maïs ensilage n’étaient pas faramineux (8-9 tMS/ha). L’exploitation fait néanmoins figure d’exception dans le secteur, où la tendance est plutôt à la polyculture-élevage avec des vaches à 9 000-10 000 kg conduites en zéro pâturage ! « Il y a vingt ans, notre système herbager au cœur d’une zone céréalière dérangeait clairement, souligne Frédéric. Aujourd’hui, les mentalités évoluent, nos résultats suscitent l’attention d’autres éleveurs, qui voient l’intérêt d’un système tel que le nôtre sur le plan économique mais aussi sur le travail. »

La repro est basée sur la monte naturelle

À l’époque, le choix de la race Pie rouge des plaines fut également déterminant. « Mon père appréciait cette race qu’il connaissait bien dans sa région d’origine. Nous n’avons jamais songé à en changer depuis, indiquent les éleveurs. La Pie rouge est une vache robuste et économique, qui valorise bien le fourrage grossier. Elle est toujours en état. Il faut faire attention aux excès d’énergie qui profitent à la viande, et peu au lait. »

Comme il n’était pas facile d’avoir des doses de semences Pie rouge, le Gaec a opté depuis ses débuts pour la monte naturelle. « Une fois par an, nous achetons à distance un taureau auprès d’un réseau d’éleveurs hollandais, décrit Frédéric. Le transport nous revient entre 500 et 600 euros. Les taureaux arrivent à 1 an, ils sont de service à partir de 1 an et demi, et nous les gardons jusqu’à 4-5 ans. »  Il y a trois taureaux sur l’élevage : deux avec les génisses, et un dans un box à part à côté des laitières. « Auparavant, on mettait le taureau une heure par jour dans le troupeau. Maintenant, on préfère détecter les chaleurs (la proximité du taureau facilite leur expression) et on amène la vache dans le box du taureau par un jeu de barrières. Mais on ne rentre jamais dedans, même pour pailler, et on limite à une saillie par jour. »

Les vêlages sont groupés sur l’automne

 
À 1 mois, les veaux passent à un repas par jour (4 l de lait entier), en six repas par semaine. Les éleveurs apprécient le Milkbar pour le gain de temps et les veaux salivent plus. © E. Bignon

Les éleveurs sont satisfaits de ce dispositif. Les dates des saillies sont enregistrées sur une appli et les gestations confirmées par échographie toutes les six semaines (7 €/VL). L’intervalle vêlage-vêlage est de 385 jours. Au-delà de trois à quatre saillies, si une vache n’est pas pleine, elle est réformée. La fertilité est la première cause de réforme, avant la qualité du lait. La repro requiert une conduite assez stricte pour réussir à maintenir les vêlages groupés sur quatre mois, du 15 août au 15 décembre.  Cela commence par une bonne gestion de la repro des génisses. Le Gaec élève 35 femelles par an pour le renouvellement, conduites en vêlage 3 ans. D’une part, car il y a beaucoup d’herbe à valoriser, et d’autre part car cela permet de nourrir les génisses de deuxième et troisième année avec un régime à base d’ensilage d’herbe ou de foin, sans aucun concentré.  Elles sont mises au taureau entre 25 et 29 mois. « Sur la campagne précédente, nous avons avancé les vêlages à 30 mois car les quinze plus âgées commençaient à être presque trop en état et nous craignions de manquer un peu de fourrages, dépeint Damien. Mais ce n’était pas une bonne idée car les vêlages sont intervenus en avril-mai, et nous avons eu des pics de lactation au moment où il n’y avait plus d’herbe dans les parcs. » De la mi-juin et jusqu’à la mi-août, il y a peu d’herbe. C’est pourquoi les éleveurs essaient d’avoir un maximum de vaches taries à cette période. Celles-ci sont cantonnées sur une parcelle et affouragées en paille et foin.

Privilégier un ensilage d’herbe de qualité

En deuxième coupe, le Gaec a récolté 3 tMS/ha. © E. Bignon

« Dans notre système, la réussite des chantiers d’ensilage d’herbe marque une étape clé, insiste Frédéric. C’est un peu notre moisson à nous ! Il faut que nous puissions rapidement récolter une grosse surface en herbe dès qu’une fenêtre météo se présente, à partir de fin avril. Pour produire du lait, nous visons un ensilage d’excellente qualité, récolté au stade optimal. Nous n’hésitons pas à récolter tôt même s’il n’y a pas un gros rendement. » En 2019, le Gaec a récolté 113 hectares en première coupe (1er, 15 et 21 mai). Certes le rendement s’est limité à 2,2 tMS/ha mais la qualité est là (17,5 % MAT, 0,93 UFL). Pour récolter de telles surfaces, les éleveurs font appel depuis deux ans à une entreprise équipée d’une faucheuse de 10 mètres. « Il y a du débit et on ne perd pas de temps grâce au parcellaire groupé. Si l’ETA attaque le chantier à 11 h le lundi, à 16 h, 40 hectares sont au sol. On passe dans la foulée notre faneuse de 13 mètres, et le mardi midi, avec notre andaineur double-toupie de 8 mètres de large. L’ETA ensile le mercredi et à 17 h, les 40 hectares sont dans le silo. » Le tassage est soigné. Le Gaec recourt à un épandeur à ensilage (Reck) et à un tracteur à roues fines pour accentuer la pression. Le sel tient lieu de conservateur. « Hormis l’année dernière où l’ensilage n’a pas été suffisamment préfané, nous avons peu de problème de butyriques car nous coupons assez haut (7-8 cm). »

Le pâturage est limitant au printemps

Fermé début mai, le silo d’herbe est réouvert généralement début septembre, un mois après les premiers vêlages, sachant que de l’enrubanné est distribué à partir du 1er août. L’hiver, les vaches reçoivent une ration mélangée à base d’ensilage d’herbe, 1 kg de correcteur, 2 kg de farine de maïs. « L’année dernière, comme on manquait de fourrages, on a apporté en plus 2,5 kg MS de drêches de blé et 1,5 kg MS de corn gluten feed. » La mise à l’herbe intervient généralement la première décade d‘avril. Malgré l’importante disponibilité en surface autour du bâtiment, les vaches ne peuvent malheureusement pas être conduites en pâturage intégral au printemps. « Avec nos terres argileuses, les 120 vaches dégraderaient trop les parcelles. Nous avons fait le choix de les laisser sur les 10 hectares les plus portants et de les complémenter avec 11 kg d’ensilage d’herbe et 1 à 2 kg de farine (jusqu’au 15/06). » Mais, à l’avenir, les exploitants envisagent de créer 500 mètres de chemin d’accès au pâturage de 3,50 mètres de large pour atteindre d’autres parcelles portantes et ainsi augmenter la surface pâturable à 45 hectares au printemps. « Aujourd’hui, le pâturage s’effectue en full-grass, mais je me forme à la pousse de l’herbe pour développer le pâturage tournant dynamique », poursuit Damien.

Un projet de conversion au bio est en cours

La stabulation compte 126 logettes et 80 places à l’auge. Elle a été autoconstruite en grande partie en 1992. © E. Bignon

Cette réflexion fait écho au projet du Gaec de passer au bio. « Nous sommes en période de conversion depuis le 1er mai 2019, avancent les éleveurs, qui ont étudié l’impact technique et économique de la conversion. Il n’y aura pas d’augmentation significative de l’EBE, nous visons plutôt un maintien du revenu en réduisant la production autour de 400 000 litres avec un même nombre de vaches. » Pour la complémentation, ils n’envisagent pas de recourir à des concentrés bio du commerce mais ils pensent plutôt s’approvisionner auprès d’un voisin céréalier bio. « Nous distribuerons un mélange de céréales-protéagineux sur les deux ou trois premiers mois de lactation pour exprimer le pic. Le développement du pâturage permettra aussi de limiter les quantités de concentrés. » Par ailleurs, l’unité de méthanisation fournira suffisamment de digestat pour qu’il ne soit plus nécessaire d’apporter d’engrais. Le Gaec quittera Lactalis pour signer chez Biolait. Un autre projet – et non des moindre — est aussi dans les cartons : la mise en place d’un atelier de transformation du lait. « Mon amie suit actuellement une formation, précise Damien, enthousiaste. Nous voulons commercialiser une partie de la production en vente directe. Personne ne le fait dans le secteur et il y a des opportunités à saisir, notamment avec la proximité du Luxembourg, à seulement 30 km. »

Chiffres clés

SAU 172 ha de prairies permanentes
Cheptel 120 Pie rouge à 4 800 l/VL
Production 585 000 l
Chargement 1,1 UGB/ha
Main-d’œuvre 2,3 UMO dont un apprenti.

Avis d’expert : Jean-Marc Zsitko, de la chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle

 

 
Jean-Marc Zsitko, de la chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle. © E. Bignon

« Une exploitation efficace et résiliente »

« Les éleveurs ont su s'adapter aux faibles potentiels des sols de leur exploitation en s'orientant vers un système tout herbe en race mixte. Ils ont privilégié la maîtrise des coûts plutôt que la recherche de productivité, ce qui leur a permis d'obtenir de très bons résultats économiques, comme en témoigne le niveau d’EBE/produits de 45 %, contre 37 % pour le groupe de référence. L’exploitation subit peu l’augmentation du prix des intrants. C'est tout naturellement qu'ils s'orientent aujourd'hui vers un système en agriculture biologique. Avec l'absence de cultures, leur parc matériel est réduit et ils ont opté pour les prestations extérieures pour les travaux de récolte des fourrages et d'épandage du fumier afin d'éviter de lourds investissements. Par contre, ils n'ont pas hésité à investir dans une bonne salle de traite et une aire d'attente adaptée afin de soulager l'astreinte de la traite, travail le plus important de l'exploitation. Les deux principaux points à améliorer sont la qualité du lait et la quantité de concentrés au regard de la productivité laitière. »

Valoriser le digestat d’un méthaniseur collectif

Le méthaniseur, alimenté pour moitié de seigle et de fumiers, sera mis en service en mai. Raccordé au réseau, il fournira du biogaz à la municipalité de Briey. © E. Bignon

Le Gaec participe à Méthaniseur 1200, un projet d’envergure avec la construction à 2 km de la ferme d’un méthaniseur avec injection directe de gaz dans le réseau.

Chiffré à 4,5 millions d’euros, le projet Méthaniseur 1200 est porté par cinq fermes réunies au sein de la société Valbioénergie. Pour le Gaec, l’objectif est à la fois de gagner de l’argent avec le gaz (avec un retour sur investissement de 9 ans), mais aussi de substituer le digestat à l’azote minéral (50 UN/ha). « Demain, nous pourrons épandre le digestat au printemps, au plus près des besoins des plantes. Aujourd’hui, avec le fumier, nous sommes contraints d’épandre à l’automne pour éviter les résidus de paille dans l’ensilage », indique Frédéric.

Les exploitants ont aussi créé un GIEE, groupement d’intérêt économique et environnemental, pour créer des références, étudier le pouvoir méthanogène des couverts, etc.

« Quand on monte un tel projet, la diplomatie est importante, insistent les éleveurs. Nous avons associé les élus au projet en leur faisant visiter des installations de ce type, et organisé une réunion publique, pour expliquer notre démarche à la population. »

 

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