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Cash Investigation : les pseudos révélations d’Elise Lucet sur l'agriculture biologique

L’émission "Alerte sur le bio!" diffusée le 6 juin sur France 2 s’est attaquée au bio à travers l’angle des pesticides en ciblant notamment le Spinosad et Bacillus thuringiensis. Des « révélations » qui n’en sont pas vraiment et sur lesquelles les professionnels de l’agriculture bio n’ont rien à cacher.

Philippe Camburet, président de la fédération nationale des agriculteurs bios, face à Elise Lucet dans l'émission Cash Investigation.
Philippe Camburet, président de la fédération nationale des agriculteurs bios, a accepté de faire face à Elise Lucet dans l'émission Cash Investigation.
© France Télévision

 

« Alerte sur le bio ! » : le numéro de Cash Investigation présenté par Elise Lucet et diffusé hier soir sur France 2 a réuni 1,2 million de téléspectateurs soit trois fois moins que la finale de Koh-Lanta.

Cette audience relativement faible pour l’émission est plutôt une bonne nouvelle pour le secteur bio, car la dramatisation des propos et des pseudo-révélations distillées par l’émission pouvaient donner l’image d’une dénonciation à charge des pratiques des agriculteurs bio. Le nombre réduit de téléspectateurs devrait limiter les impacts négatifs sur la filière bio, déjà en difficulté avec le contexte inflationniste, se rassure-t-on à la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab). 

C’est une tempête dans un verre d’eau

L’émission et le débat qui l’a suivie auront certainement appris peu de choses aux téléspectateurs éclairés. « Quand on fait le bilan, les doutes sont déminés. C’est une tempête dans un verre d’eau. Les gens savent très bien qu’il y a toujours moyen de chercher la petite bête », commente Philippe Camburet, président de la Fnab, qui a accepté le face à face avec la pugnace Elise Lucet. « J’espère qu’on a eu affaire à un public averti », poursuit-il toutefois, soulignant que le public peu informé sur le bio « risque d’être encore plus perdu ».

 


Le bio n’interdit pas tous les pesticides

Avec son habituelle scénarisation et sa musique d’ambiance, l’émission de France 2 visait-elle à angoisser et à créer la confusion, laissant supposer que la filière bio cherche à cacher des choses ?

Dès le début de l’enquête, le journaliste François Cardona joue au candide en se demandant s’il fait bien de donner à « son bébé » des fruits et légumes bios, censés être meilleurs pour la santé, parce que débarrassés de tout pesticide, et donc un peu plus chers. Et d’enchainer par un micro-trottoir sur le marché de Sceaux où des gens déclarent que « bio signifie sans pesticides ». Cash Investigation semble alors révéler que l’agriculture biologique n’interdit pas tous les pesticides, insecticides ou fongicides mais uniquement ceux de synthèse. Mais pourquoi aborder le sujet en instillant le soupçon sur la sincérité de la filière, alors qu’il s’agit là d’un principe fondateur que les professionnels de l’agriculture bio ne cachent pas ? Sur son site la Fnab répond par exemple explicitement à la question « pour de très nombreux consommateurs, bio signifie " zéro pesticides " : est-ce vraiment le cas ? » .

392 produits commercialisés sont autorisés dans le bio selon la liste des intrants certifiés par l’Institut technique de l’agriculture biologique et disponible sur le site du ministère de l’Agriculture. Une liste très longue selon la mise en scène de Cash Investigation qui déroule une immense feuille de papier en omettant de dire qu’il ne s’agit pas de la liste des produits mais des usages des différents produits. Le cadre réglementaire de chaque produit peut en effet être différent selon les cultures sur lesquelles il est appliqué. Effet dramatique garanti !

Le cahier des charges bio autorise beaucoup moins de substances que le conventionnel

Sur Linkedin, Charles Perrin, délégué général chez Synabio, reproche aussi à l’émission d’omettre la comparaison avec les pratiques de l’agriculture conventionnelle : « le cahier des charges bio autorise beaucoup moins de substances que le conventionnel : 57 contre 455 au niveau européen », soit huit fois moins, pointe-t-il.

La France est même plus restrictive encore, avec seulement 33 substances autorisées en bio, rappelle Sophia Majnoni, déléguée générale de la Fnab, lors du débat d’après émission sur France 2. Des substances qui constituent « la trousse de secours » des producteurs, à utiliser en dernier recours, en cas d’attaque de ravageurs.

Lire aussi : Quels sont les chiffres de l’agriculture bio en 2022 ?
 

Soupçons de toxicité sur les Bt, Spinosad et Pyrèthre

Deuxième « révélation » de Cash Investigation : les produits « naturels » ne sont pas forcément inoffensifs.

Cash Investigation se focalise sur trois substances : le Bacillus thuringiensis, dit Bt, le Spinosad et le Pyrèthre (utilisé plutôt en jardinerie).

Interrogés par le journaliste, Marcel Amichot, chargé de recherche à l’Inrae Sophia Antipolis et Raphaël Rousset au CNRS font part de leurs doutes sur une éventuelle toxicité du Bt (l’Anses s’est penché en 2013 sur son rôle dans des toxiinfections alimentaires), avant de rappeler que cette substance reste à la surface des fruits et légumes, contrairement aux pesticides de synthèse, et qu’il suffit de bien les laver pour éviter tout risque.

Il suffit de bien laver les fruits et légumes

L’enquête de Cash Investigation se penche ensuite sur le Spinosad. Cet insecticide lancé par Dow Chemical a un effet neurotoxique connu sur les abeilles (Cash Investigation cite une étude publiée par Agroscope, Institut public suisse de recherche agronomique) et dont l’Efsa soupçonne un rôle de perturbateur endocrinien pour l’homme. Ses limites maximales de résidus (LMR) sur les cultures de fruits et légumes ont été abaissées par la Commission européenne en 2022.

 


Des alternatives sont recherchées

« Ce produit a été autorisé en 2008 parce que c’est un produit naturel. En effet certaines observations ont fait remonter de potentiels risques. (…) Donc ce produit-là on l’a dans le viseur et on a commencé à chercher des alternatives parce que justement, il pourrait être interdit prochainement », reconnaît Philippe Camburet face aux interrogations d’Elise Lucet sur le Spinosad.

Contacté par téléphone, le président de la Fnab, nous précise qu’une première expérimentation sur les alternatives au Spinosad a eu lieu l’an passé et que deux nouvelles campagnes d’essais vont être lancées en arboriculture et maraîchage. « Nous recherchons des alternatives, en regrettant les difficultés pour obtenir les financements pour les projets de recherche », ajoute-t-il. Il rappelle aussi comment la filière bio a réussi à réduire les doses de cuivre utilisées « de façon extraordinaire » en dix ans.

Ce produit-là on l’a dans le viseur et on a commencé à chercher des alternatives

Sophia Majnoni, déléguée générale de la Fnab, précise par ailleurs lors du débat que le Spinosad ne représente que 0,02% des volumes de pesticides  vendus en France et qu’aucun résidu n’a été retrouvé sur les fruits et légumes bios lors des enquêtes de la DGCCRF et de la DGAL.

Des éléments étayés par l’association Générations Futures qui répond à Cash Investigation dans un long thread sur twitter en reprenant les éléments de sa récente étude comparant la toxicité des substances en conventionnel et en bio.

 


« L’image de l’agriculture bio reste forte »

Au final que reste-t-il des « révélations » de Cash Investigation après deux heures d’émission et une heure de débat ? « J’ai l’impression que l’image de l’agriculture bio reste forte et solide même après une émission plutôt orientée à charge, mais c’est l’occasion de rappeler que l’on ne se sent pas supérieurs aux autres [modèles d’agriculture]. On respecte un cahier des charges et on utilise des produits naturels en dernier recours. C’est connu des initiés mais certains non-initiés se sont fait une idée fausse du bio, une image malheureusement idyllique. Ils ont oublié la notion d’écosystème dans lequel nous sommes confrontés à des ravageurs » répond Philippe Camburet. « C’est l’occasion de le redire, on va renforcer nos éléments de réponses », poursuit-il.

A lire les commentaires sur les réseaux sociaux suite à la diffusion de l’émission, d’autres professionnels du bio, parfois de l’agriculture conventionnelle réagissent moins posément à l’émission, jugeant notamment peu opportun le moment de sa diffusion alors que le secteur fait face à une crise conjoncturelle de consommation.

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