Boiteries : savoir lire les lésions des pieds des vaches
Les pieds des vaches parlent de l’élevage. Faire un bon diagnostic des lésions au cours du parage, c’est important, affirme Marc Delacroix, vétérinaire spécialiste des boiteries.
Les pieds des vaches parlent de l’élevage. Faire un bon diagnostic des lésions au cours du parage, c’est important, affirme Marc Delacroix, vétérinaire spécialiste des boiteries.
Ce n’est pas facile de s’y retrouver parmi toutes les lésions qui peuvent toucher les pieds des vaches. Pourtant l’effort en vaut la peine. « Ces lésions des pieds racontent ce qui se passe dans l’élevage, qu’il s’agisse du logement, de l’alimentation, de la génétique… Si on sait les lire, on apprend beaucoup de choses sur les conditions d’élevage, affirme Marc Delacroix, spécialiste des boiteries. Faire un bon diagnostic des lésions des pieds des vaches au cours du parage, c’est important. » Il faut savoir les identifier mais aussi estimer leur niveau de gravité : les conséquences ne sont pas les mêmes pour l’élevage s’il est confronté à un grand nombre de lésions de niveau 1 ou de niveaux 2 et 3. Un autre point essentiel est de regarder quelles catégories d’animaux sont atteintes.
Si la maladie de Mortellaro fait beaucoup de dégâts dans les élevages, elle n’est pas la seule responsable des boiteries. Voici, parmi la vingtaine de lésions présentes en élevage bovin, celles qui peuvent prendre de l’ampleur au sein d’un troupeau si l’on n’intervient pas. Certaines lésions n’ont aucune cause infectieuse. D’autres ont une origine infectieuse, ou une origine mixte, comme par exemple l’ulcère cerise, une lésion commune au fourchet (maladie infectieuse) et à la fourbure subaiguë (maladie non infectieuse). Qu’elles soient d’origine infectieuse ou non, pour toutes, au-delà des conditions d’élevage, Marc Delacroix est catégorique : « le facteur de risque principal de développement est la façon dont les boiteries sont prises en charge par l’éleveur, le pédicure, le vétérinaire. Si chacun joue correctement son rôle, on endigue les boiteries. Il n’y a pas de remède miracle ».
Les lésions de Mortellaro
Les lésions sont principalement situées en couronne à l’avant ou à l’arrière du pied, mais aussi entre les onglons et sur les limaces, vers les onglons accessoires. Elles peuvent se développer sur le pododerme dès que celui-ci est en contact avec le milieu extérieur (sur les ulcères/cerises, l’ouverture de ligne blanche…). Il s’agit d’une ulcération superficielle, finement granuleuse, rouge vif, bordée d’un liseré blanc et de poils hirsutes, avec une odeur caractéristique. La classification internationale des lésions M1, M2, M3, M4 est fonction du stade d’évolution et non du niveau de gravité. Ce sont les lésions chroniques M4 qui sont responsables de la prolifération de la maladie dans le troupeau, alors que la boiterie est marquée surtout aux stades M1 et M2 (photo).
Traitement : détecter et traiter au stade le plus précoce possible. L’application d’oxytétracycline en spray, après avoir nettoyé et séché la plaie, est le traitement de référence. Une désinfection collective, associée au traitement individuel, est conseillée quand la maladie touche environ 20 % des vaches.
L’érosion du talon
Cette lésion est reconnaissable au sillon plus ou moins profond en forme de V, situé à la limite de la corne du talon et de la sole, avec un aspect noirâtre de la corne. C’est la lésion caractéristique du fourchet. Elle cause peu ou pas de boiterie. L’évaluation de son niveau de gravité est essentielle pour évaluer le réel impact du fourchet au sein du troupeau.
Traitement : parage.
L’ulcère/cerise
Ce sont deux stades d’évolution d’une même lésion. Elle est commune au fourchet et à la fourbure subaiguë. Actuellement, la majorité des ulcères/cerises est liée au fourchet. Dans ce cas, il s’agit d’une conséquence de l’érosion du talon. L’érosion du talon entraîne un déséquilibre de charge sur les onglons qui provoque un ulcère. Dans le cas de la fourbure subaiguë, le déséquilibre de charge apparaît à la suite de désordres métaboliques complexes à l’intérieur du pied. L’ulcère résulte d’une compression du pododerme avec création d’un trou. La cerise est une complication de l’ulcère avec le pododerme qui va combler le trou.
Traitement : parage et correction du déséquilibre entre les onglons. Mise en place d’une talonnette dans la plupart des cas.
La bleime
Cette lésion est due à une hémorragie qui s’est produite lors de la production de la corne (en moyenne 6-8 semaines plus tôt) à cause d’une surcharge sur l’onglon ou d’une pression excessive à l’intérieur de l’onglon. D’où un rosissement de la corne plus ou moins prononcé. Elle ne provoque pas de boiterie, éventuellement une gêne.
La bleime circonscrite (limitée au point précis de la sole nommé « endroit typique ») est une lésion commune au fourchet et à la fourbure subaiguë. C’est le début du processus qui, dans certains cas, évolue vers l’ulcère/cerise. La bleime diffuse (sur une zone étendue de la sole) est liée uniquement à la fourbure. Elle résulte d’une compression excessive de toute la zone du pododerme situé sous la troisième phalange, compression qui provoque une infiltration sanguine dans la corne.
Traitement : parage régulier et correction du déséquilibre entre les onglons. Ne pas creuser avec le bout de la reinette dans la bleime car c’est une lésion témoin d’un dysfonctionnement passé !
La limace
C’est une excroissance de chair dans l’espace interdigité. Elle est due à une réaction inflammatoire chronique proliférative de la peau. Elle peut apparaître à la suite d’un fourchet (cas le plus fréquent), d’un panaris, éventuellement de Mortellaro ou être d’origine génétique. La boiterie est nulle à légère. Elle peut être sévère si une lésion de Mortellaro vient s’implanter sur la limace, ce qui est très courant.
Traitement : bien nettoyer l’espace interdigité et le creuser pour limiter les frictions et pincements. Dans la plupart des cas, il est inutile de couper la limace (acte vétérinaire sous anesthésie locale).
L’ouverture de la ligne blanche
Il s’agit d’une séparation de la corne de la sole et de la corne de la muraille. La ligne blanche est une zone de corne souple et plus fragile assurant la jonction entre les deux. Cette rupture est causée par une mauvaise qualité de la corne de la ligne blanche (notamment en cas de fourbure subaiguë) et/ou par une mauvaise répartition des charges sur le pied. Des contraintes fortes (bousculade des vaches, sols irréguliers, concentration des animaux excessive…) sur une ligne blanche fragilisée créent une ouverture qui va se remplir d’impuretés, de petits cailloux… Cette ouverture peut progresser jusqu’au vif du pied (pododerme) et conduire à une infection. Au stade le plus grave, il peut y avoir du pus.
Traitement : parage plus ou moins important en fonction de la profondeur de l’ouverture et de sa gravité. Mise en place d’une talonnette dans les cas graves (niveau 3 de gravité).
La rotation de l’onglon
Elle est provoquée par une rotation de l’axe de la phalange. Ce qui cause une usure anormale de l’onglon qui prend une forme en tire-bouchon et peut entraîner de l’inconfort et une légère boiterie. Il y a probablement une prédisposition génétique, aggravée par les conditions d’élevage.
Traitement : on ne guérit pas une rotation d’onglon, mais on peut l’endiguer et redonner du confort à la vache par un parage assez délicat renouvelé tous les 5-6 mois.
La concavité/cerclage de la muraille
C’est une déformation de la muraille. L’onglon a tendance à s’élargir latéralement contrairement à la rotation de l’onglon où celui-ci s’enroule sur lui-même. Cette lésion est caractéristique de la fourbure chronique.
Traitement : parage. Attention au parage excessif.
L’abcès de la sole
C’est la pénétration d’un objet pointu dans la sole qui provoque l’abcès appelé aussi clou de rue. Il provoque une boiterie d’apparition soudaine et forte mais sans enflure de la couronne et du paturon, contrairement au panaris.
Traitement : parage et nettoyage de la plaie. Mise en place d’une talonnette.
La seime longitudinale interne
La corne de la muraille est fissurée verticalement. Il y a boiterie si la fissure est profonde et atteint la chair. C’est une lésion avec une composante génétique importante aggravée par les conditions d’élevage…
Traitement : parage curatif, pose d’une talonnette et ablation du bout de chair qui a pu sortir au travers de la seime.
La nécrose de la pince, une lésion de plus en plus courante
La nécrose de la pince est caractérisée par des lésions en galerie s’insinuant dans la profondeur de l’onglon, entre la corne et la troisième phalange, avec une atteinte du vif (pododerme). Il y a souvent du pus gris foncé d’aspect goudronneux et d’odeur nauséabonde. Lors d’atteinte sévère, la troisième phalange peut être touchée. La douleur est souvent très importante. Les causes sont à ce jour mal connues. La nécrose de la pince est essentiellement présente dans les élevages lourdement atteints de Mortellaro. Elle peut apparaître dans une lésion préexistante (seime interne, ouverture de ligne blanche). En fonction de la gravité, on la traite par un parage curatif ou par un curetage chirurgical (obligatoirement réalisé par un vétérinaire sous anesthésie locale).
Plus d’info
Très pédagogique, le site boiteries-des-bovins.fr de l’Institut de l’élevage vous permet de localiser les différentes lésions sur le pied. Pour chaque lésion, il décrit les trois niveaux de gravité et donne des conseils pour le parage et la prévention. Vous y trouverez tout ce qu’il faut savoir pour prendre soin des pieds des vaches au quotidien.
Côté éco
Les pertes économiques liées à une boiterie sont estimées en moyenne à 250 €.
Quatre maladies responsables de boiteries
La maladie de Mortellaro et le fourchet sont les deux maladies actuellement dominantes, avec le panaris dont une forme grave (le super foul) commence à apparaître.
° Le fourchet (dermatite interdigitée) et la maladie de Mortellaro (dermatite digitée) sont des maladies infectieuses dues à des bactéries (Fusobacterium necrophorum et Dichelobacter nodosus pour la première, et tréponème pour la deuxième). Ce sont des maladies contagieuses multifactorielles, favorisées par l’humidité et un manque d’hygiène en bâtiment. « Très souvent, elles sont présentes en même temps », constate Marc Delacroix, vétérinaire spécialiste des boiteries. Il n’est pas rare que le fourchet domine, avec des pertes économiques liées aux ulcères/cerises très importantes.
° Le panaris est aussi une maladie infectieuse : elle est due à la pénétration de bactéries dans une plaie de la peau de l’espace interdigité, causée par un petit traumatisme. C’est le seul cas de boiterie d’origine podale à nécessiter d’emblée un traitement antibiotique par voie générale. Attention à ne pas le confondre avec l’abcès de la sole, qui provoque lui aussi une boiterie forte d’apparition soudaine.
° Seule la fourbure est une maladie non infectieuse. Elle apparaît suite à des perturbations complexes de la vascularisation du pied, de la position de la troisième phalange et de la fabrication de la corne. C’est aussi une maladie multifactorielle. « L’alimentation (acidose) n’est pas le seul facteur en cause. Elle est liée aussi à l’habitat, au stress généré par les relations dominées/dominantes, au manque de logettes, à la dureté des sols… »
À savoir
Les lésions pouvant apparaître avec :
° le fourchet : érosion de la corne, ulcère/cerise, bleime circonscrite, limace
° la fourbure chronique : concavité/cerclage de la muraille
et la fourbure subaiguë : bleime circonscrite ou diffuse, ulcère/cerise, ouverture de la ligne blanche