Avec des Holstein en panne de rusticité
Aux États-Unis, les croisées montbéliardes font des émules
Testé avec succès en Californie, le croisement des Holstein avec
de la Montbéliarde est de plus en plus prisé aux USA dans les
élevages confrontés à de gros problèmes de fertilité et de mortalité.
il faut utiliser le top des taureaux de chaque race,
selon Les Hansen.
Février, l’hiver est doux en Californie. Le soleil brille et le mercure oscille entre 16 et 18 degrés dans la journée. À l’ombre sous des surfaces impressionnantes de toitures, les 1 100 vaches laitières de Wes Bylsma consomment leur ration à base d’ensilage de maïs, de foin de luzerne, de graines de coton… Des vaches qui, pour la plupart, n’ont plus rien du type Holstein pure. À l’instar d’autres éleveurs californiens,Wes a en effet « osé » se lancer au début des années 2000 dans le croisement de ses Holstein avec d’autres races laitières afin d’améliorer leur fertilité, de diminuer la mortalité des veaux.
Cette pratique encore très peu répandue aux États-Unis (moins de 10 % du marché des doses de semences bovines), fait cependant de plus en plus d’émules chez les éleveurs confrontés aux mêmes problèmes. Ce sont déjà près de 200 troupeaux de 500 vaches laitières en moyenne (dont la moitié en Californie) qui ont opté pour le croisement total. « Plus d’un millier d’élevages répartis dans tous les États-Unis font du croisement partiel (10 % à 70 % de leur Holstein) », précise Stéphane Fitamant, responsable commercial de Coopex aux États-Unis (lire encadré page 104).
UNE MEILLEURE FERTILITÉ
Selon Tristan Gaiffe, directeur de Coopex, « il y a dans ce pays plus de 50 000 croisées montbéliardes dont 20000 en production et de nombreuses autres naissances sont programmées ». Les résultats obtenus dans les troupeaux pionniers sont plus qu’encourageants. « Nous avons réalisé du croisement en 2000 et 2001 puis nous avons stoppé pendant deux ans pour voir ce que cela allait donner, explique Wes Bylsma. Notre vétérinaire n’était pas favorable au croisement parce qu’il craignait que nous baissions trop le niveau de production laitière de nos vaches. » Mais, fort des premiers résultats obtenus dans son élevage et dans celui de son père installé à Oakdale à 60 kilomètres de là,Wes décide de reprendre avec succès le croisement. Aujourd’hui, les trois quarts des vaches du troupeau sont des croisées. Cette stratégie cumulée avec des améliorations importantes dans la conduite du troupeau s’est avérée « très bénéfique en termes de performance de reproduction, de santé des animaux et de longévité », souligne Wes avec un grand sourire de satisfaction. Le taux de réforme a baissé de 30 % en Holstein pure à 20 % pour les croisées.
Le nombre moyen de paillettes d’insémination utilisées pour obtenir une gestation a également diminué de 3 en Holstein à 2,1 pour les croisées. L’intervalle vêlage-insémination fécondante est passé de 150 à 122 jours. Il n’y a quasiment plus de retournements de caillette… « En revanche, nous avons perdu trois à quatre kilos de lait par vache et par jour mais notre moyenne se situe aujourd’hui à plus de 33,50 kilos par jour/VL (trois traites par jour), admet l’éleveur qui ajoute : au départ nous avons commencé le croisement avec de la Normande mais nous avons arrêté justement parce que nous perdions trop de lait par rapport aux Holstein pures. »
Le croisement avec la Jersiaise a également été abandonné « parce que les produits sont trop petits ». Aujourd’hui, le croisement trois voies, (rotation avec trois races) avec de la Montbéliarde et la Rouge suédoise (ou danoise) a la préférence de l’éleveur. « Nous utilisons la Rouge suédoise sur les génisses pour la facilité de naissance, précise Wes. Grâce à la Montbéliarde, nous améliorons la rusticité de nos Holstein tout en maintenant la production laitière à un bon niveau. »
LA MORTALITÉ DES VACHES A BAISSÉ
À 4 % Située à quelques kilomètres de l’exploitation de Wes Bylsma, la ferme Prins Dairy (600 vaches) a commencé à tester le croisement il y a neuf ans. Les objectifs sont les mêmes que ceux de Wes, à savoir résoudre des problèmes de fertilité, de rusticité et de mortalité chez les veaux. « Nous avons d’abord testé plusieurs races comme la Jersiaise, la Brune… précise Kevin Prins, le manager. Mais maintenant nous utilisons le croisement trois voies Holstein x Montbéliarde x Rouge suédoise et nous allons le comparer avec un système quatre voies, c’est-à-dire en mettant du rouge danois avant de revenir à la Holstein. »
Là aussi les résultats sont probants. La mortalité des veaux a été divisée par trois (5 % contre 15 % en race pure). La mortalité des vaches a baissé de 10 % à 4 %. « Nous avons beaucoup de croisées en quatrième lactation qui paraissent aussi jeunes que des Holstein en deuxième lactation. » Et d’ajouter : « depuis que nous faisons du croisement, nous avons amélioré notre qualité de vie parce qu’il y a moins de problèmes dans l’élevage. Ce n’est pas encore parfait, mais c’est beaucoup mieux », se réjouit Kevin Prins.
Toujours situé dans le même secteur géographique, l’élevage Hoekstra Dairy s’est également laissé séduire par la Montbéliarde. « Outre la rusticité, nous recherchons à obtenir grâce à la Montbéliarde des vaches avec un bon format, une bonne mamelle et ensuite nous croisons indifféremment avec de la Rouge suédoise ou danoise. »
PATINAGE SÉDUIT LES ÉLEVEURS
Sur les 1 550 vaches du troupeau, 1500 sont issues de croisements. Il ne reste que cinquante Holstein. « Le croisement a nettement amélioré les performances de reproduction et la qualité des membres de nos vaches », se félicitent les éleveurs. Le nombre moyen d’inséminations pour une gestation a baissé de 4,5 à 2,7. « Nous avions peur de faire chuter le niveau de production laitière, mais finalement nous avons été agréablement surpris. » Le niveau d’étable s’élève à 11 500 kg de lait. Les vaches les plus productives sont traites trois fois par jour, contre deux pour les autres.
L’éleveur a utilisé le top des taureaux Montbéliards tels que Micmac, Masolino, Redon… Patinage est apprécié aux États-Unis pour son potentiel laitier, la qualité des mamelles qu’il transmet à ses filles et la facilité de vêlage. Ces quelques exemples illustrent le cheminement et surtout l’intérêt de certains éleveurs nord-américains pour le croisement et notamment avec de la Montbéliarde. La plupart des éleveurs restent cependant très attachés à la Holstein.
Les détracteurs du croisement sont légions. Des unités de sélection affirment que la race Holstein possède le nécessaire dans son potentiel génétique pour rectifier le tir sans avoir besoin du croisement. D’autre part, les vétérinaires intervenant dans les élevages préfèrent le plus souvent travailler sur la conduite d’élevage plutôt que de prôner le croisement. Les résultats d’études réalisées par l’université du Minnesota vont cependant donner un sérieux coup de pouce à la promotion du croisement trois voies de type Holstein x Rouge scandinave x Montbéliarde plutôt que le croisement « classique » Holstein x Jersiaise x Brune ou le maintien en Holstein pure dans les élevages à problèmes.
UN NIVEAU DE PRODUCTION COMPARABLE
Les Hansen, le responsable des recherches, a découvert la Montbéliarde en 2001 à la faveur d’une visite en France organisée par Coopex. Pour ce scientifique, la Montbéliarde représente une opportunité nouvelle pour développer le croisement grâce à son potentiel laitier, sa rusticité et sa variabilité par rapport au sang Holstein. Et le croisement trois voies plutôt que deux voies, « est la meilleure solution pour bénéficier au maximum de l’effet d’hétérosis ». Le suivi de sept élevages californiens utilisant du croisement dont deux présentés précédemment a confirmé les espoirs du chercheur en termes d’amélioration de la rusticité. Les premiers résultats des travaux menés à l’université du Minnesota (ferme de recherche de 125 vaches dont trois quarts de croisées aujourd’hui) sont également probants. « Les niveaux de production en première lactation entre les Holstein pures (7 660 kg) et les croisées Holstein x Jersiaise x Montbéliarde (7 330 kg) ne sont pas significativement différents », rapporte Amy Hazel, la responsable de l’étude à l’université. La tendance est la même en seconde lactation.
Les comptages cellulaires sont significativement inférieurs chez les croisées à partir de la seconde lactation. L’état corporel des vaches croisées en première et deuxième lactation est sans surprise supérieur à celui des Holsteins. Et, cerise sur le gâteau, l’intervalle vêlage-insémination fécondante est inférieur de 47 jours chez les vaches croisées (114 jours) par rapport aux Holstein (161 jours). « Cela représente deux cycles de gagnés soit une économie de 200 dollars (environ 135 euros). »
D’autres travaux sont en cours et devraient selon le chercheur confirmer l’intérêt zootechnique et économique du croisement trois voies avec la Montbéliarde. « Attention pour obtenir de bons résultats en croisement, il faut cependant utiliser le top des taureaux de chaque race. C’est un complément de l’amélioration génétique », prévient Les Hansen. ■ Franck Mechekour