Agrivoltaïsme : quelles solutions en élevage laitier ?
Dynamisés par un cadre politique favorable et par une innovation technologique foisonnante, les projets agrivoltaïques se multiplient. Si cette manne financière peut consolider les revenus de l’exploitation, attention à ne pas faire n’importe quoi.
Dynamisés par un cadre politique favorable et par une innovation technologique foisonnante, les projets agrivoltaïques se multiplient. Si cette manne financière peut consolider les revenus de l’exploitation, attention à ne pas faire n’importe quoi.
« L’agrivoltaïsme ne doit constituer qu’un complément. Il s’agit de faire cohabiter activité agricole et production d’énergie dans la meilleure des synergies possibles », pose Jérome Pavie, de l’Idele.
Pour permettre le passage de gros animaux, les énergéticiens imaginent des conceptions plus élevées que celles initialement pensées pour les friches industrielles et les ovins. Ils seraient une quinzaine en France à réfléchir à des infrastructures pour bovins.
« Maintenir une réelle production agricole nécessite des adaptations en termes de densité et de hauteurs de panneaux, d’écartement des rangées, de points bas non blessants pour les animaux. » De lourdes contraintes techniques et économiques s’ajoutent par rapport aux modèles initiaux. Si les développeurs sont très nombreux et que les innovations foisonnent, quatre modèles semblent aujourd’hui « potentiellement utilisables en bovins ».
Côté éco
Quels sont les montants des loyers ?
Difficile d’obtenir des données précises, les développeurs gardant secret leur modèle économique. Les chiffres qui circulent font état d’un loyer de l’ordre de 2 000 €/ha/an pour le propriétaire du foncier (fourchette de 1 500 à 8 000 €/ha) et d’une indemnité d’occupation pour l’exploitant de 500 à 1 000 €/ha/an pour compenser la gêne occasionnée par la structure.
Quatre modèles potentiels en élevage bovin
La solution Camélia développée par Engie Green en partenariat avec l’Inrae, consiste à installer des haies photovoltaïques verticales fixes. D’une empreinte au sol limitée, la structure permet le passage d’engins agricoles, le pâturage de bovins et la rotation des cultures. Les panneaux bifaciaux alignés sur un axe nord-sud, captent l’énergie solaire à l’est le matin et à l’ouest le soir, ainsi que la lumière réfléchie au sol ou par la rangée voisine.
Disposées sur une ligne est-ouest, les ombrières fixes de QairFrance sont orientées plein sud. « C’est la version surélevée des centrales pour ovins. » La hauteur des panneaux autorise le pâturage et l’entretien mécanique de la végétation. « Le point bas doit être a minima à 2,40 m pour permettre le chevauchement des vaches sans détérioration des installations. »
Les trackers mobiles avec isolateurs électriques (Zimmerman, TSE, Qair) sont des panneaux pivotants sur un axe fixe horizontal placé sur des pieux battus espacés de 15 mètres. Orientés nord-sud, ils suivent la courbe du soleil d’est en ouest et proposent un ombrage tournant sur la parcelle. « Pour que les vaches ne heurtent pas les panneaux, l’éleveur peut les positionner à l’horizontale à 2,50 m de hauteur », explique Philippe Rollet, chez QairFrance.
Enfin, les ombrières dynamiques baptisées canopée agricole sont développées par TSE. D’une faible emprise au sol, les poteaux sont disposés sur un quadrillage de 27 m sur 11 m. Ils soutiennent des câbles tendus à 5 mètres de hauteur sur lesquels sont fixés des panneaux solaires rotatifs. Orientés nord-sud, ils suivent la courbe du soleil. « C’est un système très surélevé compatible avec le passage des animaux et de la plupart des engins agricoles », revendique Alexandre Barbet, chez TSE.
Les technologies se développent donc mais le secteur manque de recul pour apprécier les répercussions de ces installations sur l’activité agricole.
Quid de l’utilisation des parcelles
« L’élevage doit être intégré dès les premières réflexions, en amont de la construction du parc », met en garde Jérôme Pavie. La circulation des animaux et de l’éleveur, les possibilités de pose de clôtures mobiles dans le parc et de passage des machines agricoles guideront le choix de l’installation, son ergonomie et sa hauteur minimale. Le système de bi-pieu empêche, par exemple, l’entretien mécanique sous les panneaux.
Vigilance aussi sur la hauteur du point le plus bas pour éviter que les bovins ne se blessent ou n’abîment les panneaux. « Nous recommandons 2,40 m - 2,50 m en point bas et 4 m de largeur entre les panneaux de deux rangées voisines. » Ce sont les dimensions qui permettent de faciliter les déplacements, de visualiser le troupeau et de mécaniser les surfaces sous les panneaux et entre les rangées.
« Si on ne peut pas re semer ni gérer l’entretien du couvert par une fauche ou un broyage mécanique, on risque d’aboutir à une dégradation du potentiel agricole de la parcelle et un arrêt de l’activité agricole. »
Encore de nombreuses inconnues
La question du bien-être animal dans les centrales n’est pas tranchée. Les installations photovoltaïques améliorent le confort des animaux en cas de vent fort ou de chaleurs extrêmes. « L’ombrage des panneaux réduit le stress thermique des vaches laitières au pâturage en été », indique l’Idele.
Il se crée un microclimat sous les tables photovoltaïques. Le rayonnement, la température au sol et celle de l’air en journée, les écarts de température entre le jour et la nuit pendant l’été et la vitesse du vent sont modifiées.
Si l’ombrage semble être favorable à la production d’herbe dans des conditions de stress hydrique et thermique, il peut avoir un effet dépressif sur la production végétale dans les secteurs frais et pluvieux.
Dans tous les cas, les références techniques font défaut quant à l’impact des centrales sur la production de biomasse, la dynamique de pousse, la qualité du couvert et la modification de la composition floristique dans le temps, et ce en fonction du lieu d’implantation et du type d’infrastructures.
Enfin, les conséquences sur l’organisation du travail et la rentabilité économique restent à investiguer. Des sites pilotes étudient encore tous ces paramètres.
Mise en garde
Ne pas changer de production agricole pour s’adapter à la conception de la centrale, mais choisir une technologie compatible avec l’activité agricole en place
Opter pour une technologie qui permette l’évolution du système d’élevage ou d’exploitation
Travailler avec un développeur ayant une expertise et des compétences agricoles en interne
Faire étudier le contrat par un conseiller juridique
Se méfier d’un loyer trop élevé
« Un meilleur confort au pâturage grâce à l’agrivoltaïsme »
Dans le Calvados, sur l’exploitation de Yoann Bizet, l’installation d’une canopée photovoltaïque sur 3 hectares ne bousculera pas les habitudes de travail, ni la gestion de l’herbe.
« Nous sommes en système tout herbe avec 150 hectares de SFP sur 170 hectares de SAU. Nous faisons de l’affouragement, de l’ensilage et du foin séché, mais pas de pâturage par manque de surface à proximité des bâtiments et d’ombre dans les parcelles qui se situent sur un plateau. L’été, les vaches sont en pleine chaleur », présente Yoann Bizet, éleveur à Souleuvre-en-Bocage dans le Calvados.
Mais les choses vont changer avec l’installation d’une canopée photovoltaïque de conception TSE. Les 130 prim’Holstein vont brouter les prairies à l’ombre des panneaux. « Notre motivation est d’apporter du confort aux animaux lors des fortes chaleurs tout en produisant de l’herbe et de l’énergie renouvelable. »
L’idée est de pratiquer le pâturage tournant sur six parcelles contiguës de 0,5 hectare dédiées à l’agrivoltaïsme. Les rangées espacées de 27 mètres et la hauteur des panneaux à 4 mètres permettent le pâturage des bovins et le passage des machines. Les dimensions et l’ergonomie du système ont séduit l’éleveur. « Outre le pâturage, nous ne changeons pas notre façon de travailler ni de récolter l’herbe à l’autochargeuse. » Il ne modifie pas non plus sa rotation, cinq années en prairie temporaire suivies d’un maïs grain. La circulation des animaux et des machines, les accès au pâturage, l’emplacement des abreuvoirs... tout a été étudié en amont.
Un réseau de fermes agrivoltaïques pilotes
Autres atouts, la mise à la verticale des panneaux pendant les pluies assure une répartition homogène de l’eau sur la parcelle, et les modules photovoltaïques qui suivent la courbe du soleil offrent un ombrage partiel tournant. « La photosynthèse se fait sur toute la surface sans impacter la production de biomasse. Le stress hydrique et thermique est atténué lors des coups de chaud », affirme Alexandre Barbet chez TSE.
Le site de Yoann fait partie du programme d’expérimentation de TSE sur huit fermes pilotes. Il sera suivi par l’Idele et TSE pendant neuf ans. Pour les besoins des essais, un tiers du troupeau pâturera sous la canopée tandis que les deux autres tiers seront à l’herbe dans des prairies classiques. « Nous allons mesurer plusieurs paramètres sur les deux lots : temps de pâturage, comportement des animaux, état corporel, consommation au DAC, production au robot, performances de reproduction, etc. pour produire des références. » Des mesures et tests de variétés de mélanges prairiaux (RGA, trèfle blanc nain et géant, trèfle violet) seront également réalisés.
L’agrivoltaisme, un secteur réglementé
C’est pour répondre aux objectifs ambitieux de la Programmation pluriannuelle de l’énergie que les projets photovoltaïques sont autorisés en zone agricole. Cette programmation de 2018 fixe l’objectif de production d’énergie photovoltaïque en 2028 à 44 GW. Soit un potentiel de 70 000 hectares. Si cette surface ne représente que 1 % de la SAU française, le marché pour les énergéticiens est considérable.
Pour éviter les dérives de spéculation foncière et de pertes de l’activité agricole, la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables (AER) de mars 2023, fixe trois conditions de faisabilité : réversibilité des installations, production agricole dominante sur la parcelle et apport d’au moins un service aux cultures ou à l’élevage. Côté agriculture, l’agrivoltaïsme peut être un atelier complémentaire pour consolider les revenus des exploitations dont la rentabilité n’est pas au rendez-vous, pour pérenniser les exploitations d’élevage qui n’ont que peu d’alternatives et les rendre plus attractives lors de la transmission.
Les parcelles dédiées à l’agrivoltaïsme font l’objet d’un bail emphytéotique de 30 ans à 50 ans avec la société exploitante, correspondant à la durée de vie estimée des centrales. Le bail rural n’est pas compatible avec des surfaces occupées par des panneaux photovoltaïques.
L’agrivoltaïsme, un projet de longue haleine
La signature de la promesse de bail est la première étape de tout projet agrivoltaïque. À partir de là, des études agricoles, environnementales et paysagères sont menées. Elles sont obligatoires pour déposer une demande de permis de construire. L’ensemble de ces éléments est ensuite soumis à la Commission départementale de défense et de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) pour avis consultatif. La décision finale revient à la préfecture qui accorde ou non le permis de construire, en suivant généralement l’avis de la CDPENAF.
Après l’obtention du permis de construire, il faut encore que la société photovoltaïque négocie une convention de raccordement avec le distributeur local et obtienne un tarif de revente de l’électricité pour assurer le financement de la centrale agrivoltaïque. S’en suivent les travaux de raccordement.
Une fois toutes les étapes précédentes franchies, la signature du bail et d’un contrat peut être enclenchée et la construction de la centrale agrivoltaïque peut débuter.
Cyrielle Delisle