Suite au travail en groupe
« 100 quintaux de lait par vache et 100 euros de coût alimentaire »
Jean-Paul Fiers dans le Nord recherche à la fois une bonne productivité par vache, avec les meilleurs taux possibles, tout en essayant de limiter les achats d’aliments.
Jean-Paul Fiers dans le Nord recherche à la fois une bonne productivité par vache, avec les meilleurs taux possibles, tout en essayant de limiter les achats d’aliments.
Située à Hondschoote dans les Flandres, dans un secteur à fort potentiel agronomique, l’exploitation de Jean-Paul Fiers est la seule du coin à pratiquer encore l’élevage. « Je suis éleveur avant tout et je donnerai toujours priorité aux vaches sur les cultures », martèle-t-il l’œil pétillant. "Produire de la qualité" est son objectif phare. Cela se retrouve à la fois sur la qualité du lait livré (aucune faille depuis plus de dix ans!), mais aussi à travers les fourrages qu'il récolte et de toutes les pratiques qu'il met en œuvre. Ses 60 vaches à 11 200 kg de moyenne technique (lait à 7%) produisent 600 000 l de lait par an et l’exploitation compte 98 ha de cultures de vente (betteraves sucrières, blé, pommes de terre, lin, pois), plus 20 ha de maïs ensilage et 15 ha d’herbe.
Depuis 2015, Jean-Paul fait partie d’un groupe d’éleveurs animé par Avenir Conseil Élevage autour d’un objectif commun : atteindre 100 quintaux de lait par vache et par an, sans dépasser 100 € de coût alimentaire, 100 g de concentré par litre, et le tout sans concentré de production. « Ce challenge s’adresse à des éleveurs qui veulent gagner en autonomie, en restant productifs et économiques, résume Benoît Verriele, nutritionniste à Avenir Conseil Élevage. Ces dernières années, l’élevage de Jean-Paul Fiers a suivi une belle progression et a mis en place des actions pour répondre aux exigences des quatre critères. Et ce n'est pas un hasard si la marge brute de l'atelier lait se chiffre à 194 €/t et dépasse de 30 €/t la moyenne des 380 élevages que nous suivons."
"Mes vaches sont les reines du eating"
Comme son père avant lui, Jean-Paul se passionne et investit dans la génétique. Son premier critère recherché n’est pas le lait mais la morphologie, surtout la mamelle et les pattes. « Je travaille beaucoup avec des taureaux canadiens et américains. Je cherche avant tout un troupeau homogène avec des animaux de grande taille, capables de bien valoriser la ration », présente-t-il. Mais si l’élevage présente effectivement une bonne génétique (l’index lait des génisses non vêlées est de +256 l, +1,9 TB, +0,7 TP et +157 l, +1,1 TB, +0,6 TP pour les vaches), cela n’explique pas tout. « Il y a aussi un 'effet éleveur' net, qui passe par des fourrages de très bonne qualité alimentaire et une somme de petites choses qui font la différence », analyse Benoît Verriele. Un front d’attaque parfaitement net, le retrait systématique des parties qui chauffent, un nettoyage quotidien de la table d’alimentation… « Ici, les vaches sont les reines du eating !, plaisante l’éleveur avec un large sourire. Elles sont choyées et je fais en sorte qu’elles ingèrent à volonté. » Le fourrage est repoussé deux fois par jour. Jean-Paul ne distribue jamais une pelle de mauvais fourrage, les laitières ne reçoivent que du bon à l’auge ! En été, la ration est même apportée en deux repas pour éviter que le fourrage ne chauffe. Les vaches reçoivent une ration semi-complète diversifiée, à base d’ensilage de maïs, d’ensilage d’herbe, de tourteaux et de co-produits (voir tableau). Les vaches à plus de 35 litres de lait par jour reçoivent un correcteur tanné au DAC, et le tourteau de soja est distribué selon la niveau de production. De mi-avril à fin octobre, les vaches accèdent aussi à un parcours de 5 ha.
La qualité du fourrage récolté prime sur la quantité
« La qualité de la ration de base est essentielle", considère l’éleveur qui se donne les moyens de récolter les meilleurs fourrages possibles. Les maïs ensilages sortent généralement à plus de 0,95 UFL/kg MS. Et pour les ensilages d'herbe, Jean-Paul est l'un des premiers du groupe à réussir à récolter des ensilages d'herbe à 0,90 UFL/kg MS. "Je travaille en confiance avec une ETA belge. Je ne tire pas sur les prix mais par contre, je veux choisir la date de récolte et la bonne fenêtre météo.» Pour l’herbe, Jean-Paul ne cherche pas le rendement maximum. « Ce qui compte, c’est le stade, je récolte à deux nœuds. Je préfère y aller trop tôt que trop tard (une fois que l’épi est monté) pour ne pas perdre en qualité. » L’an dernier, la première coupe s’est faite fin mars. L’éleveur vise des taux de matière sèche de 40 % pour l’ensilage d’herbe afin « d’améliorer l’ingestion et l’appétence » et de 50 % pour l’enrubannage.
Jean-Paul est également attaché à la précision du rationnement. Chaque lot de fourrages est analysé (forfait Agrinir 195 €/an). Et tout est pesé avec la mélangeuse. « On ne s’en rend pas compte, mais un écart de 5 kg brut pour 50 vaches représentent 90 t par an ! » Il n’y a quasiment pas de refus à l’auge; l’équivalent d’une brouette part aux génisses quotidiennement.
Un pilotage très méticuleux et un œil aiguisé
Le pilotage de la ration est très méticuleux. Jean-Paul procède en permanence à des réajustements et réagit vite. « Je consulte les résultats de ramassage de lait tous les 3 jours, pour être en mesure de corriger le tir si une tendance anormale se dessine. » Le taux d’urée est un indicateur de suivi intéressant. « Avant, je visais 300 g/l, mais je me suis rendu compte qu’avec un taux un peu moins élevé (entre 200 et 250 g), ça tourne aussi bien, voire mieux. En tout cas, avec le type de régime que je distribue. »
Jean-Paul se remet en cause en permanence. « Si le lait baisse par exemple, je me questionne. Suis-je trop court en énergie ? La ration manque-t-elle de sucres solubles ? L’auge se vide-t-elle plus vite ? À chaque changement de lot de fourrages, il y a de petites adaptions de régime et de nouveaux équilibres à trouver, décrit l’éleveur, toujours à l’affût de la rumination, de l’état des bouses, des déplacements des vaches, etc. Je les connais chacune suffisamment pour détecter si l’une ou l’autre présente un comportement inhabituel. »
L’éleveur ne distribue plus de concentré de production
La production est au rendez-vous, tout en veillant à maîtriser le coût alimentaire. Celui-ci s’élève à 103 €/1 000 l, dont 46 €/1 000 l de coût de concentrés. « En ayant augmenté la proportion d’ensilage d’herbe dans la ration, j’estime avoir économisé 1 kg de tourteau de soja par vache par jour. Je ne cherche pas à obtenir le coût alimentaire le plus bas possible, mais plutôt le meilleur compromis possible entre ce coût et la productivité par vache. » Ramené à l’animal, le coût journalier de la ration (3,52 €/VL/j) se montre plus élevé que la moyenne du groupe (3,20 €/VL/j). « Mais comme les vaches de Jean-Paul sont très efficaces, l’élevage reste très bien placé lorsque l’on ramène le coût alimentaire au litrage produit, décrit Benoît Verriele. L’éleveur fait de plus en plus confiance à sa ration de base. Il est passé en quelques années de 2 t de concentrés par vache par an à 1,4 t aujourd’hui. Cela représente l’équivalent de 35 t économisées par an, soit environ 10 000 €. »
Jean-Paul a arrêté le concentré de production il y a un an et n’a pas décélé d’impact négatif sur le troupeau. « La valeur moyenne de la ration mélangée vaut autant que celle de la VL de production que j’achetais, alors autant la supprimer ! », avance-t-il. La complémentation en concentrés se chiffre à 140 g/l. « Aujourd’hui, le correcteur azoté tanné à 40 % de protéines distribué au Dac a un intérêt limité au vu de la qualité des fourrages, estime Benoît Verriele. C’est le pas qu’il reste à franchir pour parvenir à 100 g de concentré/l. »
Façonner des génisses avec une bonne capacité d’ingestion
Les progrès techniques réalisés s’expliquent aussi par le soin apporté à l’élevage des génisses. « La construction d’une nurserie confortable et bien conçue (surface/animal et ventilation dynamique régulée) contribue à sortir des génisses au top", constate Benoît Verriele. Les génisses sont initiées aux fourrages des vaches dès 3 mois et reçoivent des concentrés simples, avec de l’eau propre à disposition dès le sevrage. Tous les veaux font 200 kg à 6 mois. L’éleveur contrôle leur croissance au ruban. « Cette phase est primordiale car les erreurs commises ne se rattrapent pas par la suite. » Les génisses ont vêlé à 25,8 mois en moyenne en 2017, et arrivent en lactation avec un bon gabarit. En moyenne, les primipares produisent 36 l en première lactation. « Comme elles ont du format, une bonne capacité d’ingestion, et que la ration de base est de qualité, l’éleveur peut se passer du concentré de production. »
Un objectif commun, ça motive !
Au sein d’Avenir Conseil ÉElevage, une cinquantaine d’éleveurs, répartis en cinq groupes, se sont fixés l’objectif commun de produire 100 quintaux de lait, avec 100 € de coût alimentaire, 100 g de concentrés, et sans concentré de production. Un défi exigeant mais qui commencent à donner des résultats sur le terrain. « Il s’agit d’un objectif de groupe, plus que d’un objectif individuel, indique Benoît Verriele d’Avenir Conseil Élevage. Chaque éleveur choisit ses axes d’évolution en fonction de ses contraintes et trouve sa place, sans suivre de schéma pré-établi. »
Quatre axes de travail sont proposés pour contribuer à améliorer le coût alimentaire ramené à la production de lait à 7 %. « Chaque levier retenu doit répondre le plus positivement possible aux quatre points suivants : augmenter le TP, le TB, le lait par vache, et maîtriser le prix et les quantités des ingrédients de la ration. »
Distribuer une ration riche en énergie se montre favorable au TP. « L’optimum se situe à 0,95 UFL et 100 g de PDIE par kilo », estime le conseiller. Attention au risque de sous-alimentation (fourrages trop encombrants ou peu digestibles, moins de 30 g de ration par kg de poids vif, manque d’eau, de sel, un seul gros repas par jour, temps de présence de présence à l’herbe inadapté à la surface, etc.)
« La ration des vaches taries doit aussi être surveillée de près : trop pauvre, les papilles ruminales ne seront pas assez développées ; trop riche sur un tarissement long (plus de six semaines), la vache sera grasse avec un risque de cétose et donc une chute d’appétit après le vêlage. »
Des fibres digérées et du sucre sont indispensables pour faire du TB. « Un TB faible peut notamment être révélateur d’une ration manquant d’énergie ou d’une valorisation incomplète de la ration notamment en situation de sub-acidose. »
Pour faire du lait par vache, l’alimentation joue un rôle prépondérant, mais le stade de lactation est aussi décisif. Il faut réduire le nombre de vaches improductives dans le troupeau et rechercher les vaches les plus efficaces pour faire du lait avec peu de concentrés. « Attention à la proportion de vaches à plus de 300 jours de lactations (20 % est un maximum). Un apport d’énergie en fin de lactation favorise l‘état corporel plutôt que le lait. »
Pour atteindre l’objectif de 100 € de coût alimentaire, il faut gérer les stocks avec bilans fourragers (2-3 fois par an) et mesurer les quantités ingérées. Et récolter des fourrages avec les meilleures valeurs possibles : plus de 0,85 UFL pour l’herbe et 0,95 UFL pour le maïs ensilage. « Enfin, les éleveurs doivent s’interroger sur la réelle nécessité du concentré de production et oser cultiver l’herbe. »