Snia : la relation éleveur-fabricant d’aliments au cœur des débats
Clients et fournisseurs évoluent vers un partenariat «d’égal à égal», pour répondre aux nouvelles exigences des consommateurs-citoyens.
C’EST DANS UN contexte de crise—une fois n’est pas coutume— que l’assemblée générale du Syndicat national des industries de la nutrition animale (Snia) s’est déroulée le jeudi 18 mai à Orléans. Les conséquences de l’épizootie d’Influenza aviaire n’ont pas tardé à se faire ressentir sur les fabrications d’aliments volailles, avec un recul de 10 à 20 % par rapport à la même période en 2005, comme le montrent les chiffres de l’observatoire des-dites productions mis en place par le Snia en début d’année. Un effet à retardement puisque dans un premier temps, l’allongement de la durée d’élevage, afin de retarder la mise sur le marché de produits délaissés par les consommateurs, a compensé la baisse des mises en place. Mais dans ce contexte morose, les fabricants d’aliments composés se veulent optimistes. Le développement de la filière des biocarburants, et en parallèle l’approvisionnement du marché en coproduits (tourteau de colza en tête) n’est pas étrangé à cette état d’esprit. Pour l’heure, les fabricants réfléchissent à la façon de faire évoluer leurs relations avec les éleveurs pour qu’ensemble ils puissent rester compétitifs dans un marché mondial de plus en plus concurrentiel. Tel était le thème de la table ronde, qui a donné la parole aux représentants des éleveurs et aux adhérents du Snia. C’est Christophe Malvezin, conseiller chargé des productions animales auprès du ministre de l’Agriculture, qui a clôturé la matinée, en réponse à l’allocution d’Adolphe Thomas, président du Snia. Un discours bien perçu par les congressistes qui ont eu le sentiment que leur professionnalisme est (enfin) reconnu par le gouvernement, selon un commentaire de Christophe Bruyerre, représentant du Snia. Il faut dire que l’intervention du syndicat auprès des pouvoirs publics a fait progresser —à son avantage— les dossiers des salmonelles et des aliments médicamenteux. Mais des efforts de l’Etat sont encore attendus pour concrétiser ses avancées et sur d’autres contentieux, tels que l’augmentation du poids total roulant autorisé des camions à 44 tonnes.
Le partenariat, de l’intégration…
Fabricants d’aliments et éleveurs ont toujours travaillé en étroite collaboration. Avec le temps, l’éleveur est passé du statut de «bon animalier» à celui de «chef d’entreprise», souligne Caroline Huttepain-Peltier, directrice générale de Huttepain Aliments. Pour faire face à leurs attentes croissantes, les fabricants ont évolué de simple fournisseur d’aliments en véritable prestataire de services, leur prodiguant via leurs techniciens des conseils en termes de conduite d’élevage. Une évolution qui ne va pas sans poser de problèmes juridiques. Un texte de 1964 —qui s’applique aux seules entreprises privées— les oblige en effet à passer des «contrats d’intégration» avec leurs clients. Leurs homologues de la coopération n’y étant pas assujettis, cela crée une distorsion de concurrence que Jean-Jacques Dumas, président de DFP Nutraliance, voudrait bien voir abrogée. Et Caroline Huttepain-peltier de préciser : «Nous souhaitons avoir beaucoup plus de liberté au niveau contractuel.»
Le fabricant d’aliments est ainsi «le second interlocuteur de l’éleveur en difficulté, après le vétérinaire», déclare pour sa part Jacques Lemaitre, président de l’Institut technique du porc. «Si le fabricant offre aux animaux l’alimentation la meilleure possible au meilleur coût, son technicien a une vision plus globale de l’élevage et comme objectif commun avec l’agriculteur de réussir une production dans la quantité, la qualité et l’économie», surenchérit Jean-Jacques Dumas. Aujourd’hui, c’est une véritable relation de partenariat qui se tisse entre le client et son fournisseur. «Les éleveurs sont devenus des professionnels à part entière ces dernières années. Aujourd’hui, nous traitons d’égal à égal», poursuit-il. Mais il faut encore aller plus loin, considère Caroline Huttepain-Peltier. Actrice de la filière avicole, intégrée de longue date, elle a constaté une évolution fabricant-éleveur vers plus de «transparence» et de «confiance». Cependant, il faut maintenant que l’agriculteur réfléchisse plus en termes de «retour sur investissement» que de «coût». De plus, le producteur doit être «plus actif» pour prévenir les crises, en s’impliquant davantage dans «l’image» de son produit et «sa commercialisation».
… à l’interprofession
Le processus de partenariat se retrouve également à l’échelle de la filière, via «l’installation d’interprofessions», ajoute Jacques Lemaitre, acteur d’Uniporc, l’interprofession porcine qui a vu le jour il y a deux ans.
Dans un avenir proche, c’est la filière avicole qui devrait se doter d’une interprofession unique. Christophe Malvezin espère que ses statuts seront finalisés en juin, afin d’être opérationnelle à l’automne. Un avis partagé par Luc Berginat, directeur de Volailles d’Albret, qui en ces temps de crise aviaire, milite plus que jamais pour une «interprofession élargie», avec «un seul interlocuteur au niveau volailles». A l’exemple de la filière bovine qui a réussi de façon spectaculaire à remonter la pente, après le désastre de la crise de l’ESB, avec le retour à des prix porteurs et une augmentation du nombre de vaches allaitantes «dans une logique de productivité». Cette démarche a suscité, d’après Pierre Chevalier, «une étroite concertation pour développer une compétitivité économique à tous les niveaux» de la chaîne de production. Des “Contrats de transparence” ont ainsi été mis en place en 2001 entre les différents acteurs de la filière bovine (éleveurs, abattoirs et transformateurs) et donnent aux acheteurs de la restauration hors domicile, une information sur l’origine, la composition et les contrôles des viandes de bœuf piécées et hachées, et des préparations à base de viande hachée de bœuf, servies dans leurs établissements.
Du financement de la recherche…
Dans ce cadre, le président de la Fédération nationale bovine n’est pas contre l’idée d’y associer également les fabricants d’aliment. Des «recherches en technologie approfondies» sont en effet nécessaires pour «développer l’engraissement des jeunes bovins», dans l’optique de productivité que s’est donnée la filière.
Cette association des fabricants aux efforts de recherche va également être officialisée dans la filière porcine, avec le nouvel institut technique du porc qui sera entériné le 14 juin prochain. Selon Jacques Lemaitre, cette structure «de filière» permettra aux industriels de l’alimentation animale de «prendre toute leur place» dans une R&D, qui aura une vision globale, «de la fourche à la fourchette». L’élargissement du périmètre de réflexion permettra d’aborder des questions qui relèvent de la diététique, du sanitaire ou de l’environnement. Par exemple, la nature de l’aliment consommé a un effet direct sur le plan d’épandage, en relation avec la dose de nitrate à l’hectare déféquée par l’animal. Ainsi les fabricants travaillent-ils déjà sur la digestibilité de la protéine afin de limiter au maximum les rejets azotés. Des travaux sont également menés sur la réduction des rejets phosphorés.
D’où la nécessité d’avoir «des industriels qui dégagent suffisamment de marge pour financer la recherche scientifique, qui porte en elle l’avenir de la filière», explique Pierre Chevalier. Des expérimentations qui vont dans le sens d’une meilleure qualité de l’aliment en relation avec les attentes sociétales concernant la valeur nutritionnelle du produit fini et la préservation de la nature. Tous ces apports qualitatifs ont un coût qui se répercute sur le prix à la distribution.
… à la communication grand public
Malheureusement, les consommateurs qui sont demandeurs de produits sains privilégient dans les faits les produits meilleur marché, sans se soucier de leur origine et de leur mode de production. «C’est le paradoxe des consommateurs, qui en veut toujours plus tout en payant moins», souligne le président de la Fédération nationale bovine. D’où l’inquiétude des professionnels de la filière concernant l’évolution du marché mondial. A l’heure où l’on parle de suppression des subventions à l’exportation et de baisse des droits de douane, qui vont limiter nos exportations et laisser la porte ouverte aux importations de viande des pays tiers, ils craignent pour leurs chiffres d’affaires. «Le prix, il faut l’expliquer,insiste Pierre Chevalier. Le consommateur doit prendre conscience que c’est le juste prix (…) par une communication de fond qui doit être maintenue en permanence.»
Un avis largement partagé par Roger Blanc, président du Sommet de l’élevage, qui prône le «protectionnisme», en expliquant qu’il faut «communiquer sur la qualité des produits français et européens pour contrer ceux en provenance des pays tiers». Ces derniers ne sont en effet pas soumis à la même réglementation en terme de sécurité alimentaire, loin s’en faut. La traçabilité est, dans ce cadre, un outil intéressant car il permet de suivre le produit «de la fourche à la fourchette», indique Jean-Jacques Dumas. Il faut s’en servir «comme un moyen de communication» et faire appel à des spécialistes en la matière, renchérit Luc Berginat. Il faut «dire au consommateur que la traçabilité permet(par exemple) de garantir des volailles indemnes d’influenza aviaire».
Et Roger Blanc de conclure : «Il est tout de même dommage que la France soit obligée de mettre des moyens énormes pour dire qu’il faut manger français !»