Pac, les tribulations de la réforme
Les spécificités agricoles et les choix politiques des états concernant l’application de la réforme de la Pac engendrent certaines difficultés.
LA MISE en œuvre de la nouvelle réforme de la Pac, qui n’a jamais laissé autant de latitude aux états membres, s’avère chaotique. Petit tour d’horizon des difficultés rencontrées dans certains pays pour cette première année.
La régionalisation des aides s’avère complexe en Allemagne
L’Allemagne s’est heurtée à des problèmes liés au versement des aides Pac. En cause : la régionalisation des aides. En effet, en Allemagne, il y a 13 Pac : une par Land, mais une seule base de données centralisée pour les DPU, située en Bavière et abondée par tous les Länder. Il y a plusieurs systèmes informatiques, qu’il a fallu rendre compatibles, ce qui a pris beaucoup de temps. Si un acompte de 80 % a été versé avant fin décembre 2005, le reste n’a été payé que fin mai, voire en juin 2006. Ce problème s’est surtout manifesté dans les Länder de l’Ouest. Autre difficulté, la conditionnalité des aides Pac. Le malaise est si profond qu’il était devenu un des thèmes des élections présidentielles ! Le niveau d’exigence environnementale est en effet élevé et la conditionnalité vient s’ajouter à des mesures nationales déjà contraignantes. Les agriculteurs ont le sentiment, lors des contrôles, de subir une “double peine”. Il est trop tôt pour cerner les conséquences de cette profonde modification de l’architecture des aides sur la production, d’autant que le système, dont l’objectif de verser 100 E/ha sur toutes les terres arables, est progressif jusqu’en 2013. Les spécialistes s’attendent cependant à un recul des volumes de viande bovine dès l’an prochain.
Versements tardifs en Grande-Bretagne
La Grande-Bretagne a, elle-aussi, fait le choix du découplage et de la régionalisation des aides, avec un système hybride. Cette première année s’est soldée par une situation catastrophique au niveau du versement des DPU 2005. Conformément aux craintes, le pays n’a pas pu respecter l’échéance de fin juin 2006 pour le paiement des aides 2005. À cette date, 93 % des sommes ont été versés. Le seuil des 96,14 % fixé par l’UE n’a donc pas été atteint et 12.500 agriculteurs sur près de 101.300 n’ont toujours rien reçu. Le gouvernement craint de lourdes pénalités financières de la part de Bruxelles. Les causes de ce “cafouillage” sont multiples. Les deux bases de données utilisées pour cartographier les terres se sont, par exemple, révélées incompatibles et le système informatique de calcul n’a pas su intégrer certaines données, dont la superficie des terres ! Une définition trop large du terme “agriculteur” a par ailleurs généré une augmentation de 40.000 nouveaux demandeurs, notamment les propriétaires terriens. Le calcul des aides, à la fois fondé sur la base historique et régionale, a été rendu difficile pour les nouveaux ayant droits, qui ne disposaient pas de référence historique.
Pour l’Italie, le challenge est pour 2006
En Italie, on applique depuis 2005 le découplage des aides sur la base d’une référence historique. Le versement s’est plutôt bien passé, mais les agriculteurs italiens sont habitués à recevoir leurs aides à la date limite autorisée par Bruxelles, en juin de l’année suivante. Selon certains observateurs le véritable challenge de la mise en œuvre de la Pac pour l’Italie serait plus 2006, que l’an passé, avec l’intégration dans les DPU du sucre, du lait, du tabac mais surtout de l’huile d’olive, du fait de l’atomisation du secteur oléicole. L’Italie justifie son choix du découplage total des aides Pac par une réorientation des productions vers le marché plutôt que vers l’octroi de primes. Les conséquences sont déjà visibles. Les surfaces de blé dur (de 1,9 Mha en 2003) ont reculé de près de la moitié en deux ans, avec des baisses de 600.000 ha en 2005 et de 300.000 ha en 2006. Pourquoi une telle chute ? La raison principale est économique. La Pac précédente permettait de soutenir la production de blé dur y compris sur des parcelles où cette culture n’était pas rentable. Ce n’est désormais plus le cas. Cela a provoqué un véritable électrochoc dans la filière, tant au niveau des producteurs que des transformateurs. La France, elle, a profité de cette aubaine pour augmenter ses propres surfaces de blé dur et gagner des parts de marché.
Espagne, ras-le-bol de la bureaucratie
L’Espagne a fait des choix similaires à la France en limitant au maximum le couplage des aides afin d’éviter la déprise agricole dans un pays où des zones importantes sont menacées de désertification. Une différence de taille avec la France : elle a fait le choix d’appliquer largement l’article 69 du règlement européen, portant sur la Pac de 2003, notamment dans les secteurs du sucre et des bovins lait et viande. Le principe est de prélever de façon horizontal un certain pourcentage des aides liées à une production pour le redistribuer sous forme d’aide complémentaire à certains producteurs engagés dans des démarches de qualité. La ministre de l’Agriculture se montre confiante pour un versement des DPU dès décembre 2006, mais la date limite de dépôt des dossiers a été repoussée deux fois et la date de notification des DPU définitifs, prévue le 15 août, ne sera pas effective avant novembre. La réserve nationale va être particulièrement sollicitée car les jachères traditionnelles et les surfaces fourragères ne faisaient pas l’objet d’aides auparavant. Pour le moment, la mise en œuvre de la Pac se passe donc assez bien, mais les agriculteurs commencent à exprimer leur “ras-le-bol” face à la bureaucratie communautaire.